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Sabrina, une femme qui ne lâche jamais

Mis à jour le par Olivier Vilain
Aide-soignante, accompagnatrice d’enfants avec handicaps, Sabrina Gardon a des choses à dire sur « les fins de mois qui sonnent clairs » et représente le Secours populaire au sein du Conseil national de lutte contre les exclusions.

PORTRAIT pour le 8 mars d’une femme qui se bat. Aide-soignante, accompagnatrice d’enfants avec handicaps, Sabrina Gardon a des revenus faibles et assez irréguliers. Elle a des choses à dire sur « les fins de mois qui sonnent clairs » et sur les trous du système d’aide social. C’est pour ça qu’elle représente le Secours populaire au sein du Conseil national de lutte contre les exclusions (CNLE), un organisme auprès du Premier ministre.

« C’est important pour moi de me battre. Je veux montrer qu’il y a des gens qui le font alors qu’ils sont plus que précaires ! » Aide-soignante en maison de retraite et accompagnante d’élèves avec handicaps, Sabrina s’investit aussi avec une très grande détermination dans un organisme qui conseille le Premier ministre. Elle représente ainsi le Secours populaire au Conseil national de lutte contre les exclusions (CNLE), au sein d’un groupe de paroles appelé le « Collège des personnes en situation de pauvreté ou de précarité ». Depuis janvier 2021, « je porte la parole des exclus parce que je suis très sensible aux discriminations », explique la femme de 38 ans qui s’investit aussi bien au Secours populaire de sa commune, que dans diverses associations locales : « Ma mission est de faire entendre ce qui dysfonctionne, de porter la parole des gens qui ne sont jamais entendues. »

Le CNLE est une instance que le Premier ministre consulte sur les politiques de lutte contre la pauvreté et l’exclusion. Sabrina et son groupe de parole permet d’introduire le point de vue de la société civile dans ce cadre protocolaire ; et plus particulièrement de faire connaître les effets des décisions prises dans les allées du pouvoir sur la vie des personnes confrontées à la précarité ou aux fins de mois difficiles. A partir de ces éléments et de nombreuses enquêtes de terrain, le CNLE a, par exemple, publié en mai 2021 un important rapport décrivant l’impact sur la société de la crise sociale déclenchée par le Covid-19. Titrée « La pauvreté démultipliée », ce rapport a notamment montré que pour les travailleurs et les travailleuses la pandémie a « déstabilisé les stables ». Elle a affecté aussi ceux qui avant arrivaient à s’en sortir.

Au début, Sabrina était venue chercher de l’aide au Secours populaire de son quartier, à Lyon

La précarité, le fonctionnement des aides et leur côté kafkaïen, à la fois étrange, intimidant et implacable, Sabrina les connait bien. Il y a 15 mois, son assistance sociale l’a encouragée à chercher de l’aide auprès du Secours populaire. C’est au cours d’un entretien à la permanence de la rue Jean Macé que la remarque Isabelle Martinelli, la responsable des actions de solidarité de l’association dans le Rhône. « Je cherchais quelqu’un pour nous représenter au CNLE. J’avais vu s’épanouir la dernière personne qui avait rempli cette fonction. » Au cours de la discussion, « je me suis rendu compte que Sabrina avait des choses à dire, qu’elle avait construit une pensée et réfléchis à la précarité dans laquelle elle se trouve, mais aussi au-delà à des situations similaires rencontrées par d’autres personnes. Ce qui m’a interloqué, c’est de voir une femme confrontée aux injustices qui a décidé de ne pas se résigner. » Sabrina a trouvé cette proposition très gratifiante. C’est pour elle, à juste titre, « une forme de reconnaissance ».

Au début, Sabrina était venue chercher de l’aide au Secours populaire. « J’ai pu discuter avec des bénévoles. Avoir du soutien. Rencontrer du monde, ça fait du bien. » Un jour, en venant récupérer un colis alimentaire, elle aperçoit la permanence étudiante. Des bénévoles lui ont proposé de venir donner un coup de main à préparer les sacs de légumes. C’est comme ça qu’elle est devenue bénévole. « J’étais dans une situation financière difficile, à mon arrivée, rue Macé. J’avais des impayés. » « Difficile » ? Un euphémisme : en 2020, elle a vécu six longs mois au RSA, à 542 euros, le temps que la CAF calcule le montant des aides à lui verser. Six mois pendant lesquels, Sabrina a dû vivre d’expédients, de débrouille, des invendus proposés par des commerçants et, finalement, avec le libre-service alimentaire du Secours populaire. « Une telle situation de retour des prestations est tristement banal. Les gens que je rencontre doivent même plutôt attendre 9 mois au RSA, dont le montant permet juste la survie », observe pour sa part Isabelle.

« J’ai toujours fait le choix de travailler pour avoir une vie sociale », malgré deux pathologies visibles

Plus jeune, Sabrina a décroché une équivalence du Bac. « Je travaillais la journée et j’allais aux cours du soir. » Cette fan de la musique des années 80, « surtout Balavoine et Queen », avait d’abord obtenu un BEP secrétariat et comptabilité, puis un diplôme de secrétaire polyvalente avec le Greta, l’organisme de formation. « Depuis 2002, j’ai toujours fait le choix de travailler pour avoir une vie sociale », malgré deux « pathologies visibles », dont la fibromyalgie qui se caractérise par une centaine de symptômes. Celle-ci est très invalidante, en particulier pour les douleurs aux genoux et aux cervicales qu’elle provoque. « J’ai besoin régulièrement d’antidouleurs et je ne peux pas rester à mon poste de travail 8 heures d’affilée debout ou 8 heures assise ».

Ses revenus ont longtemps été composés de manière variable de son salaire, de l’Allocation de solidarité spécifique (ASS) allouée par Pôle emploi quand elle a épuisé ses droits au chômage, et de l’Allocation adulte handicapé (AAH), versée par la CAF. « Les bons mois, je percevais 1500 euros, mais une fois mon contrat du moment fini, je tournais aux alentours de 700 euros, sans vraiment savoir à l’avance combien j’allais toucher. » Vers 2020, il lui est devenu impossible de percevoir l’ASS et la CAF a alors suspendu l’AAH afin de vérifier si elle ne lui avait pas délivré un montant dépassant ses droits. « Pendant ce temps-là, je n’ai en plus pas eu la possibilité de percevoir la prime de Noël ni d’avoir un nouveau calcul pour mes APL. » Une perte sèche, donc.

« C’est impressionnant de prendre la parole devant 250 personnes. J’ai réussi à vaincre ma timidité »

Sabrina équilibre son temps entre le bénévolat, la création de son entreprise de garde d’animaux, avec l’aide de la Chambre des métiers, et le CNLE. Au sein de l’organisme, elle a aussi été membre d’un jury d’attribution des aides publiques pour agrandir des structures, comme les crèches ou les centres de Protection maternelle et infantile. Pour les réunions du groupe de parole, elle se rend à Paris tous les trois mois. Plutôt que d’intervenir dans les groupes discutant du ‘‘logement’’ ou celui de ‘‘l’insertion sociale et professionnelle’’, Sabrina a voulu intégrer celui sur ‘‘l’égalité des chances’’, « ce qui se rapprochait le plus du handicap et de la question de l’autonomie ». Des thèmes qui recoupent aussi bien, selon elle, les personnes âgées qui ont « de plus de plus » besoin de travailler pour compléter leurs pensions insuffisantes ou les parents devant arrêter de travailler pour garder un enfant atteint d’un handicap, faute de moyens pour les confier à des structures. « C’est toujours impressionnant de prendre la parole devant 250 personnes, de parler bien fort et de bien articuler pour bien me faire comprendre. A force, j’ai réussi à vaincre ma timidité. »

« Je remonte les expériences de terrain, pose des questions sur le handicap et demande ce que font les responsables des politiques pour les publics que la société n’intègre pas. » A l’écoute des réponses qui lui sont faites, il lui arrive d’avoir l’impression que les hauts fonctionnaires en face d’elle ne saisissent pas vraiment les situations qu’elle vient d’évoquer. « J’ai envie parfois qu’ils viennent vivre ce qu’on vit juste un mois, ou quelques jours. Je crois qu’il n’y aurait plus du tout d’incompréhension. » Pour mener à bien ses interventions, elle les prépare par visioconférences. « Cela me permet entre de réfléchir, de discuter avec des membres du groupe de parole répartis dans toute la France, Marseille, Aix, Grenoble… » Ils font la même chose après les réunions à Paris. « On relit le compte-rendu pour y apporter des modifications si besoin. » Elle ne lâche rien. Jamais. Comme pour le logement social dans lequel elle vit. « Ça m’a pris six ans de démarches. »

 Il m’arrive d’avoir l’impression que les hauts fonctionnaires ne saisissent pas toujours. J’ai envie parfois qu’ils viennent vivre ce qu’on vit juste un mois.

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