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A Rungis, l’alimentation en débat

Mis à jour le par Olivier Vilain
« Comme le montre le dernier Baromètre de la pauvreté et de la précarité Ipsos / Secours populaire, en France aussi on souffre de la faim, c’est limpide », affirme Henriette Steinberg, secrétaire nationale du Secours populaire.

Les associations appellent à la mobilisation de toutes les bonnes volontés pour « apporter à tous une alimentation de qualité ». Elles interpellent les bénévoles, les acteurs de la filière alimentaire et les pouvoirs publics alors que l’envolée des prix empêche 1 Français sur 3 de se nourrir correctement trois fois par jour.

Le constat est sans appel. L’inflation hors de contrôle empêche toute une partie de la population de se nourrir suffisamment. Les carences sont tant quantitatives que qualitatives : « 29 % des Français rencontrent des difficultés pour se procurer une alimentation saine permettant de faire 3 repas par jour » montrait, en septembre dernier, le Baromètre de la pauvreté et de la précarité Ipsos / Secours populaire. Cet automne est un nouveau temps de privations, après celles engendrées par les confinements de l’année 2020.

La hausse des prix des denrées alimentaires est liée à l’envolée du coût de l’énergie, qui est utilisée à la fois pour la fabrication d’engrais et pour transporter les productions agricoles souvent très loin de leur région d’origine. Les perspectives apparaissent à la fois sombres et assez incertaines.

Urgence alimentaire en Europe comme en France

« Je ne suis pas sûre que nous retrouverons un jour des prix bas de l’énergie ; en tous cas pas dans les mois à venir », s’est exprimée à la tribune Olivia Grégoire, Ministre des PME, du Commerce, de l’Artisanat et du Tourisme, devant la centaine de personnes assemblées aux « Entretiens de Rungis », au milieu du marché international du même nom, le 6 octobre, pour une journée de débats, entre professionnels, politiques et associatifs.

En plus des points faibles de l’organisation du circuit de la production et de la consommation alimentaire, « la situation actuelle est liée sans ambiguïté au choc climatique et à la guerre dans l’est de l’Europe. Il y a urgence en Europe, dans le monde et aussi en France », souligne Henriette Steinberg, secrétaire générale du Secours populaire, au cours de la table ronde intitulée ‘‘Bien manger dans la solidarité’’.

Les associations s’impliquent dans la chaîne alimentaire

Les associations produisent localement dans des jardins solidaires, organisent des ramasses auprès des magasins, mettent en place des partenariats avec des producteurs locaux, des syndicats agricoles, des marchés d’intérêt national (le Secours populaire a des partenariats avec ceux de Rungis et de Nantes). Il y a encore un effort à faire pour limiter le gaspillage alimentaire, lié au transport ou aux politiques de calibrage de la grande distribution. Plus de 10 millions de tonnes sont perdues entre le champ et le réfrigérateur, chaque année.

Près de 1.700.000 personnes ont eu recours à l'aide alimentaire apportée par les bénévoles du Secours populaire en 2021

Près de 1.700.000 personnes ont eu recours à l’aide alimentaire apportée par les bénévoles du Secours populaire en 2021.


Se serrer la ceinture encore plus que d’habitude, ne plus pouvoir suivre la hausse des prix… Edith avait apporté son témoignage poignant lors du dévoilement du Baromètre 2022 Ipsos / Secours populaire : « Tout l’alimentaire est hors de prix. En 2021, c’était déjà compliqué pour donner des fruits et des légumes à mes enfants (…). Mais avec les prix actuels, ce n’est plus possible, même si nous avons envie d’en manger. Nous ne mangeons que ce que nous donnent les bénévoles. »

Le nombre de gens qui se tournent vers les associations n’a pas fléchi depuis l’apparition du Covid-19. « Habituellement on accueille entre 25 et 30 personnes par après-midi et là… on est monté en juillet à 35 et depuis la rentrée en moyenne on est à 40 », s’alarme Makhlouf Ikene, secrétaire général du Secours populaire au Havre (Seine-Maritime). « Ce que nous constatons, c’est que depuis le Covid-19, les gens ont recours plus longtemps à l’aide alimentaire que nous leur apportons », confirme Patrice Douret, président des Restos du cœur.

Les catégories précaires n’ont pas récupéré du Covid-19

Les jeunes, étudiants ou autres, sont très nombreux aux permanences associatives. Au Havre, par exemple, le nombre d’étudiants dans les files d’attente a doublé, approchant les 1000. Dans les mêmes permanences, il y a aussi de nombreuses mères de famille qui éduquent seules leurs enfants. Les petits sont donc directement affectés par le renchérissement des denrées. Ils sont plus nombreux à trouver la faim de plus en plus visible dans leur entourage : « 47 % des enfants connaissent des camarades d’école qui pourraient, selon eux, en souffrir » avait indiqué le Baromètre Ipsos / Secours populaire, comme le rappelle Henriette Steinberg.

« Nous voyons aussi le retour des personnes âgées alors que la pauvreté des retraités avait disparu dans les années 1980, grâce au versement de pensions suffisantes », ajoute Henriette Steinberg. Les retraités actuels font désormais partie de générations qui ont connu les parcours professionnels entrecoupés de périodes de chômage et des statuts plus précaires, avec des rémunérations plus faibles, plus aléatoires et les méthodes de calcul des pensions sont de moins en moins favorables.

Jeunes, femmes seules, retraités dans l’oeil du cyclone

« Les personnes âgées sont d’autant plus fragilisées, relève encore la secrétaire générale du Secours populaire, qu’elles assument souvent un rôle de soutien financier auprès de leurs enfants et même leurs petits-enfants », dont les positions sociales ont été globalement fragilisées par rapport à celles de leurs aînés. Dans certaines régions, les associations voient arriver à leurs permanences la troisième génération de travailleurs pauvres dans une même famille, comme en témoigne Patrice Douret, des Restos du cœur.

Les Français plébiscitent la solidarité : ils sont toujours aussi nombreux (65 %) à être disposés à s’impliquer pour aider leurs proches, leurs voisins, leurs concitoyens en situation de pauvreté.

Tous les acteurs doivent se mobiliser, des associations à la puissance publique, en passant par les professionnels de l’alimentaire, pour que tout le monde ait à manger tous les jours des denrées de qualité.


« Comme le montre le dernier Baromètre de la pauvreté et de la précarité Ipsos / Secours populaire, en France aussi on souffre de la faim, c’est limpide, affirme Henriette Steinberg. Il y a urgence à ce que cette question soit prise en compte par tous ceux qui peuvent agir : des producteurs, en passant par les syndicats agricoles et par les professionnels de Rungis, jusqu’aux personnes en difficulté. »

Tous les acteurs doivent se mobiliser mais la solution technique passera forcément par un engagement de la puissance publique à leur côté. Cette position fait l’unanimité parmi les participants à la table ronde. « Nous pouvons créer les outils pour que tout le monde ait à manger tous les jours. »

Les prix de l’énergie handicapent aussi les associations

L’engagement des pouvoirs publics est d’autant plus attendu que les professionnels de l’alimentaire ne sont pas les seuls à être inquiets quant à l’impact de l’inflation. Les associations sont elles aussi à la peine. « Avec la hausse du coût de l’énergie et du coût du transport, nos charges augmentent de 4 millions par an, explique ainsi Patrice Douret, alors que ses homologues acquiescent. C’est autant d’argent en moins pour fournir de l’alimentation de qualité aux personnes qui en ont besoin. »

Pour Makhlouf Ikene, au Havre, la difficulté vient de la baisse des dons des particuliers, pris dans la spirale des factures, la baisse des dons des grandes surfaces « de 40 à 50 % » et les pénuries de blé et d’huile qui vont entraîner le manque d’« une dizaine de ces produits (…) à compter de novembre » sur le contingent fourni aux associations par l’aide européenne (FEAD).

Les pénuries alimentaires se répercutent sur les associations

Il faut des bénévoles et des professionnels sur le terrain, des financements et des aliments de qualité sinon cela se traduira par des problèmes de santé publique. Selon une étude du cabinet Agrifood : l’alimentation de mauvaise qualité (trop grasse, trop sucrée, trop transformée) se traduit déjà par des pathologies qui représentent 20 milliards d’euros de dépenses par an à la charge de la Sécurité sociale. Un montant qui pourrait doubler dans les années à venir.

Un exemple de partenariat : Les Halles Mandar et le Secours populaire d’Eure-et-Loir

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