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Guadeloupe : crise sociale et cœurs d’or

Mis à jour le par Pierre Lemarchand
Deux bénévoles de l'association Soleil d'Or préparent les colis alimentaires destinés à un millier de foyers en difficulté de la région de Basse-Terre en Guadeloupe. ©Yannick Mondelo/SPF

La crise sociale qui secoue la Guadeloupe depuis novembre dernier est le révélateur d’un malaise profond et de situations de précarité extrêmes. Dès le mois suivant, le Secours populaire donnait à son partenaire sur place, l’association Soleil d’Or, les moyens d’accompagner matériellement et moralement, sur un trimestre, 1000 foyers en difficulté de la région de Basse-Terre, dans le sud de l’île. Reportage.  

Ce n’est pas la fameuse distillerie de rhum de Bologne près de la rivière des Pères dans le Parc National de Guadeloupe, ce n’est pas l’église Notre-Dame-du-Mont-Carmel classée monument historique, ce n’est pas non plus la longue plage de sable de Rivière-Sens qu’ils sont venus voir. Les décors paradisiaques de Guadeloupe ont un envers et c’est celui-ci qui occupe, en cette journée de janvier, les bénévoles de l’association Soleil d’Or. La région de Basse-Terre porte encore les stigmates des violentes manifestations qui ont secoué l’île en novembre dernier, révélant les maux d’une société antillaise aux prises avec une inflation féroce, un chômage endémique et un tourisme en berne en pleine crise sanitaire. La colère qui a éclaté à l’automne a révélé l’extrême précarité dans laquelle se débattent d’innombrables familles. C’est alors que le Secours populaire s’est rapproché de son partenaire guadeloupéen, l’association de solidarité Soleil d’Or, afin d’imaginer, grâce à l’affectation d’un fonds d’urgence de 50 000 euros, un programme d’aide pour un millier de foyers. Consistant en la distribution de produits alimentaires et d’hygiène, il fut initié dès le mois de décembre et se décline sur six communes de la région de Basse-Terre : Baillif, Saint-Claude, Vieux-Habitants, Bouillante, Gourbeyre et l’éponyme Basse-Terre.

Des vivres et des rires

Tandis que janvier s’achève, le programme se poursuit ; Max Bordey, coordinateur de l’association Soleil d’Or, en prévoit l’échéance fin mars. Finement ancré sur le territoire de la région de Basse-Terre, Soleil d’Or a l’habitude de travailler avec tout le tissu de volontaires des associations de quartier, d’éducateurs et travailleurs sociaux. C’est ainsi que furent identifiés les quelque mille foyers destinataires de l’aide apportée avec le soutien du Secours populaire. C’est l’ARDP, l’Association de Rivière-des-Pères, qui a orienté Soleil d’Or vers Julienne Laupen. Cette dame de 91 ans se repose à l’ombre d’une tonnelle où elle fait pousser un joli pied de raisin blanc. Sa jambe droite, à l’horizontale, est posée sur une cagette. Sa canne n’est pas loin. Le calme qui règne à Cité Bologne tranche avec les émeutes qui la secouèrent en novembre dernier – la vieille dame a beaucoup souffert des gaz lacrymogènes et des fumigènes. Elle est entourée de Max, du président de Soleil d’Or Gilbert Balthus, ainsi que de Marie-Céline, la responsable de l’ARDP. Tous trois lui ont apporté un colis de victuailles et de produits d’hygiène. « J’ai travaillé toute ma vie dans les écoles maternelles, je surveillais les enfants. Mais j’ai une toute petite retraite et c’est difficile, surtout depuis que tout a augmenté », témoigne l’aînée. Ici en Guadeloupe, les produits de première nécessité sont entre 40 et 60 % plus chers que dans l’hexagone.

Depuis qu’elle est seule (« J’avais une seule voisine, mais elle est partie s’installer plus loin, à Saint-François »), les visites sont cruciales pour l’aïeule. La discussion s’oriente bientôt autour du football, la passion de la vieille dame, supportrice historique de l’équipe du Racing Club de Basse-Terre qui évolue en Régionale 1. « Quand elle parle football, c’est un phénomène ! », souligne tendrement Max. Marie-Céline acquiesce : elle connait bien Madame Laupen, venant la visiter fidèlement, comme tous les aînés isolés et les familles en difficulté des quartiers populaires de Rivière-des-Pères et Bologne. « Les bénévoles de l’ARDP connaissent chaque habitant. En cas de besoin, que ce soit après le passage d’un cyclone[1] ou en période de crise économique, ils répondent toujours présents. C’est sur eux qu’on s’appuie quand on veut cibler des bénéficiaires d’aides », éclaire Max. « En tant qu’enfant du quartier, je connais bien les gens d’ici. En leur rendant visite et en discutant, on peut identifier ceux qui sont dans le besoin », complète Marie-Céline. A voir le petit groupe discuter et rire, on oublierait presque le motif premier de la visite conjointe de Soleil d’Or et l’ARDP : l’aide matérielle.

Un panier débordant de promesses

Le cabas qui repose sur la table de Marie-Carmelle Guillaume contient exactement les mêmes produits que celui apporté ce même après-midi à madame Laupen, à l’exception du poisson en tranches, que cette maman ne peut conserver, faute de congélateur. Mais il déborde de promesses : celle des repas à venir en compagnie de ses quatre enfants, celle de nuits peut-être moins angoissées. Madame Guillaume énumère le contenu du large sac : « De l’huile, du vinaigre, du sel, du sucre, du riz, de la farine, des pâtes, des haricots rouges, du lait, du chocolat en poudre, du savon, du papier toilette, de l’eau de javel, un pack d’eau, des oignons et de l’ail, des sardines, du beurre et des gâteaux pour les enfants. » Elle a déjà réfléchi au repas du soir : « Je cuisinerai un plat de pâtes aux sardines. J’y ajouterai les oignons et il ne me restera plus qu’à trouver du piment ! », assure-t-elle. Tandis que Starling, son fils de 7 ans, brandit une boîte de sardines, elle continue : « Cette visite est très importante pour moi. Cela me permet aussi de ne pas être seule. Sentir que je suis entourée, ça n’a pas de prix, c’est un gros réconfort. »

« Sentir que je suis entourée, ça n’a pas de prix, c’est un gros réconfort. » 

Cette Haïtienne est arrivée en Guadeloupe en 2018, à l’issue d’un périple en bateau, dont les dangers nocturnes ont irrémédiablement traumatisé Starling – le petit garçon n’avait que 3 ans alors. Depuis, le corps de l’enfant grandit mais son esprit demeure réfugié dans la petite enfance. « Ma mère et mon père habitaient un quartier de Port-au-Prince qui s’appelle Martissant », se souvient-t-elle. Ma mère y tenait un grand commerce. Depuis plusieurs années, le quartier est tombé aux mains des gangs et ils ont tué mon père et ma mère. J’ai décidé de m’enfuir alors j’ai vendu tout ce que je pouvais. Venir ici ça coûte beaucoup. J’ai vendu ma maison et je suis partie : je suis passée par Saint-Domingue, puis par l’île de la Dominique puis suis arrivée ici en Guadeloupe. » Un tel exil coûte entre 3500 et 7000 euros ; le peu d’argent qui lui restait lui permit de louer cette petite maison qu’elle habite toujours, dans le quartier du Carmel, et de faire venir ses autres enfants : « Je n’ai fait le voyage qu’avec mon petit, les autres, je les ai fait venir après », complète-t-elle. Starling zigzague dans la salle de séjour tandis que sa mère continue de remonter le fil de ses souvenirs. Elle évoque les petits boulots qu’elle a réussi à enchaîner dans le secteur agricole, chose possible pour une personne sans-papiers. Dans la région de Basse-Terre, la plupart des jardins sont tenus par des Haïtiens : par le jeu d’une solidarité communautaire, elle a ainsi pu être embauchée fréquemment.

Guadeloupe : crise sociale et cœurs d’or
Max Bordey, coordinateur de Soleil d’Or, avec Madame Guillaume, accompagnée dans le cadre du programme d’aide alimentaire mis en place grâce au soutien du SPF – Guadeloupe, Basse-Terre, janvier 2022 – ©W. Démonio/SPF

Panser le quotidien et construire l’avenir

La crise sanitaire a stoppé net les opportunités de travail et c’est alors que Madame Guillaume confie avoir « touché le fond ». Elle est alors aidée par une assistante sociale qui la soutient d’abord sur ses propres deniers : son statut ne lui permet de prétendre à aucune aide sociale. « C’est grâce à elle que j’ai pu tenir », reconnaît-elle. C’est cette travailleuse sociale qui alerte l’association Soleil d’Or sur la situation de Madame Guillaume. En décembre 2021, elle intègre le programme d’aide aux familles démunies de Basse-Terre mis en place grâce au SPF et les bénévoles de Soleil d’Or accompagnent la mère de famille dans ses démarches administratives, afin qu’elle puisse enfin régulariser sa situation. « Ce sont des procédures complexes administrativement et éprouvantes humainement. Les rendez-vous se déroulent à Pointe-à-Pitre et il faut alors y passer deux jours : la queue est telle qu’il faut dormir sur le trottoir », déplore Max Bordey. Nous allons l’accompagner. Avec nos contacts, nos réseaux, nous allons appuyer sa demande d’asile. » Là encore, l’aide matérielle se double d’une présence chaleureuse, d’un soutien moral sans faille et, en l’occurrence, d’un accompagnement administratif rigoureux.

Max Bordey et les bénévoles de Soleil d’Or prennent congé de madame Guillaume. Les journées sont bien remplies : « Nous privilégions, pour ce programme d’aide alimentaire avec le SPF, les visites à domicile : elles permettent de respecter au mieux le protocole sanitaire, mais aussi et surtout de passer du temps avec chacun, notamment les personnes qui ne peuvent pas se déplacer », précise le coordinateur de Soleil d’Or. Aujourd’hui, il doit encore aller voir une famille monoparentale dans ce même quartier, le Carmel, puis il prendra la route pour Rivière-Sens, où Madame Cassin, abandonnée par son mari, tente de survivre dans une maison vidée de tous ses biens. Elle doit faire face à trois mois d’impayés de loyers et factures. Max Bordey s’est mis en quête d’un réfrigérateur et d’un réchaud et, dans le coffre de sa voiture, un sac empli de vivres l’attend. Il n’oublie pas non plus Louisette Palatin qui, en plus de la précarité, se débat avec de graves problèmes de santé. Il a aussi une pensée pour Denis Francis, un ancien travailleur agricole de 94 ans, qui vit seul depuis qu’il est veuf dans sa petite maison de Saint-Claude. Les temps sont difficiles pour bien des familles en Guadeloupe, mais les bénévoles de Soleil d’Or sont emplis d’espoir et de détermination. Ils savent aussi pouvoir compter sur le soutien du Secours populaire.

Guadeloupe : crise sociale et cœurs d’or
Madame Palatin, entourée des bénévoles de Soleil d’Or venus lui apporter un colis alimentaire (de g. à dr. : Max Bordey, Jean-Michel Calidon et Gilbert Balthus) – Rivière-des-Pères, Guadeloupe, janvier 2022 – ©W. Démonio/SPF

[1] Le SPF et Soleil d’Or commencèrent à travailler ensemble en 2017, suite au passage dévastateur du cyclone Irma, afin de venir en aide aux sinistrés de Saint-Martin, de la Dominique et de Guadeloupe.

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