Accompagner

  • Aide alimentaire

Vivre avec une calculette dans la tête

Mis à jour le par Olivier Vilain
Quand chaque centime d'euro compte dans un budget, l'aide alimentaire est précieuse. ©JM Rayapen/SPF

Située en périphérie du centre-ville de Troyes, la fédération du Secours populaire de l’Aube accueille deux fois par semaine une centaine de personnes. L’occasion pour les bénévoles d’être à l’écoute des familles et de leur apporter une aide alimentaire, vestimentaire... A Troyes comme dans toutes les permanences d’accueil, l’heure est à l’écoute de ceux pour qui les difficultés ne cessent de s’aggraver.  

A une heure et demie de Paris, Troyes semble une ville paisible où il semble bon vivre. Néanmoins, la dernière enquête publiée par l’Observatoire des inégalités en juin 2023 révèle que les quartiers Jules Guesde et les Sénards de Troyes figurent parmi les vingt les plus défavorisés de France. Leur point commun : une population largement constituée de personnes isolées et un chômage énorme. Cette réalité, Marie-Christine Valentin, secrétaire générale de la fédération, la côtoie quotidiennement. Elle s’en explique, chiffres à l’appui. « Sur Troyes et l’ensemble du département où nous avons des comités, nous constatons une hausse de plus de 30 % de demandes. Les familles sont touchées de plein fouet par l’inflation et les crises qui se succèdent. Nos activités de solidarité sont de plus en plus nombreuses. Aide matérielle, loisirs, accès au numérique… ». Des retraités avec de trop petites pensions, des personnes en activité qui ne parviennent pas à faire face, des personnes isolées, des familles monoparentales, des étudiants… toujours plus nombreux et dont les problèmes prennent de l’ampleur.

« Ce qui compte avant tout, ce sont mes enfants. Moi, je peux attendre. »

Côté vestiaire ce jour-là, Marina mère de deux enfants en bas âge, est heureuse de pouvoir trouver de quoi habiller Tom, son petit dernier à peine âgé de deux ans. « A cet âge-là, ils n’ont pas le temps d’user les vêtements, ils grandissent vite. Il y a trois mois, il a fallu changer tous les pantalons. Et aujourd’hui, je cherche des vêtements d’été car les shorts de l’été dernier sont bien sûr trop petits. » A la recherche d’un emploi depuis que son compagnon est parti, elle ne sait plus comment faire pour subvenir aux besoins de ses enfants. « Ce qui compte avant tout, ce sont mes enfants. Moi, je peux attendre. Mes vêtements ne sont pas complètement usés », nous dit-elle. Comme elle, les familles qui viennent aujourd’hui au libre-service sont impactées par la baisse du pouvoir d’achat et l’augmentation des factures. Ici, les personnes rencontrées reconnaissent que, depuis plusieurs mois, leur budget courses est revu à la baisse et qu’ils sont à la recherche des moindres économies et de tous les bons plans.

Première personne reçue ce jour, une femme qui profite de sa pause pour venir au Secours populaire. Elle l’a d’ailleurs demandée à son patron sans lui dire pourquoi elle avait besoin de cette disponibilité exceptionnelle. Femme de ménage dans une structure associative, elle travaille en moyenne 30 heures par semaine. Un travail qui la fait commencer tôt le matin mais qui lui laisse ses week-end de libres : elle ne veut pas laisser ses 2 enfants de 13 et 10 ans tout seuls car et elle n’a pas les moyens de les faire garder. « Sans l’aide du Secours populaire, je n’y arriverais pas. Avec la flambée des prix, faire ses courses coûte de plus en plus cher. Je ne vais que chez Lidl. Aujourd’hui, j’ai vu qu’il y avait des croissants, je vais en prendre car cela fera plaisir aux enfants. Ils aiment les sodas et les chips mais c’est cher. Ici pour 1 euro j’ai 3 kilos de patates, je vais pouvoir faire de la purée. »

Maria est bénévole et responsable de la préparation de l’aide alimentaire depuis longtemps. Elle reconnaît que pour les familles, le quotidien est de plus en plus difficile. « Grâce à ce que nous obtenons des partenariats locaux, des Banques alimentaires, des ramasses et des accords avec des producteurs locaux, la qualité, la diversité et la quantité sont quand même au rendez-vous ». Des produits d’hygiène et des produits d’entretien sont mis à la disposition des familles près de la caisse. Mais ici, comme dans de nombreux lieux d’accueil, ce sont les produits pour bébé et les couches qui font cruellement défaut.

« La fin du mois, c’est le 15. »

Pour acheter ces produits qui coûtent cher et, plus généralement, pour financer la solidarité, la fédération organise quatre braderies par an et deux foires aux livres. Cet argent vient compléter les fonds dont dispose l’association. Ces initiatives s’accompagnent également de collectes dans les grandes surfaces, comme pour les fournitures scolaires durant l’été. Marie-Christine Valentin, qui dirige la fédération depuis 6 ans, compte sur ces initiatives plus que nécessaires. Néanmoins, elle constate aussi que l’inflation touche les donateurs. « Lors des collectes en grandes surfaces, nous voyons que la générosité des clients est en baisse. Comme les personnes que nous aidons, ils sont impactés par la crise. Ils donnent moins et s’orientent plutôt vers des produits de base comme les pâtes et le riz. » Pour Madame Moussaoui, mère de cinq enfants et en invalidité, les revenus du foyer sont insuffisants pour vivre sans le Secours populaire. Venue avec sa fille Yasmine, élève de seconde qui l’aide à porter ses sacs, elle est un peu gênée de nous raconter son quotidien. « Tout augmente aujourd’hui, la fin du mois c’est le 15. Avec ma voisine, on recherche en permanence les bons plans, les promos et les lots dans les magasins de déstockage. Parfois cela fait beaucoup, mais on achète à plusieurs familles et on partage, c’est comme ça que l’on parvient à s’en sortir. »

Vivre avec une calculette dans la tête
Les bénévoles attachent une grande importance à la qualité des aliments offerts aux personnes en difficulté, notamment à la présence de produits frais, de fruits et de légumes. ©Jean-Marie Rayapen/SPF

Dominique et Marie-Laurence sont bénévoles depuis un an maintenant au Secours populaire. Amies, elles partagent la même envie de se sentir utiles. Alors, une à deux fois par semaine, elles viennent donner de leur temps pour aider les autres. Postées au rayons fruits et légumes de la distribution, elles ont à cœur que tout soit en place à temps et que les fruits et légumes soient bien présentés. La variété des produits rend hésitantes les familles. Fraises, artichauds, aubergines, tomates, salades, radis, carottes…. Un choix digne des plus grands primeurs. « Nous aidons les familles dans leurs choix, en donnant notamment quelques idées recettes », explique Dominique.

« Pas d’imprévus possibles, pas de petits plaisirs non plus. »

Madame B. est retraitée depuis 4 ans. Ancienne auxiliaire de vie, elle a travaillé toute sa vie sans jamais aucune période de chômage mais, pour elle, « la vie est dure ». Avec une pension de 800 euros et un loyer de 400 euros, les comptes sont vite faits. « Je me rappelle la première fois que je suis venue ici, ce n’était pas facile. Il a fallu que je prenne sur moi. Mais les bénévoles ont pris le temps de parler avec moi et cette écoute m’a aidée à avoir moins honte. » Depuis, elle vient toutes les deux semaines car, sinon, elle sait que les derniers jours du mois elle ne pourrait plus manger. « J’ai une calculette dans la tête, tous les jours je fais le décompte de ce qu’il me reste sur mon compte. Pas d’imprévus possibles, pas de petits plaisirs non plus. Il y a 6 mois ma machine à laver est tombée en panne : il a fallu que je demande à mes enfants de m’aider. J’ai hésité longtemps avant de le faire. » Son petit-fils est là pour l’aider ; avec sa canne et ses difficultés pour se déplacer, elle ne pourrait sinon pas venir au Secours populaire. C’est pourquoi il lui propose de la véhiculer à chaque rendez-vous avec l’association.

Se restreindre au quotidien sur tout, c’est ce que font toutes les familles qui viennent au Secours populaire de l’Aube. Sur les vêtements, sur les loisirs, sur les vacances mais aussi sur l’alimentaire. Sur tous ces postes de dépenses, le Secours populaire agit et accompagne les familles du mieux qu’il peut. Pour les loisirs, une sortie séniors d’une journée est organisée à Fontainebleau et une sortie à la mer sera proposée aux familles. Un atelier informatique a lieu tous les mardis après-midi, car la fracture numérique est un problème auquel le SPF tente de répondre. L’objectif des bénévoles : accompagner les familles dans leur quotidien et leur apporter des réponses

Thématiques d’action