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Les Oubliés de la santé mentale

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Séance de relaxation
selon l’Insee, 45 % des personnes confrontées à la pauvreté et à la précarité se disent en mauvaise santé ou avec une maladie chronique, contre 38 % pour l’ensemble de la population ©Nathalie Bardou / SPF

A l’initiative du Secours populaire, une nouvelle Journée des Oubliés de la santé s’est tenue, le 10 avril à Paris, afin d’étudier « l’impact de la pauvreté et de la précarité sur l’état de santé ; ainsi qu’aux réponses que la société peut apporter ». Responsables associatifs, médecins et chercheurs ont apporté leurs témoignages.

Le Secours populaire a organisé une nouvelle Journée des Oubliés de la santé, à l’Hôtel de l’Industrie, en plein cœur de Saint-Germain-des-Prés, axée sur la santé mentale, qui a été désignée ‘‘Grande Cause nationale en 2025’’, succédant ainsi à l’activité physique et sportive en 2024, Jeux olympiques et paralympiques de Paris obligent. Le but du colloque était de passer en revue les impacts sur la santé de la pauvreté et de la précarité ; et d’évoquer les pistes mises en place par différents acteurs, dont les associations, pour favoriser la prévention et l’accès aux soins. Surtout quand l’Insee établit que l’écart d’espérance de vie entre les hommes les plus pauvres et les plus riches est de 13 ans. Une très forte inégalité.

Sous les projecteurs depuis le COVID-19

Durant tout le colloque, la santé mentale a été un point focal. Cette problématique est placée sous les projecteurs depuis l’apparition du Covid-19 en 2020, à cause des confinements. Ces périodes d’isolement imposé, alliées à une très grande précarité pour nombre de nos concitoyens, ont été marquées par une grande souffrance psychique. Celle-ci est loin d’avoir été résorbée : « 1 salarié sur 4 se dit en mauvaise santé mentale », selon des chiffres issus provenant de l’Assurance maladie.

« Il est un peu facile d’imputer la totalité de la dégradation en matière de santé mentale au Covid-19 », a lancé Séverine Salgado, directrice générale de la Mutualité française, lors de la première table ronde. « Mais les indicateurs antérieurs n’étaient déjà pas si bons. Je crois qu’il faut comprendre que nous sommes une société qui ne va pas si bien que ça. »

Colloque Oubliés de la santé
Le Secours populaire a organisé une nouvelle Journée des Oubliés de la Santé. Le thème de cette année : la santé mentale, désignée ‘‘Grande Cause nationale en 2025’’, succédant l’activité physique et sportive, Jeux olympiques et paralympiques de Paris obligent ©Jean-Marie Rayapen / SPF

La santé mentale est une question de santé publique, comme l’a rappelé aux participants du colloque Anne-Claire Ampou, ambassadrice chargée des questions de santé mondiale, quand on sait qu’un Français sur quatre sera confronté à un trouble mental au cours de sa vie et alors que 70 % des Français cautionnent encore un stéréotype concernant les personnes atteintes de troubles de santé mentale.

Si la santé mentale est influencée par des facteurs individuels, elle l’est aussi par des facteurs sociaux, culturels, économiques ou environnementaux. Ainsi, la qualité de vie, la vie au travail, la qualité des interactions sociales affectent la vie psychique. Le tribut le plus lourd est payé par les mères de familles monoparentales qui, comme les aidants, sont sujets à l’épuisement lié à la charge mentale ; les jeunes sont vulnérables ; les précaires perdent souvent confiance en eux en raison de leur exclusion du marché du travail ; les plus âgés peuvent développer des troubles à cause de l’isolement et les migrants.

Les personnes précaires paient le tribut le plus lourd

Les facteurs de stress auxquels ces derniers sont soumis « traversent l’ensemble du cycle migratoire – des raisons qui les ont amenés à partir et des conditions du voyage, à la manière dont ils sont assistés pendant leur transit et accueillis une fois à destination », signale Guglielmo Schimina, chef du département santé mentale à l’Organisation internationale pour les migrations. Plus inquiétant encore, 80 % des mineurs non accompagnés ont un parcours traumatique qui n’est pas pris en charge dans un parcours de soin.

Les intervenants ont abordé la question spécifique de la santé mentale des jeunes. « La santé mentale des jeunes est mise en fragilité par la précarité, qui s’est installée au cœur de la vie des étudiants, a souligné Nathalie Roudaut, directrice générale de l’association Nightline France. Même si tous les étudiants ne se sentent pas mal, la situation s’est néanmoins détériorée ces dernières années. » Il y a en plus un problème d’accès au système de soins psychiques pour les jeunes. Ces derniers sont peu formés pour détecter les signes annonciateurs d’un trouble. Le manque de connaissance, notamment du parcours de soins, fait que les jeunes en souffrance n’arrivent en consultation que deux ou trois ans après l’apparition des premiers symptômes.

Médecins du Secours populaire
Dans son bureau, Philippe, médecin bénévole du Secours populaire, écoute les personnes accueillies et les oriente vers un parcours de soins ©Pascal Montary / SPF

« Et encore, ils vont consulter leur généraliste qui n’est pas formé pour cela, comme le montre l’abondante délivrance de psychotropes. En dix ans, la délivrance de psychotropes a doublé pour les enfants », pointe Séverine Salgado, de la Mutualité française. Ces retards dans la prise en charge psychothérapeutique constituent une perte de chance « énorme ». Contrairement à leurs aînés, les jeunes parlent plus facilement des troubles de la santé mentale, mais ne trouvent pas souvent d’adultes pour en parler. C’est ce qu’a constaté Miel Abitbol, 17 ans, créatrice de la plateforme Lyynk, qui sensibilise ses millions d’abonnés sur les réseaux sociaux à la question de la santé mentale.

C’est aussi pour répondre à ce manque d’écoute et de repères que s’est constituée Nightline en France en 2016 par un Irlandais qui était très étonné de l’absence de service d’écoute de la détresse chez les étudiants alors que cela existe dans de nombreux pays. « Nous déployons une plateforme téléphonique, mais aussi des sessions de formation auprès des étudiants et nous développons un système de ‘‘santé communautaire’’ qui allie étudiants et professionnels de la santé », détaille sa directrice générale Nathalie Roudaut.

La délivrance de psychotropes a doublé pour les enfants

Le manque de moyens dévolus à la santé mentale chez les jeunes explique aussi le délai de prise en charge. Ainsi, François Laballe, secrétaire général du Secours populaire dans le Lot, a dressé rapidement la situation dans son département rural : « Les structures de santé étudiantes dont dépendent les jeunes de filières post-bac chez nous sont à Toulouse, à une heure et demie de train… » Sur place, les bénévoles ont passé un partenariat pour assurer une fois par mois la permanence d’une infirmière spécialisée en psychiatrie dans trois comités du Secours populaire.

Lever les tabous, améliorer l’accès aux soins, à l’information et renforcer la prévention sont des axes de travail pour améliorer « le bien-être physique, mental et social » des jeunes et de la population en général. Au-delà, il manque des investissements pour rendre accessibles les services publics, a rappelé Claire Hédon, Défenseure des droits : « Leur fonction pendant des décennies a été de réduire les inégalités, en particulier dans le domaine de la santé » et de manière beaucoup plus efficace que dans de nombreux autres pays.

François Laballe, secrétaire général du Secours populaire dans le Lot, et Miel Abitbol, 17 ans, créatrice de la plateforme Lyynk, témoignent des actions qu’ils mènent pour la santé mentale des jeunes alors que 55 % des 18-24 ans déclarent avoir déjà traversé des troubles psychologiques. Isolement, stress, précarité… trop souvent, ils se sentent seuls face à leurs galères.

La Défenseure des droits a regretté une « dématérialisation excessive » qui « fragilise la vie des gens », générant du stress et affectant du même coup leur santé. Le droit à la santé s’articule avec les droits économiques et sociaux, mais « le problème vient de ce que ces derniers temps, les droits des personnes sont sans cesse fragilisés, les soumettant à des conditions », souligne-t-elle. Or, selon l’Insee, 45 % des personnes confrontées à la pauvreté et à la précarité se disent en mauvaise santé ou avec une maladie chronique, contre 38 % pour l’ensemble de la population. Il s’agit bien d’un enjeu important de santé publique, autant que de cohésion sociale.

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