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A Reims, on invente le télé-accompagnement scolaire

Mis à jour le par Anne-Marie Cousin
Dans la Marne le SPF équipe les familles de tablettes pour que les bénévoles puissent poursuivre le suivi éducatif des enfants.

Avec le confinement puis, ensuite, le couvre-feu, il a fallu que les bénévoles de l’accompagnement scolaire de Reims adaptent leur mode de faire. Grâce à l’achat de trente tablettes, le suivi pédagogique des enfants s’est poursuivi et, aujourd’hui, la situation sanitaire ouvre de nouvelles perspectives à cette activité.

« Avec cette crise qui dure depuis bientôt un an, nous ne pouvons plus accueillir de groupes à la fédération et les étudiants bénévoles ne vont plus dans les familles suivre les enfants. Néanmoins, il fallait continuer à accompagner les enfants et c’est pourquoi nous avons décidé la poursuite de cette activité via des écrans », explique Anne-Marie Duriez, responsable de l’accompagnement scolaire à Reims. Avec presque une centaine d’enfants inscrits à l’année pour un suivi éducatif, les bénévoles ont d’abord transmis un questionnaire aux familles pour qu’elles fassent part de leurs besoins informatiques. Dans le même temps, Jacques Bresson, ancien économiste de formation et bénévole, s’est chargé de l’achat du matériel. Après avoir étudié différentes possibilités, son choix s’est arrêté sur des tablettes plutôt que des ordinateurs portables. Un choix qu’il assume et dont il s’explique. «  Nous avons opté pour l’achat de tablettes fiables avec un écran de qualité, leur coût était d’environ 50% de celui d’un ordinateur ultraportable dont le choix était restreint à l’époque en raison d’une tension sur les stocks. Bien que disposant d’une suite bureautique, les tablettes n’offrent en effet pas les mêmes fonctionnalités et la même ergonomie clavier/souris qu’un ordinateur. Cependant nous avons choisi d’être en cohérence avec la diffusion actuelle dans les écoles et certains collèges de pratiques sur tablettes à l’initiative de la municipalité rémoise et du département. Par ailleurs, les espaces de dialogue famille/enseignants pour la vie scolaire et les espaces numériques de travail sont tous accessibles via des tablettes. Accessoirement, la tablette offre l’avantage d’une manipulation plus aisée pour montrer à l’étudiant, via la caméra, le contenu d’un cahier, un travail scolaire par exemple. La proximité d’usage des tablettes et des smartphones peut enfin faciliter leur appropriation dans les familles peu acculturées aux outils numériques. » Aujourd’hui le SPF, après une première évaluation, envisage de faire l’acquisition d’ordinateurs ultraportables de type Chromebook plus riches en fonctionnalités notamment pour les collégiens et lycéens.


Faire face au décrochage scolaire

Aujourd’hui, madame Saida vient chercher la tablette de sa fille Myriam élève en CM2. Après avoir pris connaissance des conditions de prêt et des règles qui en découlent, cette maman signe une charte relative aux conditions de mise à disposition et d’utilisation du matériel numérique. Anne-Marie tient alors à rappeler brièvement quelques règles essentielles, notamment celle-ci : « Seuls les usages pédagogiques sous surveillance d’un adulte sont autorisés ». Toutes les tablettes disposent d’un contrôle parental. Le SPF se devant de protéger les enfants des contenus violents et à connotations sexuelles. Et si un enfant souhaite ou a besoin de certaines applications, comme Youtube par exemple, l’étudiant en fait la demande à la fédération qui peut l’activer à distance. Ce jour-là, Madame Saïda rencontre également Grace, l’étudiant volontaire qui accompagnera sa fille dans le cadre de l’accompagnement scolaire mis en place deux fois par semaine. Étudiant en master 2 de droit, il explique ses motivations. « Dans mon pays, au Congo, j’étais bénévole dans un orphelinat. J’aidais des enfants dans les apprentissages de base. Donner un peu de mon temps peut vraiment avoir de l’importance. Cette année, ayant moins d’heures, j’ai pris contact avec le SPF ». Un peu strict dans sa présentation et sa façon de voir l’organisation de son travail avec la petite Myriam, les bénévoles lui expliquent que l’accompagnement scolaire, ce n’est pas l’école. Annie, bénévole depuis 10 ans, est également présente ; tutrice de l’enfant et de l’étudiant, elle prendra régulièrement des nouvelles des uns et des autres pour s’assurer que tout se passe pour le mieux et que le suivi se fait dans de bonnes conditions pour les deux parties.

Le confinement, une expérience douloureuse

Au total, 30 tablettes ont été achetées par le Secours populaire pour garder le lien avec les enfants suivis par les bénévoles. Une opération née de l’expérience douloureuse du confinement, notamment le décrochage scolaire de nombreux enfants. Anne-Marie Duriez se souvient très bien que certains enfants qu’elle suivait n’avaient plus aucun repère. « Ils confondaient les jours de la semaine, ne se connectaient plus. A la fin de l’année, certains ne répondaient même plus au téléphone ». Une situation totalement inédite pour les bénévoles et qui les a beaucoup inquiétés sur l’avenir de ces enfants. Comme le précise Anne-Marie Duriez, « au sentiment d’abandon que ressentaient les parents s’est ajouté le manque de matériel informatique permettant de faire l’école à la maison ». C’est pourquoi, dès la rentrée de septembre, 30 tablettes ont été achetées par le SPF de la Marne. Dans un premier temps pour équiper les familles et, ensuite, pour que l’accompagnement scolaire qui ne pouvait plus se faire à domicile ni dans les locaux de l’association perdure. Avec la crise sanitaire, l’accompagnement scolaire a dû s’adapter. « Nous aurions pu tout simplement baisser les bras et ne plus faire cette activité, mais notre choix n’a pas été celui-là. Nous avons réfléchi ensemble pour trouver la solution la mieux adaptée », explique Patricia Le Corvic, la secrétaire générale de la fédération. Cette nouvelle approche de l’accompagnement scolaire revêt de nombreux avantages tout en préservant le contact humain. Tout d’abord, le soutien à distance permet aux étudiants volontaires d’être disponibles 10 minutes après la fin des cours.

A Reims le SPF invente le télé accompagnement scolaire

Avec sa maman, Rania écoute les consignes d’Eva, une etudiante volontaire pour l’accompagnement scolaire. ©Jean-Marie Rayapen / SPF

Eva et Rania, école à quatre mains

Et puis, le contact et la complicité entre les enfants et les bénévoles n’a pas disparu pour autant, il a simplement pris une autre forme. Dans certains cas il est même plus fort, notamment pour les étudiants confinés dans leurs chambres. Ce temps avec les enfants est une véritable bouffée d’oxygène pour eux, une rupture nécessaire à leur équilibre. Sans liens sociaux depuis des mois, ils avouent attendre ces rendez-vous avec impatience. C’est en tout cas ce que pense Eva Lacoste, étudiante en deuxième année à Sciences Po Reims et qui accompagne Rania, âgée de 7 ans. Avec ses deux grandes nattes et son sourire lumineux, la petite fille nous attend pour commencer son cours avec Eva. Une fois la connexion établie et Zoom installé, l’étudiante propose des révisions en lecture, notamment avec l’exercice Le Chrono des mots qui est ce que préfère Rania. Le principe de cet exercice est simple : lire le maximum de mots en un minimum de temps. Ce soir-là, elle gagne encore quelques secondes par rapport au début de la semaine, même si elle bute sur certains mots. Ensuite elle enchaîne additions et soustractions, en s’aidant de ses doigts comme tous les enfants. Détendue, Rania donne le sentiment de vouloir relever tous les défis et ne faire aucune erreur. Scolarisée à Saint-Michel, une école du quartier de la Croix-Rouge, Rania redouble son CP. Comme le dit sa maman, « le confinement a stoppé net tous les apprentissages de ma fille. Nous n’avions ni ordinateur ni imprimante pour faire l’école à la maison. Et puis, j’ai aussi une petite fille de trois ans dont je devais m’occuper, alors faire les devoirs n’était pas simple ». 

CP et CE1, les plus impactés

Alors que les familles et les enseignants le pressentaient, le confinement de mars a bien entraîné une baisse des résultats scolaires des élèves de CP et de CE1. Les évaluations nationales de la rentrée 2020 l’ont confirmé : cette année, 68,3 % des élèves de CE1 savent lire à haute voix contre 74,6% l’an dernier. Selon Edouard Geffrey, directeur général de l’enseignement scolaire, « entre février et juin, les élèves de CE1 passent généralement de la lecture de mots à la lecture de phrases. Et c’est justement à ce moment-là qu’ils ont été confinés. »
En fin d’année, quand on a proposé à Madame Bachirri de faire redoubler sa fille, elle n’a pas hésité une seconde. Aujourd’hui, elle reconnaît que cette décision était la bonne, sa fille est bien plus à l’aise avec la lecture et l’écriture, ce qu’Eva et sa maîtresse confirment également. D’un point de vue pratique, et pour que les deux heures de soutien soient efficaces, Eva est en contact avec l’enseignante de Rania qui tous les 15 jours lui envoie les cours et les leçons par mail. Un lien qui permet à l’étudiante de bien préparer les deux rendez-vous hebdomadaires.

Pour bien grandir, il faut s’ouvrir sur le monde

Et même si, depuis deux mois, Eva est retournée vivre chez ses parents à Marseille, le campus de Sciences Po étant fermé, l’accompagnement se fait toujours. Grâce à la tablette de Rania, tout continue comme en début d’année. Un outil numérique qui a permis la poursuite de ces temps d’échanges, y compris pendant les congés lorsque toute la famille est partie à Poitiers fêter Noël. En effet, tout juste avant la reprise des cours, Rania a travaillé une heure à distance, histoire de ne pas se sentir perdue à la rentrée. « Un plus que nous offre la tablette », précise Anne-Marie Duriez. Pour cette année 2021 qui débute, Eva et Rania ne souhaitent qu’une chose : que le virus disparaisse et que la vie redevienne comme avant. Ainsi Eva se projette au musée, au cinéma et à la bibliothèque avec Rania, car  le travail scolaire n’est pas le seul objectif de l’accompagnement scolaire au sein de l’association. Pour l’étudiante, cette expérience avec le SPF n’est pas une première. Cet été, elle s’est inscrite dans une maison de quartier pour aider des collégiens avant la reprise des cours. Consciente du lien qu’elle tisse avec Rania et sa famille, elle dit s’engager car, pour elle, « c’est important de savoir lire, écrire et calculer mais pour bien grandir, il faut aussi s’ouvrir sur le monde ». 

 

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