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A Langatte, les étudiants se jettent à l’eau

Mis à jour le par Olivier Vilain
Bénédicte est tout sourire. Pagaie en main, l'étudiante venue du Togo dirige son canoë vers le rivage : « J’ai dépassé ma peur de l'eau ! Je l'ai dépassé ! » Elle n'est pas prête d'oublier le séjour de vacances organisé par le Secours populaire. ©JM Rayapen/SPF

Paul, Raphaël, Bénédicte, Cynthia, Ishan, Farida, Wijdane et Nouskat ont passé 4 jours de détente, en juillet, au bord de l’étang du Stock, à Langatte, en Moselle. Ils étudient à Mulhouse ou Colmar et sont tous étrangers. Comme de nombreux étudiants, ils sont confrontés à la précarité. Bénévole à Colmar, Najla accompagne ces étudiants durant ce séjour organisé par le Secours populaire depuis deux étés pour leur permettre de se changer les idées et de décompresser après les cours, les révisions et les petits boulots. 

« J’ai dépassé ma peur ! » Bénédicte, une étudiante de 23 ans venue du Togo, est comme transportée. Un grand sourire illumine son visage. Devant elle, l’étang du Stock, à Langatte (Moselle) sur lequel d’autres étudiants aidés, comme elle, par la fédération du Haut-Rhin du Secours populaire terminent leur matinée de découverte du canoë. Sur le débarcadère qui n’arrête pas de tanguer, Bénédicte se tient aux côtés de son amie Cynthia, qui comme elle est grande et portent de longues tresses. Cette dernière explique : « Au début, quand je suis rentrée dedans, le canoë bougeait dans tous les sens, j’ai eu peur. Et puis, une fois sur l’eau, c’était super agréable. Maintenant, je me dis que j’aurais dû monter dès le début dedans. »

A la mi-juillet, Bénédicte, Cynthia et six autres étudiants confrontés à la précarité ont passé 4 jours au camping de Langatte. Les vacances ont commencé par deux heures de canoës « insubmersibles », à la fois lourds, larges et d’un jaune éclatant. Sur le rivage, très vite, les équipes de deux ou trois sont constituées, les embarcations sont mises à l’eau et tout le monde pagaie joyeusement. Les jeunes s’éloignent du rivage, jusqu’à être cachés par un coude de terre. Soudain des « aaaaah » des « maiiiis », un peu paniqués s’élèvent de derrière la masse de roseaux qui bouche la vue. Trois pagayeurs se sont accrochés dans les roseaux qui bordent l’étang. Leur canoë tangue, à gauche, à droite, encore, et puis se stabilise. Personne ne tombe à l’eau. Paul*, qui ne sait pas nager, en rigolera une fois revenu à terre : même cette petite frayeur ne l’a pas empêché de profiter de la sensation de glisse sur l’eau ni du spectacle des bleus du ciel et de l’eau, du vert des coteaux.

Reprendre des forces au contact de la nature

Paul, comme le reste de l’équipe, est équipé d’un gilet de sauvetage. Au départ, Bénédicte et Cynthia ne s’étaient pas hasardées à aller sur l’eau, canoë insubmersible ou pas, gilet ou pas… Elles n’ont jamais appris à nager et rien que le fait de se tenir sur le débarcadère les apeure. Il bouge légèrement. A chaque vague, elles poussent de petits cris, s’accrochent l’une à l’autre. Le temps passe, elles se détendent et circulent, petit à petit, sur toute la surface de cette avancée sur l’étang. Ce qui domine alors est le plaisir de se prendre en photo, d’interpeller les pagayeurs qui passent à leur portée pour les interroger sur leurs sensations. Elles finissent par demander à l’animateur de l’activité de les emmener faire un petit tour sur son canoë. Elles enfilent les gilets, et cherchent à garder l’équilibre en montant dans l’embarcation… Très vite aux anges, elles rient avec Wijdane, qui ne sait pas non plus nager. Mais qui s’est lancée dès le départ sur l’eau, d’abord sur un canoë, puis sur un paddle, plus instable. Après des débuts timides, l’étudiante pleine d’énergie venue du Maroc est radieuse, assise en tailleur bien au milieu de la planche, elle zigzague sur toute la surface de l’étang.

Le programme du séjour à Langatte était riche (canoë, pédalo, parc animalier, balade en ville, bowling, pique-nique, etc.). Une bouffée d'oxygène pour 8 étudiants étrangers précaires, qui sont obligés de se priver de loisirs durant l'année.
Le programme du séjour à Langatte était riche (canoë, pédalo, parc animalier, balade en ville, bowling, pique-nique, etc.). Une bouffée d’oxygène pour 8 étudiants, qui souvent se privent de loisirs durant l’année. ©JM Rayapen/SPF

Une partie des étudiants est partie en van de Mulhouse, le 18 juillet. La fine équipe a été complétée en passant à Colmar. « Certains étudiants présents rencontrent des difficultés financières », observe Najla, qui les accueille habituellement à La Dépanne, la permanence du Secours populaire à Colmar destinée aux étudiants. Ils viennent y chercher des denrées alimentaires indispensables et une aide administrative précieuse. Le Secours populaire accueille une soixantaine d’étudiants à Colmar et au moins le double à Mulhouse.

« Quand je suis arrivée en France en octobre 2021, j’ai eu à faire des tas de démarches administratives compliquées, même pour ma carte d’étudiante. Heureusement, les bénévoles m’ont accompagnée pendant un an car c’était très difficile de m’y retrouver », témoigne l’une des vacancières de 4 jours. Obtenir sa complémentaire santé lui a pris beaucoup de temps et généré beaucoup de stress « parce qu’à l’hôpital, les soignants refusent parfois de nous prendre en charge quand on ne leur présente que l’attestation prouvant qu’on a entamé la démarche pour l’obtenir ».

Leurs conditions de vie sont particulières sévères

Najla est très présente auprès de ces jeunes, au cours de l’année. Elle connaît bien leur situation : « Les étudiants nés dans d’autres pays sont assez isolés, ici. Leur emploi du temps étant très contraint entre les cours, les révisions et les incontournables petits boulots. » Certains perçoivent de l’aide de leurs parents, pas tous. Ceux de Cynthia vivent en Côte d’Ivoire : « Le franc CFA est si faible par rapport à l’euro que m’envoyer de l’argent serait une perte sèche : ça leur coûterait très cher et une fois converti en euros, ça serait comme si je n’avais rien reçu. » Discutant sur la terrasse d’un de leurs deux chalets, Najla se réjouit : « Ils soufflent bien pendant ces 4 jours. » Langatte est à 200 km de chez eux et chaque participant n’a déboursé que 20 euros (le solde ayant été apporté par le Secours populaire). L’été dernier, Najla avait accompagné au même endroit des étudiants aidés par le Secours populaire : tir à l’arc, piscine, hammam… « ça s’était déjà très bien passé ».

Au parc animalier de Sainte-Croix, les étudiants et étudiantes ont observé les oiseaux, les ours, les rennes... L'occasion de sentir la beauté de la nature, avant de reprendre une année très active entre cours, révisions et petits boulots.
Au parc animalier de Sainte-Croix, les étudiants et étudiantes ont observé les oiseaux, les ours, les rennes… L’occasion de sentir la beauté de la nature, avant de reprendre une année très active entre cours, révisions et petits boulots.

Au parc animalier de Sainte-Croix, les étudiants et étudiantes ont observé les oiseaux, les ours, les rennes… L’occasion de sentir la beauté de la nature, avant de reprendre une année très active entre cours, révisions et petits boulots.


L’année dernière, « je n’avais pas pu poser mes congés à temps » , regrette la jeune femme que le Secours populaire avait aidé dans ses démarches administratives : « je ne pouvais pas quitter au dernier moment mon poste à la caisse » de l’hypermarché, où elle travaille chaque semaine. « Cet été, j’ai sauté sur l’occasion quand Najla m’a proposé le séjour », s’amuse de son côté Farida, qui est venue d’Algérie il y a deux ans. C’est le moment de mettre à distance les privations et les angoisses. Les privations ? L’un des participants confie qu’elles ont été sévères avant de pousser les portes du Secours populaire : « J’étais obligée de sauter des repas. C’était vraiment très dur. » Les denrées qui restent le moins cher, « c’est quand même les féculents ou les trucs sucrés, c’est ce qui est le plus mauvais pour la santé », se plaint Wijdane, qui cherche à manger plus de légumes et de fruits.

L’étudiante qui travaille comme caissière témoigne de l’importance de La Dépanne à Colmar : depuis deux ans, « ça me permet d’avoir du sucre, de l’huile, de la farine, des légumes ; ça me permet de tenir, parce qu’il y a aussi le transport à payer, les vêtements d’hiver, les fournitures… » La Dépanne complète son budget constitué par l’aide d’un parent vivant en France, par sa bourse d’étude — insuffisante — et par ses 10 heures en caisse hebdomadaires.

Nouskat est étudiante et bénévole au Secours populaire

Depuis son poste de travail, cette dernière a vu les prix alimentaires monter. « Quand je fais mes courses, mais aussi à ma caisse, j’entends les clients parler des prix qui montent, je vois les quantité dans les chariots qui diminuent. » C’est ce qui l’a le plus étonnée : découvrir que la vie n’est pas facile pour tout le monde ici aussi. Elle même en master, Nouskat accompagne les autres étudiants, avec Najda. Elle a fait découvrir sa belle voix en chantant des airs malgaches et d’Anjouan. La jeune femme est bénévole dans plusieurs associations, dont le Secours populaire où elle participe aux « marchés des étudiants », ces grandes braderies où les jeunes se fournissent, notamment en vêtements à prix cassés. « Le bénévolat me fait connaître plein de choses, c’est une richesse. »

Moments de relâchement et d'insouciance. A travers les activités, organisées ou spontanées, les étudiants ont créé des liens. Des liens qu'ils comptent bien entretenir durant l'année, après les éclats de rire de cet été.
Moments de relâchement et d’insouciance. A travers les activités, organisées ou spontanées, les étudiants ont créé des liens. Des liens qu’ils comptent bien entretenir durant l’année, après les éclats de rire de cet été.

Les petits budgets des étudiants tiennent grâce à l’aide des bénévoles mais aussi par la privation de sorties. « Actuellement, le problème c’est surtout les loisirs. J’aimerais aller au théâtre, au ciné, au musée… mais c’est au-delà de mes possibilités », réfléchit tout haut la jeune femme qui tient à l’anonymat. Ses seuls moments de détente sont des balades avec des ami.e.s, une tablée à la pizzeria. « Je n’ai pas pris de vacances depuis mon arrivée en octobre 2021. J’ai la nostalgie de mon île, car c’est la première fois que je vis sans ma famille. » Alors le séjour au camping tombe à point nommé. Elle n’avait jamais fait de pédalo, de canoë, de bowling… « Tout ça, je découvre et il y a la nature, tout ce vert qui nous entoure. On est détendu, ça change du stress du quotidien. Ces quelques jours sont très bénéfiques. »

Un avis partagé par Farida, 29 ans. Comme la plupart des étudiants du séjour, elle passe en seconde année de master en marketing et ingénierie de réseau de franchise. « Quand je travaille à McDo, les clients ne peuvent pas s’en douter… » La jeune femme, qui rit abondamment, est prête « à pas mal de sacrifices pour obtenir un diplôme français qui permet de travailler dans plein de pays ». Alors les moments d’insouciance au camping sont les bienvenus. Tous les participants au séjour repartent avec ses petits moments de bonheur, bien décidés à continuer à se voir durant leur dernière année d’étude.

* Ce prénom a été modifié à la demande de la personne

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