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De l’Essonne au Népal, les yeux ouverts sur le monde

Mis à jour le par Pierre Lemarchand
Neuf jeunes accompagnés par la fédération de l’Essonne du Secours populaire sont partis au Népal du 22 octobre au 4 novembre, dans le cadre d’un échange culturel et solidaire. ©Solène Guittonneau/SPF

À la suite des séismes qui ont ravagé une partie du Népal en 2015, le Secours populaire et son partenaire local UEMS ont reconstruit deux écoles de la région de Katmandou. Leur attachement commun à l’accès à l’éducation leur a fait imaginer un programme d’échange culturel et solidaire entre jeunes Népalais et jeunes Français accompagnés par la fédération de l’Essonne. Cette expérience fraternelle offre aux uns comme aux autres une ouverture sur le monde inespérée et ancre leur désir de construire un monde plus juste et plus solidaire. A l’occasion de la Journée mondiale de l’éducation, nous en contons l’histoire.

« Comme tous les Népalais, je ne veux pas me souvenir du printemps 2015 », nous confiait Prem Singh Maharjan, président de UEMS, l’association partenaire du Secours populaire au Népal. Une série de séismes avait alors meurtri profondément la région de Katmandou et entraîné de funèbres décomptes – 90 000 morts, 200 000 blessés, 500 000 maisons détruites. Mais Prem a trouvé du réconfort dans l’immense solidarité qui s’est ensuivie et dans laquelle le Secours populaire a pris toute sa part. C’est dans la reconstruction de deux écoles que les partenaires se lancent alors. L’école Shree Rudrayanee à Kokhana est d’abord réhabilitée et, dans la foulée, grâce aux efforts de la fédération du Secours populaire de l’Essonne qui s’y investit totalement, l’école Shree Siddhi Mangal à Mahalaxmi. Les travaux de réhabilitation puis d’agrandissement de cette dernière durent près de quatre années, lors desquelles les bénévoles essonniens sensibilisent et collectent sans relâche afin de réunir les sommes nécessaires pour que l’école puisse accueillir plus d’élèves et dans de meilleures conditions. Au printemps 2019, une grande fête célèbre la renaissance de l’école Sidddhi Mangal, ses douze classes, sa bibliothèque, son laboratoire de sciences et sa belle salle polyvalente. « Lors de l’inauguration, nous nous sommes dit que nous voulions créer des liens durables et solidaires avec les Népalais », se souvient Solène Guittonneau, chargée de communication à la fédération du Secours populaire de l’Essonne. Naissent alors des actions de solidarité en direction des personnes âgées, des orphelins ou des femmes aidées par UEMS. Ainsi qu’un programme d’échanges entre dix jeunes Népalais étudiant dans les deux écoles reconstruites, et autant de jeunes Essonniens.

« Je suis un peu timide, mais j’ai réussi à m’ouvrir. Ce voyage m’a changée. »

« Ce sont des jeunes dont les familles sont aidées par les antennes du Secours populaire d’Orsay, de Massy ou des Ulis, éclaire Solène quant à la constitution du groupe. Ils ont entre 14 et 16 ans et sont scolarisés de la 4ème à la 1èreCe sont des jeunes en situation de précarité. Ils ont pour point commun d’être motivés par la solidarité, en particulier la solidarité internationale. » C’est en 2023 – car la pandémie et ses confinements ont ralenti sa mise en œuvre – que le projet d’échange voit le jour. Le programme savamment concocté par l’équipe essonnienne du Secours populaire pour accueillir les enfants népalais allie découverte du pays et tissage de liens durables et solidaires avec les jeunes Français. Ces deux semaines inoubliables se déroulent au mois de février. Grimper en haut de la tour Eiffel, filer le long de la Seine en bateau-mouche, faire une chasse au trésor sur le Champ de Mars : voici quelques fragments de leur séjour à Paris, lors duquel les invités sont accueillis dans des familles de bénévoles. Est également organisée une échappée sur les plages normandes. Molka, lycéenne de 17 ans qui vit aux Ulis, s’en souvient bien : « On a mis nos pieds dans l’eau même si elle était hyper gelée. Les Népalais étaient tellement heureux – nous l’étions aussi, c’était un moment empli de joie ». Kristina, 15 ans, qui étudie à l’école Shree Rudrayanee en 9ème année (l’équivalent de la 3èmefrançaise), n’oubliera jamais ce moment. « C’est la première fois que je voyais la mer. Ce jour-là, j’ai pris des photos pour m’en souvenir toujours. Sur la plage, nous avons chanté des chansons et joué à des jeux ensemble, Français et Népalais, pour nous découvrir », témoigne-t-elle.

En février 2023, les dix jeunes Népalais (dont Kristina, en rose) ont découvert Paris. ©Solène Guittonneau / SPF

Kristina et ses amis feront, lors d’une deuxième semaine organisée près de Gérardmer dans les Vosges, une autre grande découverte : celle du ski. Mais son plus beau souvenir, nous confie-t-elle, est autre. « Ce que je garde dans mon cœur, c’est de m’être fait des amis français. Nous avons parlé, joué et ri ensemble, découvert nos cultures et nos langues, raconte la jeune Népalaise. Je suis un peu timide, mais j’ai réussi à m’ouvrir. Ce voyage m’a changée, m’a permis de prendre confiance en moi. » Cette semaine dans l’Est est placée sous le signe de « Copain du Monde », le mouvement d’enfants et jeunes bénévoles du Secours populaire. « Nos vingt jeunes y ont retrouvé dix autres, originaires de Moselle. Ensemble, ils ont skié et visité la région, mais aussi beaucoup discuté de solidarité, fait des veillées. L’idée était qu’ils puissent passer le plus de temps ensemble à échanger, se rencontrer », éclaire Solène. Forts de ces liens tissés, les jeunes Essonniens sont devenus de véritables ambassadeurs de la solidarité internationale. Régulièrement, ces jeunes « Copain du Monde » se retrouvent afin d’organiser des opérations de sensibilisation et de collecte pour le Népal. « Avec ma grande sœur Nour, nous sommes bénévoles, affirme Molka. Le fait d’être aidées, ça nous a donné envie d’aider les autres. Avec les autres jeunes, on a organisé une vente de gâteaux sur le marché des Ulis et une vente d’artisanat népalais à l’université d’Orsay, où nous avons présenté UEMS et nos projets. »

« Même si on ne parlait pas la même langue, on a créé un lien d’amitié. »

« Le dépaysement et l’aventure ont commencé dès la descente de l’avion, s’enthousiasme Molka. La chaleur, la foule, les couleurs, rien n’était pareil, nous étions bouche bée. » Le 22 octobre, les jeunes atterrissent à Katmandou, où ils resteront jusqu’au 4 novembre. « Prem et les jeunes nous ont fait un accueil incroyable. Ils nous ont mis l’écharpe traditionnelle autour du cou, c’était très touchant. Nous étions heureux de nous revoir », poursuit-elle. Le programme a été préparé avec grand soin par UEMS – « Je crois qu’on a visité Katmandou dans tous les sens ! », s’amuse Molka, qui énumère ensuite la découverte du Temple des singes, les paysages à couper le souffle, la randonnée « d’au moins dix heures » dans les montagnes et la qualité de l’air qu’on y respire, l’apprentissage des danses et de la cuisine népalaises, les moments passés chez l’habitant, les costumes magnifiques. Car tout le Népal vit alors au rythme des fêtes populaires de Dashain, quinze jours de célébration de la victoire sur les forces du mal par Durga, super déesse créée à partir de la puissance conjuguée de trente dieux du panthéon hindou. « Nous fêtons la victoire du bien sur le mal », résume Kristina ; quel plus beau décor pour célébrer une amitié par-delà les frontières, pour accueillir de jeunes ambassadeurs de la solidarité ? Solidarité qui est bien sûr à l’ordre du jour : la découverte des projets d’accès à l’eau conduits par UEMS, ainsi que la visite des deux écoles reconstruites sont parmi les temps forts du séjour. 

« Ça nous a sorti de notre zone de confort et ouvert les yeux sur le monde. »

A l’école Siddhi Mangal, les jeunes Essonniens remettent au directeur la somme d’argent qu’ils ont collectée. C’est ce jour qui demeure le plus marquant pour Molka. « Avec les petits écoliers, on a joué : la ronde, Un, deux, trois soleil… On a dessiné ensemble, peint sur les murs. Ils étaient si attachants que ça a été très dur de les quitter à la fin de la journée. Même si on ne parlait pas la même langue, on a créé un lien d’amitié. » Tout comme Kristina, ce qui constitue les plus précieux de ses souvenirs, plus que les paysages ou les monuments, ce sont les rencontres fraternelles. Solène, qui accompagnait les jeunes lors du séjour au Népal, se souvient elle aussi parfaitement de cet après-midi passé à l’école de Mahalaxmi. « C’était un temps de pause, nous attendions le bus qui devait nous ramener. Et là, les jeunes Français ont organisé des jeux ; ils ont fait sauter toute barrière culturelle ou de langue. C’était spontané, complètement imprévu et très beau à voir. Je me suis rendu compte à quel point ils étaient engagés. » Plus de deux mois ont passé et les jeunes ont toujours des éclats de Népal qui brillent dans la tête. « C’est une expérience qui nous a tous marqués, exprime Molka. Le Népal est un pays où les gens, la plupart du temps, survivent. Les enfants n’y mangent que deux repas par jour, ont à peine de quoi se vêtir et doivent marcher durant des kilomètres pour aller à l’école. Ça nous a sorti de notre zone de confort et ouvert les yeux sur le monde. » De la petite maison à Daschinkali où elle vit avec ses parents et étudie dur pour devenir plus tard médecin, Kristina confie quant à elle : « Cet échange m’a permis de me faire trois amis. On s’écrit souvent. On est connectés ! »

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