Émanciper

  • Insertion

Du matériel informatique pour les étudiants précaires et malvoyants

Mis à jour le par Olivier Vilain
Les bénévoles remettent du matériel informatique à des étudiants précaires. Il est adapté à leur déficience visuelle.

À Metz, le Secours populaire lutte contre la fracture numérique et la précarité étudiante. Grâce à un legs, les bénévoles ont apporté des matériels informatiques qui rendent autonomes des étudiants étrangers malvoyants, particulièrement frappés par la crise sociale.

Le grand jour est arrivé. « J’avais fait une croix dessus, c’était trop cher ; maintenant, ça va tout changer dans ma vie », s’exclame Sheik, la trentaine, portant d’épaisse lunettes noires. Venu du Sénégal, ce jeune père de famille étudie à l’université de Metz. Entendant son ami ouvrir son cœur, Maryam prend la parole, à son tour : « Ah, moi aussi j’avais fait une croix dessus. C’est fantastique, je vais gagner en autonomie ; j’en rêvais ! », dit-elle en enserrant sa longue canne blanche.

Sheik et Maryam sont venus en bus du campus de l’université de Metz, avec leurs amis Awa et Chérubin. Arrivés à l’entrepôt du Secours populaire, 2 500 mètres carrés en périphérie de la ville, ils ont été accueillis par Marie-Françoise Thull, la secrétaire générale de la fédération de Moselle du Secours populaire, et par Kim Vuong, qui s’investit beaucoup auprès des étudiants au Secours populaire.

Des étudiants doublement en difficulté

Marie-Françoise et Kim ont invité ces jeunes pour leur remettre du matériel dont ils ont doublement besoin, en tant qu’étudiants aux conditions de vie précaires et en tant que personnes vivant avec une déficience visuelle. « En France, environ 12 millions de personnes vivent avec un handicap, parmi lesquelles 1,5 million avec une déficience visuelle et qui subissent directement la fracture numérique. Or, dans un contexte où le numérique conditionne l’accès aux droits et à la citoyenneté, l’accessibilité numérique est devenue un droit fondamental », justifie Marie-Françoise Thull.

Face à eux, sur une table, sont disposées des cannes blanches, des télécommandes qui permettent d’interroger les heures de passage des bus, lorsque leurs détenteurs passent près d’une station de bus. L’appareil permet aussi de faire passer au vert les feux piétons. « C’est très pratique et très sécurisant », confie Sheik, qui fait une démonstration à ses amis.

L'isolement et l'interruption de la vie de campus pèse fortement sur la santé mentale des étudiants, selon l'enquête de l'Observatoire de la vie étudiante.

L’isolement et l’interruption de la vie de campus pèsent fortement sur la santé mentale des étudiants, selon l’enquête de l’Observatoire de la vie étudiante

 


Il y a aussi une série d’ordinateurs à commande vocale et, le plus attendu : des machines électroniques de prise de notes en braille. Elles sont sans écran mais leurs utilisateurs peuvent vérifier avec leurs doigts ce qu’ils écrivent car une ligne en relief retranscrit en direct les mots qu’ils tapent sur le clavier. C’est ce dernier appareil qui a ému Sheik et Maryam : « Cela va tout changer. »

Avec cet appareil, je vais maintenant gagner un temps précieux.

Awa, étudiante et membre de PopHandicap

« Pour le moment, nous sommes tributaires de la prise en notes intégrale des cours par les services de l’université. C’est bien, mais il faut toujours faire des démarches pour les obtenir, c’est compliqué », raconte Maryam, qui est en première année de droit. Elle s’est faite très élégante pour l’occasion, avec un joli sac à main dont la chaîne dorée est passée de manière très étudiée sur son épaule.

« Jusqu’ici, je me servais d’une grille et d’un stylet pour prendre mes notes en braille à la main. Maintenant, avec cet appareil, je vais gagner un temps précieux », sourit Awa, qui est en master de sociologie. L’appareil de prise de notes coûte environ 1 000 euros. Au total, dix étudiants ont reçu des appareils adaptés à la déficience visuelle pour un total de 37 000 euros. L’opération a été financée grâce au legs d’une assurance-vie de la part d’une fidèle donatrice.

PopHandicap réunit des étudiants autour du Secours populaire

Tous les jeunes présents font partis de PopHandicap, un groupe mis sur pied sur le campus de Metz par le Secours populaire pour favoriser l’inclusion des personnes en situation de handicap. « Nous commençons par la déficience visuelle, mais notre ambition est d’étendre le groupe à d’autres types de handicap », précise Kim Vuong.

Afin de favoriser l’inclusion sociale des personnes porteuses de handicaps, PopHandicap a déjà organisé trois journées de sensibilisation aux déficiences visuelles et travaille à la mise en place d’un partenariat avec les bibliothèques-médiathèques de Metz pour y poursuivre ces actions de sensibilisation.

L'alimentation de près de un étudiant étranger sur deux a été affectée par le premier confinement, selon l'enquête de l'Observatoire de la vie étudiante.

L’alimentation de près d’un étudiant étranger sur deux a été affectée par le premier confinement, selon l’enquête de l’Observatoire de la vie étudiante


L’un de ses membres, Chérubin, malvoyant, s’est beaucoup investi dans l’opération de fourniture de matériels adaptés. À cette occasion, il retrouve l’un des fondateurs de PopHandicap, le restaurateur Jean Dib Ndour, dont l’établissement est l’un des points de rencontre des étudiants étrangers en ville.

Le Secours populaire m’a impressionné. Ses bénévoles ont toujours été présents sur le campus.

Chérubin, membre de PopHandicap

« Lors du premier confinement, ils m’ont alerté sur leur précarité. Les étudiants étrangers ne disposent pas de l’appui de leur famille et sans petits boulots, ils avaient faim. » Le restaurateur a alors organisé une collecte alimentaire, avec un grand succès. Après avoir réalisé des distributions auprès de nombreux étudiants, il est entré en contact avec le Secours populaire.

« Le Secours populaire m’a impressionné parce que ses bénévoles ont toujours été présents sur le campus, malgré la pandémie », se rappelle Chérubin, qui à la suite de cette expérience a voulu devenir bénévole pour apporter sa contribution. « Je me suis dit que je pouvais plus particulièrement intervenir auprès des étudiants porteurs de handicaps », indique le jeune homme de 32 ans, qui étudie le droit.

La situation des étudiants inquiète de plus en plus 

Sur les campus de Lorraine, les étudiants qui ne reçoivent pas d’aide de leur famille ont un reste à vivre « compris entre 3 et 8 euros par semaine », selon les épiceries sociales étudiantes (France 3, 24.03.20). Un seuil qui les qualifie largement pour recevoir une aide du Secours populaire. « Quoi qu’il arrive, nous devons toujours manger et nous loger. Depuis quelques mois, on jongle pour payer les loyers de nos chambres étudiantes, et les impayés s’accumulent », prévient Chérubin.

La situation des étudiants est si grave qu’un rapport parlementaire, d’un côté, et un avis du Conseil économique, social et environnemental, de l’autre, viennent tous deux de lancer un cri d’alarme sur cette question qui va se poser cruellement en 2021.

Les membres de PopHandicap lors de la remise de matériels informatiques par le Secours populaire.

Les membres de PopHandicap lors de la remise de matériels informatiques par le Secours populaire.

 

A Metz, les bénévoles ont apporté du matériel informatique aux étudiants les plus précaires