Séminaire populaire : quand obligation et bénévolat s’entrechoquent

Mis à jour le par Olivier Vilain
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Le 14 mai 2024 le Secours populaire organisait un séminaire populaire sur le bénévolat libre et volontaire.©Nathan Puech/SPF

Changement dans les relations avec les pouvoirs publics. Professionnalisation accélérée. Bénévolat obligatoire pour obtenir le RSA. L’environnement des associations ne cesse de se modifier et met en lumière les dangers d’un bénévolat ‘‘contraint’’. Pour faire le point sur la situation, un séminaire populaire a réuni, au siège national du Secours populaire, le 14 mai dernier, Lionel Prouteau, maître de conférences à l'Université de Nantes, Joëlle Botalico, ex-vice-présidente du Haut Conseil à la vie associative et Guillaume Allègre, économiste à l’OFCE.

Les participants au séminaire populaire ont souligné la contradiction existant entre la notion d’« obligation » et celle de « bénévolat ». « L’activité bénévole ne peut jamais être placée sous le signe de l’obligation. L’idée d’obligation légale est complètement étrangère aux définitions du bénévolat. Il y a une grande diversité des définitions pour le bénévolat, mais toutes ont cette caractéristique commune : le bénévolat est une action volontaire », pose Lionel Prouteau, maître de conférences en économie à l’Université de Nantes.

L’évolution récente tend à brouiller cette caractéristique : « Depuis quelques temps, on assiste à un glissement sémantique du ‘‘bénévolat’’, librement consenti, vers le ‘‘volontariat’’ qui, lui, est plus ou moins contraint, même si dans ce cas aussi le gain n’est pas le but de l’action », appuie Joëlle Bottalico, secrétaire générale adjointe du Secours populaire et qui a été vice-présidente du Haut Conseil à la vie associative jusqu’à récemment.

Toutes les définitions convergent

Les définitions du bénévolat convergent, qu’elles soient portées par les Nations unies, l’Organisation internationale du travail, la Charte européenne des bénévoles ou le Conseil économique social et environnemental. Toutes stipulent que le bénévolat est « l’action de la personne qui s’engage librement sur son temps personnel pour mener une action non rémunérée en direction d’autrui ou au bénéfice d’une cause servant l’intérêt collectif ».

Les bénévoles emmènent les enfants au musée de Grenoble dans le cadre d’un partenariat qui existe depuis plusieurs années. Après-midi de découverte culturelle pour plus de 150 personnes.

Pourtant, depuis quelques années, les deux notions d’« obligation » et de « bénévolat » sont de plus en plus souvent combinées : les écoles de commerce et de management développent des temps de bénévolat que les étudiant doivent accomplir pour compléter leurs cursus. De même conditionner, comme le fait désormais la loi, le versement du RSA à une activité non rémunérée, notamment dans des associations, lie en quelque sorte le bénévolat et une obligation.

Le monde associatif est loin de se réjouir de cette mesure. Il n’est même pas sûr qu’elle augmente le nombre de bénévoles. « Ce que l’on voit dans les autres pays comparables à la France, c’est que ce type de conditionnalité pour obtenir le versement d’une allocation augmente surtout le non-recours », c’est-à-dire que les gens font une croix sur leur droit, par peur d’entrer dans un processus administratif qu’ils ne peuvent pas contrôler, rapporte l’économiste Guillaume Allègre, de l’OFCE, le laboratoire de recherche en économie de Science Po.

Confusion entre « travail » et « bénévolat »

L’économiste observe que la manière dont la loi a été rapportée a particulièrement brouillé les frontières entre le ‘‘travail’’ et le ‘‘bénévolat’’. « La publicité qui a été faite autour de la mesure en termes de 15 heures d’activités obligatoires a créé beaucoup de confusion : beaucoup de gens vont se dire que finalement, ils vont s’abstenir par peur aussi de l’arbitraire administratif », déplore Guillaume Allègre.

Au bénévolat répond un projet associatif, comme le note Joëlle Bottalico, du Secours populaire. « Une association elle-même ne vit que parce qu’il y a un projet derrière. » Les gens ne choisissent pas par hasard de consacrer du temps dans une association plutôt qu’une autre. Le projet associatif est destiné à produire « une forme d’adhésion de l’ensemble des personnes qui la rejoignent », rappelle Joëlle Bottalico, que les associations œuvrent à l’accès effectif au droit à la santé, à la nourriture, aux vacances, à une situation stable, etc. « Chaque projet donne un sens à l’engagement de ceux qui vont pratiquer le bénévolat, c’est-à-dire une activité librement choisie ; ça ne peut pas être autrement. »

Revivez, en cliquant sur la vidéo, le Séminaire populaire sur « Le bénévolat est-il encore libre et volontaire? »

L’ancienne vice-présidente du Haut Conseil à la vie associative estime que les bénévoles se nourrissent de concert, mutuellement, à travers leurs expériences, créant ainsi un collectif. Dans cette logique, elle dénonce le glissement vers le « bénévolat obligatoire » qui, lui, fait disparaitre « le collectif » pour assurer un fonctionnement associatif sur la base d’une gestion individuelle des bénévoles, sur le modèle d’une entreprise. « On ne peut pas avoir d’association sans bénévoles ; on ne peut pas imaginer que des associations ne fonctionnent qu’avec des salariés. »

Les gens ont la liberté « de venir au Secours populaire ou ailleurs », comme le montrent les enfants « Copain du Monde », qui sont de jeunes bénévoles, parfois dès 6 ans. C’est ce qu’a rappelé Farida Benchaa, secrétaire générale de la fédération des Bouches-du-Rhône du Secours populaire, lors de la traditionnelle séance de questions et d’interventions venant du public. L’élue a souligné que « l’impact sociétal du bénévolat a été identifié ». Pour que cela continue, il faut que la liberté d’adhérer à un projet associatif continue d’exister. Cela implique, selon elle, le refus du « moule » dans lesquels les « institutions » pourraient tenter de faire entrer le monde associatif : « Il faut que nous soyons clairs sur les mots, leur signification, afin de mettre les pouvoirs publics face à leurs contradictions. »

Que devient le projet associatif ?

Derrière cette logique d’obligation, les associations pourraient perdre leur autonomie et leur dynamisme : elles seraient contraintes de fonctionner selon des critères définis en dehors d’elles-mêmes. Elles pourraient, par exemple, avoir pour objectif de favoriser le retour à l’emploi des personnes les plus précaires, alors que les projets des associations sont beaucoup plus larges. Au Secours populaire, des personnes aidées sont aussi bénévoles et certaines sont même dans ses instances de direction, « mais c’est qu’elles ont exercé leur liberté de choix », remarque Joëlle Bottalico.

La perte d’indépendance est un risque d’autant plus palpable dans le cas où des financements viendraient soutenir l’accueil de ‘‘bénévoles’’ contraints. Ces financements viendraient déformer, dans certains cas, le bilan des associations, transformant ces organisations en simples délégations de l’action publique.

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