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Haïti : après le séisme, la lutte pour la survie

Mis à jour le par Pierre Lemarchand
Débarquement par l'association AQUADEV de régimes de bananes destinés aux sinistrés du séisme - Commune de Pestel, Haïti, Août 2021. ©Aquadev/SPF

Le 14 août 2021, un séisme dévastait Haïti, tuant plus de 2200 personnes et en jetant à la rue des dizaines de milliers. Cette catastrophe a frappé un pays déjà miné par la pauvreté et l’insécurité. Le SPF a débloqué un fonds d’urgence de 120 000 € pour ses trois partenaires sur place qui s’emploient depuis, dans un contexte humanitaire dramatique, à apporter la solidarité aux habitants. Les besoins demeurent immenses.  

Plus d’un mois a passé, depuis qu’un séisme d’une magnitude de 7.2 a fait trembler la péninsule de Tiburon en Haïti, dévastant les départements du Sud, des Nippes et de Grand’Anse. Le 14 août, Max Bordey, président de l’association Aquadev, un des partenaires du SPF en Haïti, reçoit un appel d’une de ses équipes qui roule alors sur la route montagneuse des Cayes. « A 8h30, un des techniciens me téléphone et me dit que la terre vient de trembler, que la route est bloquée en raison des glissements de terrain. Il me crie qu’un éboulement vient de recouvrir, sous leurs yeux, des paysans qui étaient en train de travailler la terre. J’apprends le séisme à la seconde ! » Max Bordey demande alors à son équipe de se rendre à la base la plus proche d’Aquadev, qui se trouve à Corail, sur la côte, à moins de cinquante kilomètres de l’épicentre du séisme. Ainsi, les 4 personnes de l’équipe, avec le responsable de la base, se mobilisent pour apporter de l’aide dans la commune. « Transporter les corps, déplacer les blessés, aider l’hôpital à sortir les lits… C’est ce qu’a fait notre équipe dès son arrivée », témoigne Max Bordey.

De l’eau, du carburant, de la nourriture et de l’humanité

A Corail, Aquadev, qui y conduit toute l’année des projets d’appui à la pêche artisanale, est rapidement sollicitée. « La toute première demande, c’est le maire d’un petit village qui avait besoin de carburant et d’huile pour son canot, afin de transporter à l’hôpital une jeune fille blessée », se souvient Max Bordey. Nombreuses ensuite seront les demandes d’aides en diesel et essence, dont Aquadev possède un stock afin d’alimenter sa flotte de bateaux et pick-ups. Dans la journée du 14 août, Max Bordey appelle le SPF afin de solliciter son soutien financier : « Nous avons des hommes, des locaux, des véhicules, des moteurs mais pas d’argent disponible pour une telle urgence ! Le Secours populaire répond aussitôt positivement », résume-t-il. C’est ainsi qu’Aquadev peut acheter des médicaments et produits désinfectants pour fournir l’hôpital local Saint-Pierre ainsi, qu’en grande quantité, de l’eau. « Les deux rivières de la zone sont devenues boueuses et les canalisations d’eau avaient été cassées, témoigne le président d’Aquadev. Nous nous sommes retrouvés dans l’après-midi avec une pénurie terrible. Les gens peuvent rester sans manger mais ne peuvent pas rester sans eau. » L’équipe d’Aquadev s’attelle alors à fournir l’eau qui permettra aux habitants de survivre. « Grâce à la réactivité du SPF, nous avons pu être près des gens. Ce n’était pas une aide immense que nous avons apporté ce jour-là, ce n’étaient que des sachets d’eau. Mais nous sommes allés chez eux, leur avons parlé, avons été à leurs côtés – et ça, ça n’a pas de prix », témoigne Max Bordey.

Les premières heures, les premiers jours après le drame, Aquadev ne compte aucun de ses efforts. Ses locaux de Corail, qui sont restés debout, accueillent une cellule de crise permettant d’accueillir les agents de la mairie et coordonner les actions conduites par les différentes ONG qui commencent à arriver sur la zone. Aquadev continue ses distributions d’eau, ses appuis en carburant et initie également des distributions de nourriture. Elle met à la disposition de tous les acteurs des secours ses voitures et ses bateaux. « La route de Corail vers le reste du pays était bloquée mais notre programme de transport maritime nous a permis de travailler malgré tout et de circuler pour acheminer l’aide – la nôtre, comme celle d’autres ONG, explique Max Bordey. Quand la route a été rétablie, il restait les problèmes d’insécurité liés à la présence des gangs armés donc le transport maritime demeurait une bonne solution. »

Haïti : après le séisme, la lutte pour la survie
Distribution de réserves d’eau aux sinistrés du séisme par l’équipe d’Aquadev – Commune de Corail, 17 août 2021. ©Aquadev/SPF

Ne pas rester aveugles et sourds aux cris de détresse

« Je suis en compote », lance Martine Canal, directrice de l’association partenaire du Secours populaire AHCD (Association Haïtienne des Citoyens pour le Développement). Elle revient tout juste d’un périple de quatre jours dans trois communes reculées de la péninsule et est encore sous le choc. Le 10 septembre, elle est partie avec une petite équipe de 6 personnes. C’est l’extrême insécurité qui sévit sur les routes du pays, depuis que les gangs armés y font loi, qui l’a poussée à ne pas utiliser un camion de marchandises mais un simple bus de voyageurs où sont dissimulés les colis alimentaires, afin d’éviter de se faire attaquer.

Le samedi 11 septembre, le convoi arrive à Pestel et les 500 familles invitées sont présentes afin de se faire remettre chacune un colis, empli de produits essentiels, tels du maïs moulu, des haricots secs, du savon ou encore des pastilles pour désinfecter l’eau. Les besoins sont si criants, la détresse telle que de nombreuses autres familles appellent à l’aide ; l’équipe de l’AHCD, qui avait pris soin d’emporter plus de marchandises, parvient à les aider. « Dans les zones où nous passions, il n’y avait plus une seule maison debout. La demande est partout, les gens ont tout perdu, leurs maisons mais aussi leurs jardins. Ils sont affamés, délaissés et deviennent agressifs. Je n’avais jamais vu une telle misère, un tel désespoir », confie, bouleversée, Martine Canal.

Elle narre les pistes défoncées et les ponts effondrés, les familles livrées à elles-mêmes au bord des routes auxquelles son équipe vient en aide et la peur terrible qui la saisit quand son convoi se fait tirer dessus par un gang. La deuxième destination, la commune de Chambellan, est finalement atteinte, au prix d’un grand retard : « Les gens avaient attendu toute la nuit sur place, de peur de ne rien avoir… Pour éviter les émeutes, nous avons effectué cette distribution avec l’aide de la mairie et des policiers. Cette localité n’avait encore reçu aucune aide, nous étions les premiers à venir les secourir », explique-t-elle.  Puis, le mercredi soir, ce seront Les Chardonnières et son même lot de détresse et d’agressivité et, surtout, l’impérieuse nécessité d’être là, auprès de ces hommes et ces femmes, ces personnes âgées et ces enfants d’Haïti. « Il reste tant de besoins, déplore Martine Canal. Les gens ne vont pas pouvoir se remettre debout tout seuls. On ne peut pas rester aveugles et sourds aux cris de détresse de tous ces gens-là. »

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Distribution alimentaire pour les sinistrés de la commune de Chambellan, assurée par l’équipe de l’AHCD – Lundi 19 septembre 2021. ©AHCD/SPF

Envisager l’avenir malgré tout

Le récit tragique de la directrice de l’AHCD résonne dans les propos de Frère Jean-Jeune Lozama, responsable de projet à la Congrégation des Petits Frères de Sainte-Thérèse, troisième partenaire du Secours populaire. « La situation est si grave que dans certains cas, des personnes essaient de déposséder d’autres de leur sac de riz ; c’est une véritable bataille pour la survie », exprime-t-il. La Congrégation a, elle aussi, encadré ses distributions auprès des villageois par les forces de police afin d’y préserver la paix. Comme l’AHCD, un mois après le séisme, la Congrégation continue d’aider sur le plan alimentaire près de 1500 familles de zones reculées des zones de Cayes ou des Nippes, où l’aide a eu du mal à parvenir. « Les gens de la campagne ont été souvent oubliés. Ils ont perdu leur maison, mais aussi leur jardin et leur bétail, qui étaient leurs moyens de subsistance », éclaire Frère Lozama. Celui-ci poursuit :  « A court terme, il faut donner aux gens de quoi se nourrir et s’abriter. Puis à moyen terme, il faudra aider les paysans à recapitaliser, dans l’agriculture, l’élevage de cabris, de porcs ou de bovins ainsi que les petits commerces. C’est ce à quoi nous nous emploierons. »

Mais pour l’heure, plus d’un mois après le tremblement de terre, c’est encore à la survie des habitants qu’il faut travailler. La mise à l’abri qu’évoque Frère Lozama emploie l’essentiel des journées d’Aquadev, dont les efforts, depuis le 14 août 2021, n’ont pas décru. L’association a mobilisé sur la zone de Corail de nombreux volontaires – des jeunes mais aussi des pêcheurs que l’association aide dans le cadre de ses programmes. Max Bordey témoigne : « L’urgence aujourd’hui, c’est de pouvoir équiper les familles d’outils pour déblayer, de draps, bâches et matelas, afin qu’elles puissent temporairement être à l’abri. Il faut éviter les camps et tout faire pour que les gens reviennent à l’endroit où ils avaient leur maison. D’où l’importance de nos brigades de nettoyage. » Après l’urgence, les longues journées des équipes d’Aquadev seront occupées à la reconstruction. Il s’agira de se doter des moyens d’acheter du bois et de la tôle ; Max Bordey souhaite, de plus, recruter une petite équipe d’ouvriers qualifiés qui passeront de maison en maison afin d’aider les habitants sinistrés à reconstruire leurs logements en tenant compte des contraintes parasismiques et paracycloniques. « Car il y aura d’autres cyclones, d’autres séismes qui frapperont Haïti. Il faut nous tenir prêts, nous aguerrir », avance,  sagacement, le président.

Ce pari et cette confiance inaltérable en l’avenir, qui animent pareillement Martine Canal et Frère Lozama, et qui est soutenue par les collectes initiées par les bénévoles du Secours populaire en France, conduit Max Bordey à travailler sur cet autre front qu’est la lutte contre l’exode rural des jeunes. Ceux-ci, après de telles catastrophes, tendent à « fuir les zones reculées, les opportunités d’emploi étant plus accessibles dans les grandes villes ». Cet exode, au bout duquel ils trouvent une misère plus rude encore, les amène aujourd’hui massivement à tenter la traversée vers les États-Unis – alors, c’est peut-être la mort qu’ils trouveront. Ainsi, Aquadev travaille à l’embauche d’animateurs de quartiers pour mettre en place des activités sportives ou ludiques, afin d’apporter à ces jeunes gens traumatisés par le séisme et angoissés par l’avenir des moments de plaisir. Dans de nombreux quartiers et hameaux isolés de Corail, tous les week-ends depuis le séisme, Aquadev organise des projections en plein-air qui réunissent les habitants de tous âges pour des temps de convivialité. Ces lumières projetées, qui percent les nuits inquiètes d’Haïti, sont les signes qu’il convient de continuer d’espérer.

Haïti : après le séisme, la lutte pour la survie
Projection organisée par l’association Aquadev pour les habitants de la cité Bedar, dans la commune de Corail, sinistrée par le séisme – Dimanche 29 août 2021. ©Aquadev/SPF

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