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Guerre en RD Congo : « Ne pas agir était impossible »

Mis à jour le par Pierre Lemarchand
Le 10 mars, les équipes du FDAPID ont chargé les camions des vivres destinés aux orphelins de guerre de Goma

Depuis la résurgence de la milice rebelle M23, la guerre meurtrit à nouveau la région du Nord-Kivu, en République démocratique du Congo. Afin de soutenir les populations, le Secours populaire épaule son partenaire congolais, le FDAPID (Foyer de développement pour l’autopromotion des personnes indigentes et en détresse). A l’attention des personnes les plus vulnérables ainsi que des populations autochtones pygmées, un programme d’aide d’urgence est conduit. Dans les orphelinats de Goma, Beni, Butembo et Kasindi, dans le camp de déplacés de Kanyaruchinya, des distributions de produits de première nécessité sont effectuées. Pour les aider à survivre et signifier à ces populations qu’elles ne sont pas oubliées. Pour jeter des cailloux d’humanité dans l’engrenage de la guerre. Rencontre avec Vicar Batundi Hangi, coordinateur du FDAPID.

La guerre fait rage dans la province du Nord-Kivu, au nord-est de votre pays, la République démocratique du Congo. Quelles sont les conséquences pour la population ?

La province du Nord-Kivu est un théâtre d’insécurité et conflits armés depuis trois décennies. 30 longues années de guerre et de déplacements massifs, de reculs dans le développement. Cette guerre, qui oppose aujourd’hui les FARDC (l’armée du pays) et les rebelles du Mouvement du 23 mars, le M23, a des conséquences terribles. Des massacres sont massivement perpétrés. Le coût humain est élevé – 8 millions de vies sont perdues. On compte des centaines de milliers de déplacés internes. Cette situation affecte l’économie du pays ainsi que les conditions de vie des populations. Les déplacés du Nord-Kivu observent une montée en flèche du coût de la vie ; la ville de Goma est asphyxiée, les routes étant bloquées en raison de la guerre. On observe la cherté mais aussi la rareté des denrées alimentaires. Les prix du riz, de l’huile, de la farine de maïs ont bondi. Le coût d’un bol de haricots a doublé (il coûte à présent 1,50 $) tandis que le pouvoir d’achat baisse. Le revenu journalier d’un Congolais est aujourd’hui d’1 dollar. Les villages se vident de leurs populations en raison des violences et des pillages perpétrés par les rebelles. Les gens fuient.

Avec le soutien du Secours populaire, vous conduisez un programme de soutien aux populations déplacées. Comment est né ce projet ?

Nous travaillons avec le Secours populaire depuis bientôt dix ans. C’est naturellement que nous avons interpellé ce partenaire qui nous est cher. Nous compatissons avec toutes ces familles qui ont dû fuir leur village. Non seulement elles ont perdu leur foyer mais de plus, elles peinent à se nourrir. Le rôle des acteurs humanitaires, des personnes de bonne volonté est crucial. Ne pas agir, ne pas leur venir en aide, était tout bonnement impossible à nos yeux. En décembre 2022, nous avons effectué des visites de terrain afin d’identifier des bénéficiaires pour ce programme que nous appelions de nos vœux. Nous nous sommes rendus dans le camp de déplacés de Kanyaruchinya, à 8 km au nord de Goma. Nous avons porté notre attention sur les personnes les plus marginalisées parmi les déplacés de guerre : les personnes porteuses d’un handicap ou âgées, les femmes enceintes ou mères de nourrissons, ainsi que les populations pygmées. En tout, nous y avons identifié 470 familles, soit environ 2800 personnes.

Nous avions également identifié un camp de déplacés dans la province du Maniema, à Kabambare. Mais nous avons renoncé : la zone est enclavée, les routes sont devenues impraticables, trop dangereuses. Il faudrait passer par le Sud-Kivu et cela nécessiterait plus d’un mois de trajet. Les vivres, avec les intempéries, périraient. Nous allons identifier d’autres sites du Nord-Kivu. Les besoins sont si immenses…

« Nous avons constaté une misère sans nom dans ces camps de déplacés. »

Quelles sont les conditions de vie dans les camps de déplacés ?

Lors de cette mission d’évaluation à Kanyaruchinya, nous avons découvert des familles sans abri, exposées aux intempéries – souffrant de la brûlure du soleil comme des assauts de la pluie. Le choléra menace, car il leur est difficile de maintenir dans ces conditions une hygiène suffisante. Elles éprouvent des difficultés pour trouver de la nourriture. Certains enfants pygmées sont malnutris. Ces familles ont tout abandonné dans les villages lors de leur fuite, aussi sont-elles totalement démunies : elles n’ont pas même un vêtement de rechange. Nous nous sommes entretenus lors de cette mission avec les responsables des différents quartiers du camp. Leur plus grande préoccupation est l’aide alimentaire : ils ont peur de voir les enfants mourir de famine. Nous avons constaté une misère sans nom dans ces camps de déplacés.

Vous avez aussi ciblé plusieurs orphelinats de Goma lors de cette mission ?

Oui, nous avons souhaité venir en aide aux orphelins de guerre, contribuer à leur alimentation et leur bien-être. Restaurer leur sourire. Nous avons ciblé quatorze orphelinats, répartis sur les villes de Goma, Beni et Butembo. Nous avions apporté dans certains de ces orphelinats une aide alimentaire d’urgence durant la pandémie de Covid-19 en 2020, au plus dur du confinement. Nous avons gardé le contact avec eux et avons appris qu’ils faisaient face à des premiers signes de malnutrition et craignaient la famine. Dans les quatorze centres que nous avons ciblés, il y a des orphelins de guerre mais aussi des enfants « non accompagnés ». Ces derniers sont des enfants perdus – lors des massacres, les populations fuient et les enfants perdent leurs parents. Ils sont accueillis dans ces centres en attendant de les retrouver – si heureusement ceux-ci ont survécu. A Beni et Butembo, chaque jour on enregistre des massacres ou des tueries. De nombreux enfants se retrouvent sans parents. Quand ce n’est pas le village entier qui est anéanti. Cette guerre est un véritable drame.

Guerre du Nord-Kivu - Ne pas agir était impossible à nos yeux
Toute la journée du 11 mars, les équipes du FDAPID ont effectué la distribution de produits de première nécessité aux familles vulnérables du camp de déplacés de Kanyaruchinya. ©FDAPID / SPF

Comment avez-vous procédé suite à cette mission à Goma ?

Nous avons imaginé le projet que le Secours populaire a tout de suite accepté de soutenir à hauteur de 50 000 euros. Nous avons déterminé les produits que nous allions remettre aux bénéficiaires. Dans le camp de déplacés de Kanyaruchinya, nous les avons déterminés en fonction des besoins exprimés par les populations. Tout d’abord, des produits alimentaires essentiels : de la farine de maïs, des haricots, du riz, de l’huile, du sucre. Ensuite, des produits pour améliorer le quotidien : du savon, des pagnes pour les femmes, des bidons vides qui permettent aux familles de conserver de l’eau potable. Des bâches pour couvrir leurs maisonnettes. Enfin, des ustensiles de cuisine. Pour les orphelinats, nous nous sommes concentrés sur les produits alimentaires, en privilégiant les vivres qui permettent aux enfants malnutris de vite recouvrer leur état normal. Nous avons ensuite enclenché le processus de contractualisation avec les fournisseurs. Au mois de février, nous avons remis aux familles bénéficiaires leurs invitations. Début mars, nous avons procédé au colisage des kits et au chargement des camions. Nous avons pu enfin remettre notre aide aux familles et orphelins les 10 et 11 mars.

« Dans leurs cris de bienvenue s’exprimait l’impatience mais aussi un grand soulagement. »

Ils devaient vous attendre avec impatience ?

Oh oui. Nous avons reçu, le 10 mars, un accueil très émouvant de la part des enfants des cinq orphelinats de Goma. Quand nous avons franchi avec nos trois camions les portes du camp de Kanyaruchinya, le 11 mars, toutes les familles bénéficiaires étaient là pour accueillir le convoi. Nous sommes arrivés avec du retard car un de nos camions avait subi une panne sur la route. Dans leurs cris de bienvenue s’exprimait l’impatience mais aussi un grand soulagement. Nous ne les avions pas oubliés ! Un périmètre sécurisé dans le camp avait été aménagé avec la protection civile du territoire de Nyiragongo afin de pouvoir faire la distribution dans de bonnes conditions, en atténuant les risques. Nous devons être sensibles aux conflits et appliquer le principe humanitaire du « Do No Harm ». Tout s’est passé dans un très grand calme. Beaucoup de gens nous disaient que l’aide du FDAPID était la première aide qu’ils recevaient depuis leur arrivée en catastrophe dans le camp. Imaginez, il y a près de 100 000 personnes qui y vivent… Pour les personnes en situation de handicap ou très âgées, c’est particulièrement difficile de survivre dans de telles conditions. Ils ne peuvent pas initier dans le camp des activités génératrices de revenus, comme du petit commerce par exemple.

D’où votre objectif, dès le départ, de vous diriger vers des catégories de populations bien précises, que vous avez identifiées comme particulièrement vulnérables ?

Oui. Il y a des ONG présentes dans le camp, il y a des distributions organisées, mais l’aide ne peut pas atteindre tout le monde. Certaines personnes n’ont pas la force de rester dans une file d’attente ; elles s’épuisent vite et renoncent à attendre pour recevoir de l’aide. Elles peuvent faire le choix d’abandonner, d’aller mourir à l’abri plutôt que de mourir sous le soleil.

Parmi les personnes vulnérables que vous avez identifiées, il y a les communautés pygmées. Elles sont au cœur de l’action du FDAPID depuis sa création. Pourquoi ces populations sont-elles particulièrement fragilisées ?

Les populations pygmées sont en effet au cœur de notre action, ainsi qu’au cœur de notre partenariat. Tout a commencé avec la fédération du Rhône du Secours populaire. Nous avons mené ensemble, dès 2004, des projets dans le Nord-Kivu de soutien à ces populations sur le plans alimentaire – des activités agro-pastorales et d’apiculture – et pour la scolarisation des enfants – notamment via la remise de fournitures. Nous agissons sinon auprès des Pygmées pour sécuriser leur accès à l’eau et à la terre, ainsi qu’à la santé, et leur permettre de conduire des activités génératrices de revenus.

Les autochtones pygmées dépendent de la forêt : pour eux, elle est leur mère nourricière ainsi que leur pharmacie. Aussi, dès qu’ils quittent leur milieu d’origine vers un camp de déplacés, ils sont extrêmement vulnérables. Ils ont de plus tendance, dans un tel exil, à se replier sur eux-mêmes, s’isoler socialement. Ils peuvent ainsi être oubliés des aides ou des distributions car ils se tiennent à l’écart. Ils souffrent beaucoup du changement de milieu, notamment en ce qui concerne l’alimentation. Ils se nourrissent de produits naturels, n’ont aucunement l’habitude des produits transformés qui sont remis dans les camps. Ils sont donc très exposés à la malnutrition. Les Pygmées meurent dans les camps pour cette raison, mais aussi parce qu’ils ne peuvent plus accéder aux plantes médicinales.

Aujourd’hui, 12 avril, où êtes-vous ?

Je suis dans la ville de Beni. Nous y avons identifié quatre orphelinats et y poursuivons l’aide. Actuellement, je suis dans un centre qui s’appelle Terre d’Espérance. Demain, nous nous rendrons à Butembo afin d’apporter notre aide dans quatre orphelinats supplémentaires. Puis nous irons dans celui de Kasindi. Nous avions imaginé au départ venir en aide à 150 enfants mais, au final, ils seront 500. Nos enfants sont l’avenir de notre pays. Il nous faut à tout prix renforcer la solidarité à leur égard. Nous devons veiller à leur santé et leur éducation, nous devons les protéger, cela doit être notre priorité à tous : les autorités bien sûr, mais aussi les associations humanitaires telles que le FDAPID. Je tiens à remercier le Secours populaire qui s’est mobilisé sans compter pour nous soutenir. Grâce à ses donateurs, nous avons pu porter assistance aux familles vulnérables et à ces enfants. Face à une telle crise, il est important de permettre à chacun d’apporter sa contribution. C’est ce que nous avons fait ensemble.


TEMOIGNAGES

Je suis une déplacée, je viens de Kisigari, en territoire de Rutshuru. On mourait de faim dans cette partie du camp, il n’y avait pas de nourriture. Vous venez de nous apporter une aide vitale. Je suis handicapée et veuve. Enfin un peu de bonheur ! Je vais me dépêcher d’aller préparer le repas pour les enfants pour qu’ils mangent enfin

Mme Alphonsine MUHIRE, camp de déplacés de Kanyaruchinya

Ce don de nourriture, nous le prenons, nous personnel encadrant mais aussi tous les enfants, comme un encouragement. La crise que nous traversons a fortement affecté le contexte socioéconomique du Nord-Kivu ; accéder à la nourriture y est devenu difficile. En nous en apportant, vous nous donnez du courage, de la joie, mais aussi de l’espoir

Mr Énoch KAMANDU, responsable de l’orphelinat Jua Kwa Watoto (Goma)