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Un week-end de rêve aux Jeux paralympiques

Mis à jour le par Pierre Lemarchand
Salim et Jeanne, dans les tribunes du Stade de France, le samedi 31 août 2024, lors des rencontres de para-athlétisme des Jeux.
Salim et Jeanne, dans les tribunes du Stade de France, le samedi 31 août 2024, lors des rencontres de para-athlétisme des Jeux. ©JM Rayapen/SPF

Retour, à l’occasion de la Journée internationale des personnes handicapées ce 3 décembre, sur deux journées de rêve vécues aux Jeux paralympiques par 33 enfants originaires de Limoges mais aussi de Bosnie et du Kosovo. Accompagnés par la fédération du Secours populaire de Haute-Vienne les 30 et 31 août derniers, ils ont assisté à une rencontre de para-athlétisme. Ils ont également visité le Club France avec les supporters et découvert Paris.

Jeanne a le visage collé à la fenêtre du métro. Dès que celui-ci émerge du sol pour emprunter une voie aérienne, elle scrute l’horizon en tous sens. « Que c’est beau. Quelque part, il y a la tour Eiffel. Je rêve de l’apercevoir », confie la petite fille de 9 ans, qui se hisse sur la pointe des pieds pour voir « le plus loin possible ». Jeanne est l’une des 33 enfants accompagnés par la fédération du Secours populaire de Haute-Vienne pour ce week-end dans la capitale, placé sous le signe des Jeux olympiques et paralympiques (J.O.P.). Ce vendredi 30 août marque, pour chacun d’eux, leur première visite à Paris mais aussi, pour la grande majorité, la première fois qu’ils prennent le train et le métro. Vingt-quatre d’entre eux viennent des quartiers populaires de Limoges et sont issus de familles aidées par le Secours populaire ; les neuf autres sont venus de plus loin – de Bosnie et du Kosovo. Accompagnés par les associations locales partenaires du Secours populaire, LAN et Handikos, ce week-end à Paris parachève pour eux un séjour magique de deux semaines, passé entre Limoges et La Rochelle. Avant de se rendre au Club France 2024, le lieu de rassemblement des supporters des Jeux, Régis, médiateur social au Secours populaire, a prévu de faire un petit détour… pour voir la fameuse tour.

« Ces enfants, ils vivent un rêve aujourd’hui. »

Sous une pluie battante qui n’entame en rien sa bonne humeur, le petit groupe, avivé des couleurs bariolées de leurs coupe-vent imperméables, rythmé par les exclamations impatientes – « Elle est encore loin ? » –, emprunte l’avenue de Grenelle, tourne à droite avenue Chirac quand, enfin, la Dame de fer apparaît. « Jamais je n’aurais cru pouvoir vivre ça un jour dans ma vie », témoigne Tuana, jeune kosovare. « C’est la première fois que je sors de mon pays, chaque chose que je vois en France restera à jamais gravée dans ma mémoire. » Ilir, l’un des deux accompagnateurs de l’association Handikos, a acheté deux parapluies. Sous l’un d’eux se serrent les quatre jeunes originaires de Vushtrri, commune rurale du Kosovo, le regard levé vers la tour Eiffel, ornée des cinq immenses anneaux olympiques. Leon et Omer sont hémiplégiques et accueillis dans le centre de rééducation de Handikos ; Tuana et Iladja sont issues de familles pauvres aidées par l’association. « Tous les quatre ne sont jamais partis en vacances. Ces enfants, ils vivent un rêve aujourd’hui », exprime, ému, Ilir, se protégeant sous l’autre parapluie avec Ilmije, psychomotricienne et seconde accompagnatrice des petits Kosovars. A quelques mètres, la fine silhouette de Jeanne, les yeux obstinément levés vers la flèche, tranche avec l’immensité de la tour, incarne tous ces rêves à l’œuvre. Sa bouche, légèrement entrouverte, dit en silence son émerveillement.

Iladja (à g.) et Tuana, heureuses dans le métro parisien. « Chaque chose que nous voyons en France resteront à jamais gravée dans nos mémoires. » ©JM Rayapen/SPF

« Tout ce que ces enfants recherchent, c’est de la tendresse et de l’attention », songe Régis, tandis que la joyeuse bande émerge à nouveau des souterrains du métropolitain. Le médiateur connaît bien les petits Limougeauds, coordonnant tout au long de l’année dans les quartiers prioritaires de la ville l’accompagnement éducatif et scolaire, ainsi que des animations culturelles ou citoyennes. Jeanne et Salim marchent côte à côte, échangeant leurs impressions. Ils ont le même âge, viennent du même quartier – Baubreuil –, se sont déjà vus au centre aéré mais « c’est avec la sortie du Secours populaire qu’on est devenus amis », explique la petite fille. Devant eux, Nora, Bosniaque de 6 ans, est entourée de Tuana et Iladja ; les deux Kosovares lui tiennent la main. « On veille sur elle ! », glisse cette dernière, en caressant la joue de la petite. La pluie a enfin cessé. Les gouttelettes qui mouillent les visages sont celles du parc de la Villette. Pour la photo souvenir, le drapeau bosniaque s’invite, ainsi que l’aigle albanais, que les deux garçons kosovars miment avec les mains, bientôt imités par leurs nouveaux amis. Une douzaine de paires d’ailes s’ébattent alors. A l’entrée du Club France, chaque enfant attend de se faire attacher au poignet le bracelet blanc des J.O.P. – de cette journée, tous comptent bien garder le plus de traces possibles. 

« Il ne faut pas se moquer. »

Les enfants, répartis en petits groupes, déambulent dans la halle immense. Jeanne, Salim et sa sœur cadette Selma se retrouvent dans le groupe de Régis. Le médiateur leur explique le fonctionnement d’une jambe connectée quand, au même moment, une jeune sportive, équipée d’une même prothèse, passe. « Il ne faut pas se moquer », dit, avec grand sérieux, la petite Selma. Les enfants découvrent un prototype de flamme olympique – « c’est doux et froid à la fois » – et contemplent les médailles en vitrine. On s’essaie au curling – et Selma s’en sort avec brio, expérimentant une technique peu orthodoxe, empruntant à la fois au base-ball et à la pétanque. Sur un écran immense, on regarde un match de double féminin de tennis en fauteuil. On soulève de la fonte pour de faux, tout sourire pour la photo, la bouche emplie de quartiers de pommes qu’un jeune homme offre à la ronde. De quoi ouvrir l’appétit pour le dîner, qui les attend dans un restaurant à deux foulées de l’historique auberge de jeunesse Opéra-Montmartre, au hall magnifique, installée dans l’hôtel particulier de l’explorateur Bougainville. Nos petits voyageurs, pourtant exténués, n’y auront de cesse de repousser l’heure du coucher. Or, une matinée intense les attend le lendemain. 

Au Club France, les enfants découvrent l’univers du handisport. Régis présente à Selma et Jeanne une jambe connectée. ©JM Rayapen/SPF

Il est 9h30 à peine, le lendemain samedi 31 août, mais c’est dans une ambiance de boîte de nuit que les enfants s’installent sur leurs sièges réservés dans les tribunes du Stade de France. « Freed from desire », chantent-ils à tue-tête, à l’unisson des milliers de spectateurs déjà installés. Ils s’apprêtent à assister aux rencontres paralympiques d’athlétisme ; dans une heure, le stade sera rempli. Au programme : des épreuves de lancer, de course, de saut en longueur. La célèbre athlète paralympique américaine April Holmes ouvre la journée d’une voix vibrante. « Donnez toute l’énergie possible aux athlètes, cela fait des années qu’ils travaillent ! », lance-t-elle. « Aujourd’hui, tous ces enfants réalisent que, malgré les différences et les difficultés, on peut réussir à faire quelque chose de fantastique. Ce sont les valeurs olympiques : on peut tous se surpasser, donner le meilleur de nous-mêmes », s’enthousiasme Régis. « Dans leurs yeux, je vois l’émerveillement d’être au Stade de France. Pour certains, ce sera la seule fois de leur vie. »  Une ola fait soudain le tour du stade – telle une vague géante, elle emporte les enfants, dont les cris de joie semblent la rumeur de l’océan.

« Tout est possible : voilà ce que cette matinée m’apprend. »

Jeanne assiste, médusée, aux lancers de javelot toujours plus lointains de la Chinoise, déficiente visuelle, Yuping Zao. Elle exulte avec Salim quand Timothée Adolphe, coureur non voyant, épaulé de son guide Jeffrey Lami, emporte le ¼ de finale du 400 mètres T11. Elle vibre tandis que les athlètes féminines paraplégiques du 5000 mètres T54 enchaînent les tours de circuit en propulsant les roues de leurs fauteuils. « En fait, elles courent avec les mains, explique Jeanne. J’ai déjà essayé de faire du fauteuil et j’ai compris à quel point c’était dur. Tous ces sportifs, quelle que soit leur nationalité, se surpassent et ils méritent notre respect. Malgré leur handicap, ils réalisent des exploits que nous, valides, on serait bien incapables de faire ! »  Elle se lève, tout émue, quand l’hymne bulgare retentit et que le lanceur de poids Rushdy, dans son fauteuil, lève sa médaille d’or vers le ciel. « C’est ce que je préfère, les remises de médailles. Grâce aux écrans, on peut voir la joie des sportifs, la récompense de tous les efforts qu’ils ont fournis. » 

Les 33 enfants présents ont découvert, sous la pluie et emplis de joie, la tour Eiffel. ©JM Rayapen/SPF 

A l’autre bout de la rangée, quatre voix s’écrient : ce sont Omer, Leon, Iladja et Tuana. Un athlète kosovar est entré dans le stade ; c’est la première fois que le Kosovo participe aux Jeux paralympiques. Grevist Bytyqi concourt à l’épreuve du 1500 mètres T46 (c’est-à-dire pour les athlètes handicapés des membres supérieurs). Grevist craque à mi-course ; le rythme imposé par les hommes de tête, dont le Français Antoine Praud qui emportera le bronze, est trop soutenu. Mais cela n’entame en rien le bonheur des quatre amis. « Il a perdu la course mais de voir les couleurs de mon pays, ça m’a bouleversée », confie Tuana. Le sourire d’Iladja ne quitte à aucun moment son visage. « Ce matin, je sais que je suis en train de vivre l’un des plus beaux jours de ma vie, exprime-t-elle. Rends-toi compte : je suis ici au Stade de France, avec mes amis. Nous nous amusons et découvrons des choses que nous n’imaginions pas. Par exemple, je ne savais pas que les Jeux paralympiques existaient. » La jeune fille reprend son souffle et continue, soudain plus solennelle. « Pour moi, c’est une leçon : il faut toujours aller de l’avant, ne pas rester assignée à la place que la société a décidée pour nous. Tout est possible : voilà ce que cette matinée m’apprend. »