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Accompagnement scolaire : Camille et David, 20 ans après

Mis à jour le par Pierre Lemarchand
Camille retrouve David près de 20 ans après qu'elle l'avait aidé dans le cadre de l'accompagnement scolaire et culturel. Lyon, le 20 septembre 2021. ©Eva Sanchez/SPF

Depuis 30 ans, la fédération du Secours populaire du Rhône soutient une centaine d’enfants chaque année dans le cadre de l’accompagnement scolaire et culturel. Un étudiant bénévole vient en aide à un enfant chez lui, durant 1h30 par semaine : voici la formule de ce dispositif qui vise tout autant à aider l’élève dans ses devoirs qu’à offrir à l’enfant une ouverture culturelle. Vingt ans après qu’elle l’a accompagné quand elle était étudiante, Camille retrouve David ainsi que sa maman, Dalila. Outre l’émotion, tous trois partagent un constat : cette poignée d’années a profondément changé leur vie.

Les retrouvailles de David, Camille et Dalila se déroulent dans une petite salle de classe, habituellement dédiée à l’enseignement du français pour les jeunes réfugiés-migrants, au sein des vastes locaux de la fédération du Secours populaire de Lyon. Des chaises ont été réparties autour d’un îlot de tables mais tous trois se serrent les uns contre les autres. Camille se retrouve entourée de David et de Dalila. Il y a dix-neuf ans de cela, quand Camille, alors jeune étudiante en psychologie et bénévole au Secours populaire, venait chez Dalila pour aider son enfant David à surmonter ses difficultés scolaires, se tenaient-ils ainsi, serrés ? Il est fort à parier que oui.

Un lien indéfectible

La joie de se retrouver s’exprime dans les rires, les exclamations et, bientôt, dans l’émotion qui saisit Camille quand Dalila pose sur la table un petit album de photographies. La jeune étudiante l’avait elle-même confectionné à l’attention de David pour recueillir les souvenirs d’une sortie organisée par le Secours populaire, qui les avait réunis dans un parc d’attraction de Lyon le 11 juin 2003 – la date est inscrite sur la couverture, de l’écriture joliment ourlée de Camille. Derrière chaque photographie, témoignant des exploits du petit David en bateau ou en mini-moto, en trampoline ou avalant un sandwich XXL, on retrouve l’écriture de Camille, au fil de commentaires emplis d’humour et d’une infinie tendresse pour le garçonnet.

« Sache, David, que j’ai passé une année excellente avec toi. Je suis très fière de toi car tu es un adorable petit garçon avec beaucoup de qualités. Tu es capable de faire de belles et de grandes choses. J’ai confiance en toi ! », peut-on lire derrière l’ultime photo, montrant Camille, 19 ans et David, 8 ans, penchés l’un vers l’autre, assis dans l’herbe, souriant à l’objectif. « Si ça te dit, nous remettons ça cette année ! » : ainsi se termine l’album. « Ça », c’est l’accompagnement scolaire et culturel, mis en place par le SPF du Rhône et qui avait lié l’étudiante et l’enfant durant l’année écoulée. Et, effectivement, Camille et David ont remis ça l’année scolaire suivante. Ces deux années, de 2002 à 2004, lièrent à jamais Camille, David et sa maman. « C’est un lien indéfectible qui s’est noué entre nous. Un peu comme une histoire d’amour », témoigne Camille.

Accompagnement scolaire : Camille et David, 20 ans après
Dalila a apporté à Camille l’album photo que cette dernière avait réalisé à l’issue de sa journée passée avec David à l’Island Park le 11 juin 2003. Lyon, le 20 septembre 2021. ©Eva Sanchez/SPF

Un supplément d’âme

En 2022, cela fera trente ans que la fédération du SPF du Rhône s’engage dans l’accompagnement scolaire et culturel, « le supplément d’âme de la fédération », tel que le caractérise Pauline Gautier, coordinatrice départementale de ce dispositif. « Ce sont les mêmes fondamentaux qui le structurent depuis sa création, poursuit-elle. Un étudiant accompagne un enfant pendant 1h30 chaque semaine au domicile de la famille. C’est un accompagnement individuel mais aussi global : outre l’aide aux devoirs, c’est une aide à la méthodologie et à l’autonomie, une ouverture culturelle et sur le monde, un travail sur l’estime de soi et sur la parentalité. »

Chaque année, ce sont environ 120 enfants, du CP à la 5ème, qui sont aidés dans le cadre de cet accompagnement scolaire et culturel, par autant d’étudiants, dans quatre villes du département : Lyon, Villeurbanne, Saint-Priest et Saint-Genis-Laval. Si le succès de l’accompagnement repose sur la relation privilégiée entre l’étudiant bénévole et l’enfant qu’il soutient, un autre acteur important entre en jeu : le dispositif mobilise des bénévoles référents, en charge de plusieurs « binômes ». Ils font des points réguliers avec les étudiants et veillent à prodiguer conseils et outils afin de renforcer leurs compétences. C’est donc d’un trio enfant / étudiant / référent qu’il conviendrait exactement de parler.

Au-delà d’un seul soutien scolaire

Cette relation de confiance entre l’enfant et l’étudiant s’épanouit dans un environnement aux multiples ressources et liens tissés par le Secours populaire. Des sorties au spectacle et des ateliers de pratique artistique sont rendus possibles grâce à la vingtaine de partenaires culturels engagés. Pauline Gautier précise : « Nous travaillons avec eux sur des programmes adaptés et la notion de parcours culturel : un établissement peut proposer un spectacle, une visite des coulisses, une rencontre en bord de scène…» Les bibliothèques et médiathèques permettent aux étudiants d’initier des échanges avec les enfants autour de lectures, d’écoute de musiques, de découverte de films. Des liens peuvent se nouer également entre l’établissement scolaire de l’enfant – et au premier chef son enseignant – et l’étudiant qui l’accompagne.

« J’ai tout de suite compris que c’était au-delà du seul soutien scolaire », résume Camille. Puis, plongeant dans ses souvenirs, elle décrit sa première rencontre avec David, fixée au domicile de l’enfant. « J’étais stressée et me posais mille questions. Allais-je être à la hauteur ? Quand je suis descendue du bus, Dalila m’attendait avec son immense sourire et, caché derrière elle, avec seule la tête qui dépassait, un petit garçon me regardait avec intensité : c’était David. Alors j’ai tout de suite su que ça allait bien se passer. » Les premiers échanges se déroulent autour d’un goûter, qui deviendra le rituel, durant deux ans, entre Dalila, David et Camille. « Je voulais qu’elle se sente bien à la maison », souligne Dalila, serrant la main de Camille.

Prendre confiance : en soi, en l’école, en le monde

« Je n’avais que 7 ans, mais je m’étais déjà enfermé dans un rôle : celui du dernier de la classe, du cancre qui rêvasse, tout au fond, près du radiateur. J’étais très réservé, je ne m’exprimais jamais et mes professeurs prenaient cela pour de la mauvaise volonté. On ne se comprenait pas », témoigne David. La relation entre Dalila et les enseignants est elle aussi compliquée. « J’étais devenue impuissante », confie la maman de David. C’est Isabelle, sa voisine, bénévole au SPF, qui lui parle de l’accompagnement scolaire et culturel : c’est ainsi que l’histoire commence. « J’avais besoin d’une personne extérieure, confie Dalila. Et j’ai eu un ange. »

L’ange vient alors chaque semaine, infailliblement, accompagner David dans son travail scolaire et dans sa prise de confiance – en lui, en l’école, en le monde. Le temps de présence de Camille double bientôt : les goûters s’éternisent et la jeune femme vient plus tôt pour passer du temps avec Dalila. « Elle me posait des questions sur ce que je vivais, ressentais en tant que jeune femme. Je lui faisais des confidences », sourit Camille, vingt ans plus tard, la main demeurée dans celle de Dalila. Elle fait alors, en quelque sorte, partie de la famille, se liant aussi avec le père de David ainsi que son grand frère et ses deux sœurs. Elle fête ses 19 puis ses 20 ans à leurs côtés.

Accompagnement scolaire : Camille et David, 20 ans après
Camille fête son 19ème anniversaire avec la famille de David – Lyon, juin 2003.

Le Petit Prince et le Renard

Camille et David, du jour où le petit garçon accorde sa confiance à la jeune étudiante, parcourent ensemble un grand bout de chemin, qui les fait tous deux grandir. « Le réveil a été psychologique et humain, témoigne David, aujourd’hui opticien, après l’obtention, deuxième de sa promotion, d’un diplôme d’ingénieur. Cela a été possible grâce à des rencontres et la première de ces rencontres, ce fut Camille. Il y a eu ensuite des professeurs qui m’ont tendu la main. J’aimerais tant pouvoir leur dire aussi merci aujourd’hui. » Camille, en même temps qu’elle insufflait en David la confiance dont il avait besoin, s’en est dotée elle-même. « C’est vrai, souligne avec tendresse Dalila, tu manquais de confiance en toi ! »

« J’ai perdu pied à un moment, se souvient Camille. Je me demandais comment j’allais pouvoir aider David… Mais j’étais portée par l’énergie de sa famille, par l’équipe du Secours populaire et par David lui-même. » La jeune femme âgée aujourd’hui de 37 ans, exerçant la profession de psychologue depuis une douzaine d’années, songe rétrospectivement à l’importance de cette expérience, qui a « teinté la femme et la professionnelle que je suis devenue ». « Dans mon métier, je parle d’accompagnement psychologique. Accompagner, c’est tenir par la main sans décider pour l’autre où l’on va, c’est faire confiance, sans jugement », éclaire-t-elle. Puis, dans un sourire : « Le sujet de mon mémoire a été influencé par ma rencontre avec David. Il s’intitulait “De l’apprivoisement à l’alliance”. J’ai approché David comme le Petit Prince apprivoise le Renard. »

A la fédération du Rhône, comme partout en France, le Secours populaire déploie ses armées d’anges et de princes, vient en aide à des milliers de petits renards – 24 000 est le nombre d’enfants qui ont ainsi été accompagnés en 2020 dans le cadre de l’accompagnement scolaire et éducatif par l’association. De manière individuelle ou collective, en visioconférence quand les confinements se sont imposés sans entraver la volonté des bénévoles, les formules sont diverses. L’objectif, lui, demeure, intangible : tisser des liens puissants et fraternels avec des enfants et leurs familles pour lutter contre leur isolement et rappeler que tous les enfants, dans une société, ont un rôle à jouer, une richesse à apporter et un avenir à trouver. L’histoire de Camille, David et Dalila nous le rappelle dans son intacte vérité.

Accompagnement scolaire : Camille et David, 20 ans après
De gauche à droite : Dalila, Camille, David accompagnés de Pauline, coordinatrice au SPF du Rhône de l’accompagnement scolaire et culturel. Lyon, le 20 septembre 2021. ©Eva Sanchez/SPF

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