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« A Gaza, nos soignants travaillent sous les bombes »

Mis à jour le par Pierre Lemarchand
Les soignants de PMRS se déplacent en petites équipes mobiles, le plus souvent à pied, pour pouvoir se rendre au plus près de la population. ©PMRS

Le 28 février, Bahia Amra, directrice des programmes et des relations extérieures de l'association médicale palestinienne PMRS – Palestinian Medical Relief Society –, est venue rencontrer le Secours populaire, son partenaire historique. Cette entrevue fut l’occasion de revenir sur la catastrophe humanitaire en cours à Gaza et comment les soignants de PMRS continuent d’agir, auprès de la population gazaouie mais aussi de Cisjordanie, dans des conditions extrêmes. En tout, ce sont plus de 400 000 Palestiniens qui ont été soutenus par PMRS depuis le 7 octobre. Interview.

Quelle est la situation à Gaza ?

Elle est catastrophique. Les gens sont épuisés, se font tuer tous les jours, n’ont plus ni eau, ni nourriture, ni électricité. Gaza a tout perdu et a besoin de tout. 2 millions de personnes ont dû abandonner leur maison. 20 000 enfants sont devenus orphelins. Je crois qu’il n’existe pas de mots pour décrire ce qui se passe à Gaza. 35 000 personnes sont mortes dont 12 000 enfants. Les projections de la John Hopkins University donnent des dizaines de milliers de morts supplémentaires – jusqu’à 105 000 – liées à la destruction du système de santé. Les 33 hôpitaux ont été ravagés : ce qu’il en reste ne fonctionne plus faute d’électricité, d’équipement, d’antibiotiques. Les maladies infectieuses et les blessures traumatiques sont les plus dangereuses – plus de 68 000 blessés ont besoin de traitements en continu. 35 000 malades chroniques sont en danger faute de soins et de médicaments. Il y a 10 000 personnes souffrant de cancer qui ne peuvent plus être soignées. 70 000 enfants ne peuvent pas être vaccinés du fait de la destruction du système de soins mais aussi du blocus. Le manque de sanitaires et d’eau potable a déclenché une épidémie de jaunisse, des centaines de milliers de cas de diarrhée et d’infections respiratoires. Les opérations sont réalisées sans anesthésie. Les enfants amputés demandent à leurs parents : « Est-ce que ma main va repousser ? Est-ce que ma jambe va repousser ? »

« Si les gens ne meurent pas sous les bombes, ils mourront de faim ou de maladie. »

Comment font les gens pour survivre ?

Ils ne survivent pas. Il n’y a plus de pain, plus d’eau, plus d’électricité et plus de médicaments. Si les gens ne meurent pas sous les bombes, ils mourront de faim ou de maladie. C’est déjà le cas : des Gazaouis sont morts faute de soins, de traitement ou de nourriture. Je ne sais pas comment les gens arrivent à surmonter cela – ce que je sais, c’est que nous, PMRS, sommes à leurs côtés. Pour la population, la présence d’une infirmière, d’un médecin ou d’un aide-soignant est synonyme d’espoir ; cela veut dire qu’elle n’est pas abandonnée à son sort. C’est la possibilité de se faire soigner, d’avoir parfois des médicaments, mais c’est aussi l’occasion de parler de la violence subie, des conditions inhumaines dans lesquelles elle survit. On vit à 100 personnes dans une pièce aujourd’hui à Gaza. Dans les camps, il n’y a qu’une douche pour 600 personnes, une salle de bains pour 2000 personnes. Comment faire pour rester propre, digne ? Comment ne pas sombrer dans le désespoir ? 

L’aide humanitaire parvient-elle aux Gazaouis ?

Elle est très limitée. La plupart des ONG internationales ont quitté Gaza et, en raison du blocus, seule une dizaine de camions peut franchir la frontière de Gaza chaque jour. Seuls un ou deux de ces camions peut se rendre dans le nord de Gaza. Pourtant les besoins y sont immenses : dans le nord, un demi-million de personnes sont privées de nourriture et commencent à mourir de faim. Elles ont commencé à manger de la nourriture pour animaux. Même dans le sud, tout est bloqué. Plus rien ne parvient à Khan Younes. A Rafah, ce qui arrive ne suffit pas car y vivent à présent 1,3 millions de personnes. Tant qu’il n’y aura pas de cessez-le-feu, aucune aide humanitaire ne sera réellement possible.

« Les soignants de PMRS sont des héros : ils ne peuvent peut-être pas arrêter la guerre, mais ils peuvent faire que les gens gardent espoir. »

En plein chaos, comment l’action de PMRS se poursuit-elle à Gaza ?

Depuis le 7 octobre, nous avons 32 équipes mobiles réparties sur la bande et qui déploient, dans des conditions très difficiles, un programme d’urgence. Ces équipes suivent les mouvements de population. Nos ambulances ont été détruites, il n’y a plus de carburant, donc les équipes de PMRS font la plupart du temps leurs interventions à vélo ou à pied. Elles travaillent 7 jours sur 7, 24 heures sur 24 et se portent au plus près des gens, là où ils vivent et se cachent : dans les abris, les camps, sous les tentes, dans leurs voitures, dans la rue. Les gens n’ont plus nulle part où aller, alors c’est nous qui venons à eux. Dans le nord occupé, des équipes continuent de travailler malgré des moyens très réduits et des conditions extrêmes. Dans le sud, nous sommes encore présents à Khan Younis et nos soignants travaillent sous les bombes. Ils se font parfois arrêter et sont détenus et maltraités dans le Néguev[1] pendant des semaines. Nos soignants ont eux aussi perdu leurs maisons, des membres de leurs familles, doivent sans cesse déménager pour sauver leur vie. Nous perdons souvent le contact avec eux et n’avons plus de leurs nouvelles durant des jours, des semaines. Ce sont des héros : ils ne peuvent peut-être pas arrêter la guerre, mais ils peuvent faire que les gens gardent espoir. 

Quelle est la nature du soutien que vos équipes apportent à la population ?

Ce sont des équipes polyvalentes qui prodiguent soins de santé primaire, consultations médicales, suivi des maladies chroniques, soins pour les blessés et traitent les questions de santé mentale. Elles assurent aussi la distribution de nourriture, d’eau, de vêtements. Nos psychologues apportent un soutien psychosocial. Nos sages femmes et nos médecins portent une attention très particulière aux femmes enceintes et aux jeunes mamans car chaque mois, à Gaza, 60 000 femmes donnent naissance à un enfant. Nous organisons des activités pour les enfants, pour tenter de leur offrir des moments de bonheur, leur rappeler qu’ils sont importants. Nous continuons donc notre travail, en coordination avec les Nations Unies – le Health Cluster qui regroupe tous les acteurs de santé, l’UNWRA – et les autres ONG. Depuis le 7 octobre, PMRS est venue en aide à plus de 500 000 personnes dans la bande de Gaza.

« Nous avons à nos côtés le Secours populaire, pour qui les droits humains et les vies humaines prévalent, et qui nous donne les moyens d’agir. »

Comment le Secours populaire aide-t-il PMRS ?

Le Secours populaire soutient PMRS depuis des décennies[2]. Ce lien de fidélité est très important à nos yeux. Après le 7 octobre, il a été le premier à nous aider, ce qui nous a permis d’enclencher notre programme d’urgence à Gaza. Nous avons pu alors acheter des médicaments et du matériel médical que nous avons stockés dans nos entrepôts, au nord de Gaza. Même si depuis, ceux-ci ont été bombardés et que nous avons tout perdu… Nous avons besoin d’avoir à nos côtés des partenaires comme le Secours populaire, pour qui les droits humains et les vies humaines prévalent, et qui nous donnent les moyens immédiats d’agir pour prodiguer l’accès aux soins de la population. PMRS, avec ses 400 employés, est la plus grande ONG médicale palestinienne. Nous travaillons avec de nombreuses autres organisations non gouvernementales dans le monde. 

Cette date a aussi marqué une hausse des violences en Cisjordanie ?

En Cisjordanie, la situation s’est beaucoup aggravée[3]. Le nombre de checkpoints s’est multiplié et la population a encore plus de mal qu’avant à se déplacer, pour aller au travail mais aussi à l’école. Celles-ci sont fermées, ainsi que les universités. Les arrestations se sont intensifiées. Les incursions armées dans les camps de Tulkarem et Jénine sont un écho des exactions qui se déroulent à Gaza : les bombes lâchées sur la population, les maisons détruites, les routes défoncées par les chars, les hôpitaux ciblés. Les équipes de PMRS sont là aussi attaquées, arrêtées. Elles poursuivent leur travail, principalement de manière mobile, en particulier dans la zone C[4] et à Jérusalem-Est, car Israël y interdit la construction d’hôpitaux, rendant presque impossible pour les Palestiniens de s’y soigner. En Cisjordanie, depuis le 7 octobre, nous sommes venus en aide à environ 44 000 personnes.

De quoi avez-vous le plus peur pour l’avenir ?

Je ne ressens pas de peur particulière. Je ressens de la colère, de la tristesse, mais aussi de l’espoir. Car un jour ou l’autre, cette agression cessera. La communauté internationale ne restera pas muette éternellement. Combien faudra-t-il de morts pour que les gouvernements se réveillent ? Les populations dans le monde manifestent, font entendre leur voix en solidarité avec les Palestiniens, appellent au cessez-le-feu. Notre situation est aujourd’hui connue du plus grand nombre : cela fait 75 ans que les droits des Palestiniens sont bafoués, que nos territoires sont occupés en dépit du droit humanitaire international. Enfin, j’ai de l’espoir, car je crois en mon peuple, en sa force, son courage et son entraide.

Bahia Amra, directrice des programmes et des relations extérieures de l’association médicale palestinienne PMRS, s’exprime le 28 février 2024.

[1] Le Néguev est une région désertique au sud d’Israël.

[2] PMRS est fondée en 1979 et les premières actions avec le Secours populaire datent de 1982.

[3] Selon un rapport de Médecins sans frontières, 2023 est l’année la plus meurtrière de l’histoire pour les Palestiniens de Cisjordanie.

[4] La zone C est la division administrative de la Cisjordanie entièrement sous occupation israélienne.  

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