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Conflit en Ukraine : le monde menacé de famine

Mis à jour le par Olivier Vilain
Une famille, dont les revenus ont été impactés par la crise liée au Covid-19, se nourrit après avoir reçu une aide alimentaire de HED-Tamat. Dagaba, Niger, novembre 2021

Au Liban, au Niger, à Madagascar et ailleurs, les partenaires du Secours populaire alertent sur l’apparition de la faim depuis que l’Ukraine et la Russie n’exportent plus leurs denrées agricoles. Jusqu’à 150 pays sont en danger à des degrés divers.

L’invasion de l’Ukraine menace d’« effondrement » le « système alimentaire mondial », a averti dès la mi-mars Antonio Guterres, le secrétaire général des Nations Unies, ajoutant qu’« un ouragan de famines » s’apprête à bouleverser la planète. Le mécanisme est implacable : le blocus des ports ukrainiens et l’embargo sur la Russie rendent indisponibles le tiers des exportations mondiales de maïs et de blé, mais aussi la moitié des volumes d’huile de tournesol et d’engrais.

Plus d’une centaine de pays dépendent de ces denrées et de ces produits pour se nourrir, particulièrement au Moyen-Orient. Là-bas, les populations mangent grâce aux blés slaves, qui représentent jusqu’à des livraisons à l’Egypte. L’Afrique aussi importe près de la moitié de ses céréales auprès des mêmes fournisseurs ; la Somalie en est même dépendante à 100 %.

« Un ouragan de famines » menace « les plus pauvres »

Deux mois après le début de la guerre, la catastrophe est en cours et elle frappe « le plus durement les plus pauvres », comme l’a souligné Antonio Guterres. Les demandes d’aide transmises au Secours populaire par ses partenaires du Niger, du Liban, de Madagascar ou d’Ethiopie le confirment.

Les pays pauvres connaissaient déjà des problèmes d’approvisionnement en 2021 à cause de la flambée des prix des denrées agricoles. Le blé et l’orge avaient grimpé de 31 %. La hausse des huiles de colza et de tournesol avait été même deux fois plus forte. Avec la guerre en Ukraine, la pénurie est devenue telle que « les prix des denrées alimentaires ont bondi à un nouveau record historique en mars 2022 », calcule la FAO.

Explosions de Beyrouth : un an après, l’onde de choc continue de frapper le Liban

Deux ans après l’explosion de Beyrouth, le Liban est soumis à une crise alimentaire mondiale liée à la fin des exportations agricoles russes et ukrainiennes. Un quart de la population dépend de l’aide humanitaire.


A Beyrouth, les commerçants avaient anticipé cette flambée, dès les premiers tirs contre Kiev ou Kharkov. « L’huile et la farine avaient tout à coup disparu des marchés, raconte Hiba Antoun, directrice des programmes de DPNA, le partenaire local du Secours populaire. Ils n’ont réapparu sur les étals qu’une fois que les prix avaient grimpé. » Hors de toute proportion.

« On ne fait que deux repas par jour parce que tout est devenu trop cher, surtout les produits alimentaires importés, comme l’huile », constate amèrement Amira, foulard parme sur les cheveux. Couturière payée à la tâche, ses revenus et ceux de son mari, qui travaille avec elle, font vivre une famille de 5 personnes dans la vieille ville côtière de Saïda. En quelques mois, la situation d’Amira et de sa famille est devenue encore plus précaire, tant l’écart entre les revenus et le prix de la nourriture s’est accru. « Les jours où ma machine à coudre ne peut pas tourner, à cause des coupures de courant, on ne peut pas manger. » 

L'index des prix de l'Organisation des Nations Unies pour l'agriculture et l'alimentation a atteint un record absolu en mars dernier. Le renchérissement des denrées alimentaires limite, voire interdit, l'accès des pauvres à la nourriture.

L’index des prix de l’Organisation des Nations Unies pour l’agriculture et l’alimentation a atteint un record absolu en mars dernier. Ce renchérissement limite  l’accès des pauvres à la nourriture.


Au printemps 2020, avant l’explosion du port de Beyrouth, le kilo de farine de blé coûtait 1 200 livres libanaises, soit 5 centimes d’euro. A la fin de l’année dernière, à cause de la désorganisation des marchés agricoles par le Covid-19 et la sécheresse de grandes plaines céréalières du Canada et de Chine, le prix du kilo de farine a été propulsé à 17 000 livres (0,68 €). Il dépasse 30 000 livres depuis le déclenchement du conflit, c’est l’équivalent de 1,20 euro quand le salaire moyen n’est que de 30 euros par mois (750 000 livres libanaises).

Du Liban au Niger, les prix de la nourriture s’envolent

Les prix ont également doublé en quelques semaines au Niger. Sur les marchés d’Agadez, le bidon de 5 litres d’huile est passé de moins de 7 euros à plus de 12 euros, tout comme les 10 kg de pâtes de blé, relève Mohamed Akser, le secrétaire général de l’association Hed-Tamat, partenaire du Secours populaire : « Cette situation va fragiliser beaucoup de ménages qui ne peuvent plus acheter à manger. On constate déjà que les gens ne mangent plus à leur faim, qu’ils réduisent le nombre de repas qu’ils prennent. » Bientôt, viendront la malnutrition aiguë, chez les enfants principalement, et les maladies. Dès juin prochain, 3,6 millions d’habitants pourraient souffrir de la crise alimentaire et près de 1,3 million d’enfants de malnutrition aigüe, selon les projections de l’IPC, le forum où ONG et agences des Nations Unies partagent leurs informations sur la sécurité alimentaire.  

Le sud de Madagascar souffre tellement de la sécheresse que des villageois sur la route d'Amboasary recueillent l'eau boueuse qui stagne sur la piste, entre le passage de deux taxi-brousse.

Le sud de Madagascar souffre tellement de la sécheresse que des villageois sur la route d’Amboasary recueillent l’eau boueuse qui stagne sur la piste, entre le passage de deux taxi-brousse.


La situation est tout aussi dramatique au Liban. Selon le Programme alimentaire des Nations Unies, plus de la moitié des habitants, y compris les millions de réfugiés syriens ou palestiniens, rencontre des « contraintes sérieuses » pour s’alimenter ou serait même, sans aide extérieure, privée de nourriture. « Pour ces familles, le seul repas de la journée est souvent fourni par des cuisines communautaires et un quart de la population ne survit que grâce aux colis alimentaires », confirme Hiba au cours d’un entretien téléphonique.

Les crises se cumulent les unes aux autres

Le pays était déjà affaibli par la plus grave crise économique de son histoire, en plus de la pandémie… L’impact de cette dernière sur les systèmes alimentaires à travers le globe a été majeur. En 2020 et 2021, 155 millions de personnes supplémentaires sont ainsi tombées dans une insécurité alimentaire extrême. « La crise alimentaire déclenchée par l’invasion de l’Ukraine va affaiblir des populations à travers le monde qui sont déjà vulnérabilisées par des crises locales, la hausse des prix alimentaires, les conflits ou des sécheresses à répétition », prévient depuis Paris Cécile Gault, cheffe de projets internationaux au Secours populaire.

Le sud du Niger connais un stress important en matière alimentaire. La fin des importations des denrées provenant de l'est de l'Europe depuis la fermeture des frontières algériennes va accroître le manque de nourriture.

Le sud du Niger connait un stress important en matière alimentaire. La fin des importations des denrées provenant de l’est de l’Europe depuis la fermeture des frontières algériennes va accroître le manque de nourriture.


Habituellement, le Liban importe d’Ukraine et de Russie la quasi-totalité de son blé et de son huile de tournesol. Les répercussions du conflit sont donc directes sur sa population. Le Niger, lui, n’importe rien directement des pays slaves mais achète tout auprès de l’Algérie, qui se fournit en Ukraine. Pour atténuer les effets de la pénurie qui se profile d’Oran à Tamanrasset, le gouvernement d’Alger vient d’interdire, le 15 mars, toute exportation de denrées alimentaires. Plus rien ne passe vers le Niger et les autres pays du Sahel. C’est à partir de cette date que les prix de l’huile et des pâtes sont devenus fous dans les échoppes d’Agadez. « La population ne peut pas compenser avec la production maraîchère locale ou les fruits et les graines issus de l’agro-foresterie car les quantités sont réduites après des années de sécheresse », explique Mohamed Akser.

La sécheresse affaiblit déjà le sud de Madagascar

Avec le manque de céréales disponibles, les pays souffrant de la sécheresse sont encore plus fragilisés. Ainsi, après des années sans pluie dans le sud de Madagascar, les agences des Nations Unies comptabilisent 1 million de personnes en « malnutrition avancée », avec des taux de mortalité infantile affolants. En charge de la solidarité internationale à la fédération du Secours populaire du Puy-de-Dôme, Adrien Thépot s’est rendu, du 19 mars au 4 avril, dans la région d’Anosy, l’une des plus durement touchées par le manque d’eau. En route vers Amboasary, il a dû s’arrêter le temps que des villageois libèrent la piste : « Ils venaient de faire des kilomètres juste dans le but de remplir leurs bidons avec l’eau boueuse d’une flaque dans laquelle les taxis-brousse roulaient au pas. » Tous les observateurs estiment que le pays soufffre de la première crise liée au changement climatique. « La végétation est morte par manque d’eau et du coup le sol est totalement érodé, ce qui aggrave encore la situation car le sable engloutit les champs ». Et même certains villages.

Ethiopie Ecole

Des repas équilibrés sont distribués aux écoliers pour lutter contre la malnutrition infantile en Ethiopie par Family Service Association


Comble du malheur, le pays importe d’Ukraine 70 % de son blé, peu cher, et une proportion encore plus écrasante de l’huile, qui est consommée là-bas par absolument toutes les familles. « Son prix a doublé immédiatement en mars », relate Adrien. Et la valse des prix s’est propagée aux denrées locales : les haricots et le riz sont une fois et demi plus chers qu’en début d’année. L’inflation touche l’ensemble des produits courants. Pour le moment, le gouvernement subventionne le carburant, mais Adrien craint qu’il cesse rapidement, au rythme où les caisses se vident. « Cela compliquerait encore la vie des paysans car sans essence pas de moto-pompe pour arroser les champs. »

L’Ethiopie est touchée de plein fouet

La situation est tout aussi alarmante en Ethiopie. Le pays cumule sécheresse, conflit (6 millions de déplacés) et déficits agricoles. « Nous importons de la viande, du blé et de l’huile de tournesol d’Ukraine », détaille Letti Hailu, présidente de l’association FSA, partenaire éthiopien du Secours populaire. Là aussi, les prix des aliments ont grimpé. « Avant même cela, 10 millions de personnes dépendaient déjà de l’aide alimentaire du gouvernement. C’est le dernier rempart contre la famine », alerte la présidente de FSA. Un rempart bien mince car la guerre consume les ressources du pays. « Pour trouver des ressources supplémentaires, le gouvernement pourrait être tenté de puiser dans les budgets de la santé ou de l’école. »

La crise pourrait s’aggraver l’année prochaine, car les futures récoltes sont mises à mal. Pour leur agriculture, les 115 millions d’Éthiopiens sont dépendants des importations d’engrais russes. « Sans ces produits, nos terres ne produisent rien, pointe Letti Hailu. Les enfants, les femmes, les plus pauvres des pauvres seront les plus touchés… »

La dépendance des pays africains et des moins développés aux importations de blé en provenance d'Ukraine et de Russie est très forte. Elle n'est jamais inférieure à 30 % (Érythrée) et peut-être totale, comme dans le cas de la Somalie.

La dépendance des pays africains et des moins développés aux importations de blé en provenance d’Ukraine et de Russie est très forte. Elle n’est jamais inférieure à 30 % (Érythrée) et peut-être totale, comme dans le cas de la Somalie.


Dans ce contexte dramatique, « nous avons un rôle de lanceur d’alerte, notamment auprès des bailleurs de fonds internationaux, pour que cette situation soit prise en compte, au moins en augmentant les budgets des projets existants », observe Cécile Gault, en contact avec de nombreux partenaires du Secours populaire dans les pays les plus touchés par la crise. Ce travail est indispensable, en particulier au Liban. « Depuis deux ans, des aides internationales parvenaient au pays, mais maintenent les flux ont été réorientés vers l’Ukraine », prévient Hiba Antoun. Seule la France continue d’apporter son soutien. DPNA va demander au Secours populaire de financer le double de distributions alimentaires et l’installation d’une vingtaine de paysans « afin d’améliorer la production vivrière ». Hed-Tamat au Niger a déjà fait part de ses besoins pour organiser des distributions d’urgence.

L’aide est indispensable contre la crise

Dans la grande île rouge, le Comité de solidarité pour Madagascar, partenaire du Secours populaire, va mettre en culture plusieurs terrains d’un à deux hectares chacun autour de la commune de Behara. « Il y aura besoin de forer des puits et donc de mettre en place des pompes alimentées par de l’énergie photovoltaïque, explique Adrien, exploitant ce qu’il a vu durant sa mission. Notre ingénieur hydraulicien va se rendre sur place afin que le projet soit assis solidement sur une étude technique et des données précises. »

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