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Un, deux, trois… soleil !

Mis à jour le par Pierre Lemarchand
Reine et Pascal entourent Eba, encore ruisselant de l’eau de la piscine de leur maison, sur l’île de Ré. Le 12 juillet 2023, Rivedoux-Plage. © Lisa Miquet / SPF

Depuis trois ans, Eba, petit Parisien de 9 ans, est accueilli durant quinze jours d’été par Reine et Pascal, sa « famille de vacances » qui vit sur l’île de Ré. Les deux retraités, bénévoles du Secours populaire de Charente-Maritime, mettent tout en œuvre pour offrir à l’enfant de belles vacances. Et reçoivent en retour leur part de bonheur. Reportage.

Cela fait cinquante ans que Reine et Pascal vivent ensemble – cinquante ans qu’ils regardent dans la même direction. Mais là, Pascal regarde devant et Reine derrière : elle veille sur Eba qui les suit en vélo, tandis que le couple roule sur son tandem. « C’est le premier de l’île de Ré, fabriqué sur mesure ! On se l’est offert pour Noël 1974 », se souvient Reine. Elle veille sur le petit bonhomme qui pédale derrière, lui annonce les faux-plats, prévient les virages et les carrefours. Et surtout l’encourage, salue ses progrès. « Cinquante ans de mariage, on ne s’est pas vus vieillir, lâche-t-elle essoufflée. On s’en rend compte quand on passe devant un miroir… ou quand on a la visite d’Eba ! ». Le garçon de 9 ans est arrivé de Paris deux jours auparavant et a posé ses valises chez sa « famille de vacances », à Rivedoux-Plage, pour deux semaines. C’est la troisième année qu’il vient passer une partie de son été chez le couple de bénévoles du Secours populaire. Quand, parmi la vingtaine d’enfants accompagnés par la fédération du Secours populaire de Paris, il est descendu du train, il les a serrés forts contre lui, comme toujours ; comme la première fois, quand il n’avait que six ans. « Ça nous avait surpris, cette capacité à nous prendre tout de suite dans ses bras », sourit Pascal. Ainsi Eba est-il entré dans leur vie : en les embrassant.

La fraîcheur et l’émerveillement propres à l’enfance

Avec eux, Eba a appris à faire du vélo et à nager. A découvert le surf avec leur fils Donatien, appris des airs de piano avec Pascal. Grâce à lui, tous deux continuent de vivre « la fraîcheur et l’émerveillement propres à l’enfance », confie Reine. « L’année dernière, Eba a vécu son premier feu d’artifice, on en a eu les larmes aux yeux. Il était si intensément heureux ; alors nous l’étions aussi. » Quand ils s’étaient quittés l’an dernier, il leur avait dit qu’il aimerait jouer au tennis. Aussi l’ont-ils inscrit et c’est à son cours qu’ils se rendent de bon matin. Sur le parking du club, Eba gare son vélo et met tout seul l’antivol : un nouveau progrès souligné par Reine. Un nouveau signe du temps qui passe, une autre incarnation des liens tissés entre eux trois. Une heure durant, en compagnie de ses copains Tom et Maxence, au rythme des instructions joviales de Sébastien, professeur et « figure de Rivedoux », Eba tape dans la balle, court, se dépense sans compter. Reine et Pascal, assis sur des chaises de plastique blanc, contemplent le petit garçon – le regard dans la même direction. C’est ainsi qu’ensemble, ils ont choisi d’exercer leur bénévolat au sein du Secours populaire de la Charente-Maritime : en accueillant un enfant pendant les vacances pour lui offrir des moments de bonheur qui font grandir.

Un, deux, trois... soleil !
Eba, lors de son deuxième cours de tennis, au top de sa concentration. ©Lisa Miquet / SPF

Avant d’entrer dans la bibliothèque, Reine interpelle Eba : « N’oublie pas de dire bonjour ! ». Il s’exécute aussitôt et lance un bonjour sonore là, sur le petit chemin qui mène au bâtiment – un bonjour aux arbres, aux oiseaux. Un bonjour trop tôt, accueilli par le rire de Reine. « Eba le rêveur ! », dit-elle à voix basse, pour elle-même. Le passage à la bibliothèque est rapide : Eba se saisit du deuxième tome du manga Goldfish dont il a dévoré la première partie des aventures la veille. « J’aime lire car cela me donne du courage ! Il y a dans les livres des héros qui se relèvent malgré leurs blessures. Alors je me dis que c’est la même chose dans la vraie vie », explique le petit garçon. Il est à présent bientôt midi. La beauté à couper le souffle de l’anse de Rivedoux se découvre sous les yeux des trois cyclistes : le port à gauche, la courbe élégante du pont à droite et, en face, les côtes découpées du sud de la Vendée. Ils choisissent de prendre, pour rentrer, le chemin des écoliers, en s’offrant une balade le long de la mer. Le soleil, que voilaient les nuages, perce à présent et avive les couleurs, lave la lumière. « Ici, le paysage change à chaque heure du jour », s’enthousiasme Reine. Sur la piste cyclable, Eba prend la tête du petit équipage et parcourt quelques mètres en danseuse. Une petite heure s’écoule avant que l’enfant ne s’écrie « On arrive à la maison ! ».

Le cocon et l’aventure

Dans la maison de Reine et Pascal, Eba a ses habitudes. Sitôt rentré, il s’installe devant le circuit de voitures électriques qui appartenait aux deux fils du couple et que ce dernier ressort chaque été à sa venue. Faire rouler à toute vitesse les automobiles rouge et jaune, comme les voir subitement dérailler, l’emplit de joie. Les vacances lui procurent la chaleur d’un cocon autant que le frisson de l’aventure. La maison recèle des trésors qu’il affectionne – le tiroir de la cuisine où Reine range les gâteaux et les friandises, l’abri de sa chambre, les livres, les jeux de société, le piano, le garage où reposent son vélo, sa raquette et ses balles de tennis – en même temps qu’elle est ouverture sur le monde, point de départ de ses découvertes. « Vendredi matin, on partira tôt. On ira faire un tour de bateau ! », lui confirme Pascal. Le repas est prêt : assiettes, couverts et mets sont disposés avec soin sur la belle nappe d’indigo, aux couleurs franches, qu’Eba a apportée. C’est un cadeau que Nathalie, sa maman, a offert à la « famille de vacances » de son fils. Elle l’a achetée à Grand-Bassam en Côte d’Ivoire, la ville côtière à une cinquantaine de kilomètres d’Abidjan d’où elle est originaire. « C’est ma façon de leur dire un grand merci, témoigne-t-elle. Avec Reine et Pascal, Eba change d’air, rencontre de nouvelles personnes : c’est pour lui une ouverture culturelle et l’occasion de vivre des vacances que je ne peux pas lui offrir. Il n’a pas de grands-parents et ils sont comme une deuxième famille pour lui. »

Un, deux, trois... soleil !
D’année en année, Reine et Pascal mesurent les progrès d’Eba en vélo. Ils font à présent de longues balades le long de la mer. ©Lisa Miquet / SPF

Eba n’a pas de grands-parents, Reine et Pascal n’ont pas de petits-enfants : ces trois-là se sont bien trouvés. A table, les discussions vont bon train et Eba se livre à une autre passion qu’il a découverte à Rivedoux : le Reblochon. L’enfant a un formidable appétit et conclut le repas par un définitif « Reine, c’est une cheffe ! ». Puis c’est l’heure d’un autre rituel, qu’il appelle de ses vœux depuis le matin. Sitôt la table desservie, il apporte le Voyage en Europe, le jeu de société qui les occupe toutes les après-midis – « C’est deux parties minimum », s’amuse Pascal. L’enfant en connaît toutes les cartes et les règles, lance les dés comme on jouerait sa vie. Il vit intensément ce voyage immobile, qui le mènera tout de même de Liverpool à Arkhangelsk, port russe près de l’Arctique au nom imprononçable. A peine les parties terminées – qu’il gagne haut la main – Eba est en maillot de bain. Quelques secondes encore et le voici immergé dans la piscine, à faire des longueurs sous l’eau, multiplier les plongeons, faire la planche et le poirier. « Ce que je préfère par-dessus tout dans mes vacances, c’est la piscine », jubile-t-il. Quand Reine lui confie que, lorsqu’ils ont acheté la maison, ils ne voulaient pas de la piscine, il est abasourdi. Et demande pourquoi. « Parce qu’on ne savait pas qu’un jour, tu viendrais », lui glisse-t-elle en retour.

Les couleurs du bonheur

« La première chose qu’Eba a faite quand il est arrivé cette année, c’est d’aller vérifier que la piscine n’avait pas disparu ! », se souvient Pascal, tandis que Reine apporte au baigneur la serviette qu’ils lui avaient offerte la première année et qu’il amène chaque été. L’enfant s’en revêt et disparait sous la cape arc-en-ciel : aux couleurs des vacances, aux couleurs du bonheur. « Quand Eba sourit, tout autour s’illumine », exprime Reine. La fin de la journée, elle peut la deviner. Eba, épuisé, piquera du nez dans son assiette, se ressaisira, se brossera les dents, se blottira dans son lit et ce sera alors l’heure du câlin et de l’histoire qu’ils liront ensemble. Ils prendront peut-être le livre emprunté ce midi à la bibliothèque, la suite des aventures de Goldfish : l’histoire d’un garçon qui transforme tout ce qu’il touche en or.

Un, deux, trois... soleil !
Eba dans le jardin de la maison de Reine et Pascal, avec la serviette multicolore que le couple lui avait offerte lors de leur première rencontre, trois années auparavant. ©Lisa Miquet / SPF

3 questions à …

Un, deux, trois... soleil !

Christiane et Maryse, bénévoles de la fédération du Secours populaire de Charente-Maritime en charge du dispositif  « familles de vacances »

Combien d’enfants ont été accueillis par des familles de vacances de Charente-Maritime en 2023 ?

Maryse : Cette année, 19 enfants ont été accueillis dans 14 familles. Ils sont tous arrivés lundi 10 juillet et leur séjour dure deux semaines. L’accueil s’arrête normalement à 13 ans mais il y a deux grandes filles de 15 ans – elles ont été réinvitées par leurs familles de vacances ! La plus jeune est une petite princesse de 5 ans et demi. La moyenne d’âge des enfants est de 8-9 ans. Ce sont tous des petits Parisiens, qui vivent dans des familles aidées par la fédération du Secours populaire de Paris. Les familles sont souvent retraitées mais ce sont aussi des couples avec enfants. C’est aussi une manière pour eux, en accueillant un petit copain pour les vacances, d’inculquer à leurs enfants la notion de partage.

Qu’apporte une telle expérience aux enfants accueillis ?

Christiane : Pendant 15 jours, ces enfants vivent selon un autre rythme, s’ouvrent sur le monde : certains découvrent la mer, d’autres apprennent à faire du vélo. On s’occupe d’eux, on prend soin d’eux. Ce sont des moments de bonheur très importants.

Maryse : Et c’est un bonheur partagé, un apport réciproque.

Christiane : Absolument. Depuis dix années que je suis engagée dans l’organisation de ces accueils, mon émotion est la même quand je vois tous ces enfants descendre du train avec leur petite valise. Ils peuvent soit se cacher derrière elle, soit l’exprimer avec force, mais tous sont traversés d’une grande joie. Une joie que vivent aussi les familles, qui attendent toujours avec impatience de retrouver les enfants.

Des liens se tissent, en dehors de l’été, entre chaque enfant et sa « famille de vacances » ?

Christiane : Oui, et ces liens durables sont très importants. Ils s’envoient des cartes ou des petits cadeaux, aux anniversaires, à Noël … Ces liens se tissent aussi avec les familles des enfants accueillis.

Maryse : Les enfants viennent de familles où on s’occupe bien d’eux. La démarche de confier son enfant pendant deux semaines à une autre famille n’est pas évident : il faut vouloir le meilleur pour son enfant ! C’est un projet que nous construisons ensemble. Ce qu’il manque à ces enfants, ce n’est pas un cadre affectif, mais plutôt des moyens, des opportunités pour vivre pleinement les découvertes de l’enfance. 

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