En mobile homes à Rambouillet, c’est pas la vie de château

Mis à jour le par Olivier Vilain
Cathy. Mobile home. Extérieur.
Cathy, à l'extérieur de son mobile home, dans la Résidence des Bréviaires, près de Paris, où elle est employée et où des centaines de familles vivent à l'année. Plusieurs vont chercher de l'aide au Secours Populaire ©Nathalie Bardou / SPF

En bordure de forêt de Rambouillet, un millier de personnes vivent en mobile homes, y compris en hiver en pleine vague de grand froid. Artisans, travailleurs précaires, retraités, personnes en migration, la plupart s’installe là car le logement est en crise et le parc social trop rare. Très présentes, l’entraide et la convivialité ne peuvent pas faire oublier les conditions de vie difficiles.

Rambouillet. Son château. Ses grandes propriétés. Ses mobile homes à l’année. À 15 km du centre-ville, un millier de personnes vivent dans près de 330 mobile homes aux Petites-Yvelines, l’un des hameaux du village des Bréviaires. Confrontés à une grande précarité, soixante résidents vont, toutes les semaines, chercher de quoi manger à l’antenne du Secours populaire du Perray-en-Yvelines, située à 5-6 km de là.

Château, étangs, forêt, grandes propriétés et 330 mobile homes

Ouvert au milieu des années 1960 pour accueillir des touristes, en bordure du célèbre massif forestier et des étangs de Hollande, le camping de 7 hectares est devenu un lotissement de plein air, en copropriété avec mises en location.

Après une séparation douloureuse, une expulsion traumatisante, une baisse de revenus cruelle, les catégories populaires voient se refermer devant elles la porte du parc privé traditionnel. « Il faut un salaire stable pour louer un logement. Sinon, c’est impossible », souligne Mariana, venue de Moldavie avec son compagnon et leur jeune fils. Pour trouver un emploi, la jeune mère de 22 ans prend des cours pour maîtriser le français.

Mobile homes. Voiture. Ancien camping.
L’hiver, les coupures d’électricité plongent l’ancien camping-caravaning dans les rigueurs du froid et du gel ©Nathalie Bardou / SPF

Les personnes rejetées par les bailleurs privés se tournent vers le logement social mais il faut des années pour qu’un appartement se libère. « Il y a très peu de HLM dans les environs », confirme Corinne, l’une des bénévoles de l’antenne. Arrivée avec ses deux enfants en 2011, Séverine s’est installée en catastrophe chez sa mère qui vivait déjà dans le lotissement. « Ils ont grandi, maintenant ils ne vivent plus là. » Aux Petites-Yvelines, Mariana, Séverine et tant d’autres ont pu trouver rapidement un toit à mettre au-dessus de leur tête. Les conditions sont, en effet, beaucoup plus souples que celles exigées par les agences immobilières (tant en termes de ressources que pour les cautions).

Les températures chutent, les radiateurs électriques disjonctent

Certaines installations offrent un hébergement confortable, mais pas les caravanes des années 1970, oubliées là, ou les quelques cabanes aux planches plus ou moins disjointes. Séverine n’est pas la mieux lotie : « J’ai beau avoir des doubles vitrages – si, si –, mais les murs et le plafond ne sont pas du tout isolés », confie-t-elle lors de son passage, fin novembre, à la permanence du Secours populaire. La résidente de 47 ans en est repartie avec de quoi manger pour la semaine, comme d’habitude, mais surtout avec une couverture, un pull et un manteau qu’elle a rangés avec soulagement dans son petit chariot. « Les nuits commencent à être froides… »

Le pire quand les températures baissent, c’est que l’installation électrique disjoncte, mettant les radiateurs au chômage technique. « Sans une cheminée d’appoint, c’est un cauchemar ! », pointe Tatiana. La tension ne peut pas être remise avant un délai minimum de quatre heures, sinon les câbles du transformateur peuvent prendre feu. « Si la coupure arrive la nuit, reprend Séverine, au réveil on est congelé dès qu’on sort du lit. » Sans parler de la douche à l’eau froide ou des aliments du congélateur qui risquent de se perdre.

18e baromètre de la pauvreté et de la précarité Ipsos / Secours populaire français – édition 2024 : « Le coût du logement continue de fragiliser les familles, à un niveau jamais mesuré auparavant : 38 % rencontrent des difficultés à payer leur loyer ou leur emprunt immobilier (+4 points). »

En 2020, les résidents ont même vécu cinq mois sans électricité. « On n’a pas assez d’argent pour prendre un meilleur logement ailleurs », lâche Tatiana, résumant l’absence de choix d’une partie des locataires. C’est ce que disait déjà, il y a plusieurs années, une résidente se faisant appeler Angélique quand les coupures de courant l’obligeaient à recharger son téléphone au supermarché de Coignières. Sans compter que « changer les couches à la bougie, ce n’est pas la joie », soupirait la jeune femme qui était alors la mère d’un enfant en bas âge (Le Parisien, 28.10.20).

« On n’a pas l’argent pour prendre un logement ailleurs »

Philippe, président du conseil syndical de la copropriété et motard averti, discute depuis des années avec les pouvoirs publics pour régler le problème des coupures. Conçu pour une consommation légère à la belle saison, le système électrique fournit une charge de 1200 ampères. « Il en faudrait le triple pour 330 emplacements en hiver », souligne le jeune retraité très attaché à la convivialité qu’il a trouvée dans le lotissement, entre coups de main et barbecues avec les voisins. En attendant, Didier, un retraité gouailleur, hésite à allumer sa cafetière, quand il fait froid le matin. « En appuyant sur le bouton, vous pouvez tout faire disjoncter »…

Sur le plan national, le Secours populaire a aidé 37 000 personnes à accéder à un logement ou à s’y maintenir en 2023. L’activité des bénévoles du Perray-en-Yvelines n’entre pas dans ce chiffre. Ils assurent principalement une aide alimentaire, textile et proposent des séjours de vacances. « Inoubliable ! C’était inoubliable ! », se rappelle Didier (voir son portrait). Les mots du retraité de 68 ans fusent quand il évoque la semaine passée, il y a deux ans, a visiter les marchés de Noël en Alsace. La fédération des Yvelines est en train de programmer le passage au lotissement d’une antenne mobile, appelée Solidaribus, afin de faire le point auprès des résidents sur leurs accès aux droits sociaux.

Didier. Mobile home. Retraite. Poêle.
Didier, assis à la table de son mobile home, dans la résidence des Bréviaires, près de Paris. Il se tient devant un Bouddha et son poêle à bois ©Nathalie Bardou / SPF

Beaucoup de résidents possèdent des véhicules, souvent des utilitaires pour travailler sur les chantiers, sur les marchés ou en tant qu’artisans. L’isolement du site pénalise ceux qui n’ont pas de voitures. Il y a bien une ligne de bus à proximité, « parce qu’on a lutté pour l’obtenir », rappelle avec fierté Catherine, qui n’a pas le permis. « Le trajet coûte 2,50 euros et tout le monde n’en a pas les moyens », insiste-t-elle en soufflant la fumée de sa cigarette.

Apprentis dès 16 ans, la retraite de Didier suffit à peine

Le bus passe surtout le matin et le soir. Et encore, en périodes scolaires, sinon ils sont encore plus rares. « Pendant les vacances, c’est l’enfer », compatit Didier. Pour le moment, sa Renault Modus, sortie d’usine il y a 20 ans, tient encore le coup. « Quand il y a des bricoles à arranger dessus, c’est compliqué pour mon budget. » Il ne s’en sert jamais pour aller chez le docteur : cette partie de la vallée de Chevreuse est un désert médical.

Didier a acheté un emplacement et un mobile home cosy en 2020. La solution s’est imposée quand il s’est éloigné de sa femme. Même en ne dépensant que le strict nécessaire, sa retraite, d’environ un SMIC, suffit à peine même si, à partir de 16 ans, il a fait « tous les métiers », dans la restauration, le BTP, et même la pêche au gros dans l’océan Indien. « J’étais plus jeune, plus mince et plus moustachu », sourit-il en ouvrant son album photos, adossé à son poêle à bois à proximité duquel veille une statue de Ganesh ramenée de l’île Maurice.

A LIRE : « Dans la banlieue de Toulouse, le Secours populaire a passé un partenariat avec le bailleur social de la ville de Colomiers. Il accompagne les locataires dès le premier impayé de loyer, coupe court à la galère et empêche les expulsions. »

Le co-voiturage s’organise entre voisins pour aller à une gare, à la maternelle, à l’école primaire, faire les courses, pour aller au travail ou pour en chercher… Tous les mardis, Didier conduit sa voisine Tatiana au Secours populaire du Perray-en-Yvelines. « Il faut s’entraider dans notre situation, souligne le retraité qui arbore un superbe chapeau de chasse en feutrine vert bouteille, avec plume de faisan. Quand je fais une petite chose pour aider, ça remplit ma journée. »

A pied, en bus ou en voiture, le Secours populaire est à 6 km

« Attends Didier, j’arrive ! » Sous une pluie battante, Tatiana s’éloigne du coffre de la voiture de Didier où elle vient tout juste de poser les victuailles qu’elle a récupérées. Elle arrive à la hauteur de son voisin qui pose précautionneusement sa canne à chaque pas, de peur de glisser sur la boue. « Va pas tomber », ajoute-t-elle avec le sourire, avant de repartir vers la Modus avec le cabas plein à ras bord qui déséquilibrait un peu son chauffeur au grand cœur.

Comme Séverine ou Tatiana, Mariana s’est débrouillée pour venir au libre-service alimentaire. Les bénévoles l’ont vue pendant de longs mois venir à pied depuis son mobile home, avec Bogdan, qui a aujourd’hui un peu plus de 3 ans. La jeune femme continue d’emmener son fils à pied à la maternelle, « quand il n’y a pas de bus ». Dans tous les cas, elle met entre 30 et 40 minutes à l’aller comme au retour. Les enfants d’Oxana vont à l’école primaire aux Bréviaires. Son mari les emmène en voiture, « en prenant au passage les petits voisins ».

Des enfants balaient les feuilles mortes tombées dans l’allée près de leur maison, Leur père les emmène le matin, eux et les petits voisins, à l’école en voiture ©Nathalie Bardou / SPF

A 15 ans, le fils de Tatiana n’en bénéficie pas. Son lycée est bien plus loin, à Rambouillet. « L’autre jour, le bus n’est pas passé. Il est resté à la maison », déplore la jeune femme qui cherche un contrat à durée déterminée en comptabilité. « J’ai un rendez-vous demain, ça va me prendre la journée. Nous sommes loin de tout. »

Les prix de location d’un mobile home sont inférieurs à ceux affichés par les agences immobilières des environs (700 euros pour un meublé au Perray, 900 euros pour un deux-pièces à Chevreuse…). Mais l’écart est assez faible, une fois pris en compte les charges locatives de 120 euros par mois, dues à la station d’épuration du lotissement qui retraite les eaux usagées des résidents. La facture d’électricité est aussi élevée (80 euros par mois pour une personne seule, c’est quatre fois le prix de la consommation pour un logement dont le chauffage n’est pas électrique). Les impayés se sont multipliés et plus de 150 habitants se sont retrouvés en contentieux.

Les flocons tombent : « Cette nuit, ça va couper, c’est sûr »

Cette situation reflète la précarité à laquelle sont confrontés nombre de résidents. Ils sont arrivés, pour la plupart, en deux vagues, en 2010, après la crise économique internationale, puis en 2018, année de la grande protestation des Gilets jaunes contre la vie chère. « Avec ces prix élevés, beaucoup de familles repartent après le premier hiver à chauffage épisodique », observe Catherine.

Les chiffres clés de la précarité énergétique (Ademe, 2024)

Ces conditions de location ont fait réagir Jacques Formenty, le maire sans étiquette des Bréviaires : « Certains propriétaires qui louent leur caravane ne sont pas loin d’être des marchands de sommeil. » La mairie veut limiter le nombre de résidents, ce qui inquiète Didier. « Le risque d’être exproprié n’est pas exclu. On vit dans l’inconnu. » Le lourd ciel d’hiver s’assombrit sans laisser voir les étoiles. L’obscurité enveloppe le lotissement, à mesure que tombent les premiers flocons de neige de l’année. Didier, Philippe, Catherine le savent : « Ça va couper cette nuit, c’est sûr. »