Caen : un repas de fête pour les étudiants
Le 19 décembre, sur le campus de Caen, le Secours populaire a organisé un repas festif à l’attention d’une centaine d’étudiants qu’il accompagne tout au long de l’année. Orchestré par une poignée d’étudiants bénévoles, pour la plupart aidés eux-mêmes, il a offert un temps de joie, une parenthèse dans un quotidien marqué par les difficultés, la solitude ou le stress des examens. Reportage.
Les invités arrivent, dès 18h30, par petites grappes. Le froid de décembre et la nuit qui baigne le campus contrastent avec l’ambiance chaleureuse de l’auditorium de l’université de médecine de Caen. Les mains ailées du Secours populaire, dès l’entrée du bâtiment, invitent à entrer. Les tables ont un air de fête, les murs sont décorés de guirlandes colorées. Une équipe de bénévoles accueille les convives avec un large sourire tandis qu’une autre achève de transformer la salle d’études en restaurant étoilé. La musique sourd déjà des enceintes, des titres hip hop – Kendrick Lamar, Drake – appréciés des jeunes arrivants, qui dodelinent de la tête sitôt entrés, après s’être acquittés de leur participation solidaire de 2 €. Sur le mur, un écran géant leur confirme la tenue du repas festif étudiant organisé par la fédération du Calvados du Secours populaire : « Un bon repas, de belles rencontres… une soirée ensemble ! ».
Un air de famille
Selia arpente les lieux en tous sens et, tandis qu’elle s’active, les petites antennes dorées qui surmontent sa tête ondoient. Elle coordonne les tâches de la dizaine de bénévoles de l’équipe « jeunes » du Secours populaire départemental – cela fait des semaines à présent qu’en parallèle de leurs études, leurs examens et leurs petits boulots, ces bénévoles préparent cette soirée exceptionnelle. Selia est arrivée d’Algérie en octobre 2024 pour suivre un master Sciences de la matière. Quelques jours plus tard, le premier jour de sa venue à une distribution par le Secours populaire de paniers-repas pour les étudiants en difficulté, elle est devenue bénévole de l’association. « Le Secours populaire a été la première famille qui m’a accueillie ici en France », souligne la jeune femme de 27 ans. Si elle continue de bénéficier de l’aide alimentaire de l’association, elle en est devenue une des chevilles ouvrières et la « référente jeunes » de la fédération.

Les tables se remplissent et Selia passe parmi les petits groupes qui se constituent spontanément, afin de répondre à une question, calmer une inquiétude, glisser une plaisanterie ou un mot chaleureux, créer ce lien auquel elle aspire tant. « Je les connais tous, car tous viennent aux distributions alimentaires », éclaire-t-elle. Selia s’est « engagée totalement » dans la solidarité qui est déployée par le Secours populaire sur le campus. En un an, elle a eu le temps de voir les demandes d’aide augmenter dramatiquement – ils sont aujourd’hui plus de 400 étudiants à être accompagnés via l’antenne du campus de Caen ou la permanence étudiante du comité local d’Hérouville-Saint-Clair [1]. Et elle a embrassé une cause qu’elle défend vigoureusement. « Lors des distributions, les étudiants nous livrent leurs difficultés. Nous les aidons sur le plan matériel, pour se nourrir, se vêtir, se meubler, mais nous sommes aussi là pour les aider dans leurs démarches administratives, les orienter et les soutenir moralement », détaille Selia. Notre rôle, c’est d’être à l’écoute, déceler un mal-être – savoir entendre la peine derrière un simple “ça va…” ».
De la joie dans les assiettes
Accueillir, écouter, soulager mais aussi mobiliser, inviter à l’engagement : c’est ainsi que l’étudiante a su constituer autour d’elle un groupe de jeunes bénévoles – des étudiants qui, comme elle, ont connu d’abord le Secours populaire pour solliciter son aide. Celles et ceux-là même qui, aujourd’hui, prennent en main l’organisation de la cinquième édition du traditionnel repas festif des étudiants. Il est vingt heures et ces derniers sont à présent tous arrivés : 90 jeunes attablés, ravis d’être là, parfois intimidés, notamment ceux qui sont venus seuls. Mais l’équipe « jeunes » a tout prévu : après une invitation à se rendre au buffet afin de venir se sustenter en amuse-bouche et canapés, se régaler d’un jus de fruit ou d’un kir, chacun est invité à participer à un jeu « pour briser la glace ». A chaque table, il s’agit de mimer ce qui est inscrit sur des petits billets recueillis dans une corbeille. Les bouquets de papier colorés font immédiatement leur effet : les rires fusent et les langues se délient tandis qu’on se met dans la peau d’un bonhomme de neige qui fond, qu’on mime un père Noël fatigué.

Les serveurs quittent à présent le buffet et se dirigent vers les tables : leurs costumes noirs vont et viennent en un ballet savamment orchestré, digne des grands restaurants. Ils déposent en face de chaque convive l’entrée : un brik de chèvre, courgette et menthe, accompagné de jeunes pousses et vinaigre balsamique. Les jeunes oscillent entre bonheur et incrédulité : la qualité du repas, l’attention du service les touchent en plein cœur. Raphaël, 19 ans, étudiant en énergie électrique, finance ses études en travaillant le week-end comme serveur et cette inversion des rôles le fait sourire. Ses yeux s’agrandissent quand il découvre le plat : un suprême de volaille mariné au gingembre et aux épices, accompagné d’un flan de potimarron et un écrasé de pommes de terre aux cèpes. Dans leur assiette, les étudiants reconnaissent le savoir-faire du chef en même temps que l’engagement des bénévoles. « On met dans ce repas tout notre cœur », confirme Nicolas Champion, secrétaire général de la fédération du Calvados du Secours populaire. « La première année, en 2020, nous avions organisé une distribution de colis festifs. Puis nous avons pensé à un repas [2] car cela permet la rencontre et la convivialité, des valeurs centrales au Secours populaire. Cette cinquième édition est un aboutissement car elle est la première à être prise en main par les étudiants eux-mêmes. »
Tout un monde
Il est 21h et la fête bat son plein. Il semblerait que les jeunes réunis ce soir se sont toujours connus. La borne photo est prise d’assaut et les groupes posent avec lunettes et boas, en un éclat de rire. Sur le mur d’expression, chacun célèbre la joie d’être ensemble, la chaleur que c’est de se retrouver et la gratitude pour le travail des bénévoles. Jérémie, en parfait Monsieur Loyal, micro baladeur autour du cou, rythme la soirée. Il invite chaque table à participer à un quiz géant, lots à la clé. Les questions portent sur le Secours populaire – sa date de création ou sa campagne des Pères Noël verts – et chacun remporte des places de cinéma, un immense pot de popcorn ou une petite boîte ouvragée emplie de caramels d’Isigny. L’équipe des jeunes bénévoles se mêle à la fête ; le dessert avalé, on monte le volume de la sono, on pousse les tables et l’ensemble des invités converge vers le centre de la salle pour danser. La présence nombreuse d’étudiants internationaux offre à la soirée la dimension d’une rencontre interculturelle : à la chenille se mêlent les youyous du Maghreb, les déhanchés d’une rumba congolaise, la courbe d’une danse orientale. Tandis que Khaled chante la dernière chanson (« on va s’aimer, on va danser »), 23 h approchent. Selia souffle un grand coup : son équipe et elle [3] ont réussi leur pari – ouvrir une brèche dans des quotidiens souvent peuplés de stress et de solitude pour y faire entrer un grand vent d’insouciance, de rencontres et de joie. Mettre au programme de cette dernière journée de cours la solidarité.

[1] Le 19e baromètre de la pauvreté Ipsos / Secours populaire (septembre 2025) met en lumière la précarité grandissante de la jeunesse en France. Parmi les chiffres alarmants qu’il révèle, notons celui-ci : près d’1 jeune Français sur 2 (48%) rencontre des difficultés à se procurer une alimentation saine et équilibrée.
[2] Le repas festif étudiant de la fédération du Calvados du Secours populaire est rendu possible grâce au mécénat de l’Ordre des experts comptables de Normandie et à la mise à disposition de l’auditorium par l’Université de Caen.
[3] Citons les artisans de cette si belle soirée : Ahmed, Alioune, Ange, Douaa, Elda, Gayor, Iman, Marie, Marouane, Orphée et Selia. Sans oublier le concours précieux de Didier et Christiane !

« De nombreux étudiants ne rentrent pas chez eux durant la période des fêtes et passent Noël seuls, loin de leur famille. Certains sont isolés et souffrent de solitude. C’est ainsi qu’est née cette idée d’un repas de réveillon, le dernier jour avant les vacances scolaires. C’est une manière de fêter la fin des examens, célébrer les fêtes de fin d’année, lâcher le stress. Mon espoir est tout simple : que chacun s’amuse, soit heureux. Qu’il reparte le cœur léger, et soit aussi désireux de s’engager à nos côtés pour la solidarité ! »
Selia, référente « jeunes », fédération du Calvados du Secours populaire