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L’enfer blanc des saisonniers à Chamonix

Mis à jour le par Olivier Vilain
Les bénévoles du Secours populaire sont les seuls à venir en aide aux saisonniers, qui vivent à l'écart dans la vallée de Chamonix.

La fermeture des remontée mécaniques et des commerces affecte 120.000 saisonniers en France. Dans la vallée de Chamonix, recouverte de neige, les bénévoles leur viennent en aide sur les parkings sur lesquels ils vivent dans leurs camions. 

​« Les gens sont dans l’angoisse. Si ça continue, ils vont devenir quoi ? Ils ne seront plus saisonniers, ils vont passer du chômage au RSA. On met des années à évoluer, à se former, mais ça va vite pour descendre », s’inquiète Marie, au chômage depuis début octobre alors qu’à cette période de l’année elle devrait travailler à temps plein dans la restauration, « en tant que responsable des petits-déjeuners » dans la vallée de Chamonix, au pied du Mont-Blanc.

Les stations de sports d’hiver restent ouvertes, mais sont désertées alors qu’elles accueillent jusqu’à 9 % de la population durant l’hiver. Les remontées mécaniques ont été arrêtées en mars 2020 lors du premier confinement. Depuis, le gouvernement les maintient à l’arrêt dans le cadre de la lutte contre le coronavirus. Entre cette mesure et la fermeture longue durée des cafés et restaurants, les stations de ski sont désertées.

Près de la moitié sur le carreau

Sans contrat de travail, les saisonniers ne peuvent pas bénéficier du dispositif de chômage partiel. Ils sont dans une grande précarité. « On estime que 40 % des saisonniers n’ont pas été embauchés, explique Antoine Fatiga, responsable des travailleurs saisonniers à la CGT (Le Figaro, 21.01.21). Donc aujourd’hui, ils se retrouvent sans rien, sans employeur et de fait ils ne sont pas couverts par le chômage partiel. C’est une catastrophe. » 

Ce devrait être la période de pleine activité pour Marie et 120 000 saisonniers dont les contrats n’ont pas repris. Au lieu de gagner 1500 euros par mois, elle en perçoit 900 « pour encore deux mois ». Après, si elle ne trouve rien, elle perdra encore 100 euros, s’alarme cette grande brune, pourtant facilement joyeuse, « parce que mon allocation sera calculée à partir d’un job moins bien payé » effectué cet été dans un restaurant d’altitude. Les temps sont durs pour la jeune femme qui ne quitte pas sa doudoune sombre : elle loue une « petite cabane en bois de 22 mètres carrés pour 500 euros », sans APL parce que les propriétaires ne déclarent pas la location. Les loyers sont très élevés au pied du Mont-Blanc dans l’une des stations les plus cossues.

Alizée, la grande amie de Marie, redoute que son contrat d'intérim soit suspendu en cas de reconfinement.

Alizée, la grande amie de Marie, redoute que son contrat d’intérim soit suspendu en cas de reconfinement.


 

Elle vient se réchauffer la journée auprès de ses amis, Ricco, Ludo et Alizée, qui vivent dans des camions et des caravanes sur un parking enfoui sous un bon mètre de neige le long de la route blanche, à la sortie des Houches, en contrebas de Chamonix. « Contrairement au camion d’Alizée qui retient bien la chaleur, moi j’ai froid. Quand il fait moins 15, j’ai le gel sur les vitres. » Son logement n’est pas isolé. « Pour le moment, c’est tout ce que je peux me payer. Quand le boulot aura repris, je chercherai quelque chose de plus classique dans le privé. »

Ça fait deux hivers que les stations de ski fonctionnent au ralenti. Nous étions les premiers à aller les voir.

Edith, secrétaire générale du comité de Chamonix-Mont-Blanc

« Qui veut du café ? Du thé ? » Dans son camion aménagé, Alizée reçoit en leur proposant des boissons chaudes les bénévoles du Secours populaire venus apporter des denrées alimentaires aux saisonniers en difficulté. Dehors, il fait 9 degré en dessous de zéro. « Oh, la dernière fois que nous sommes venus, début janvier, il faisait moins quinze ! », se rappelle Edith, secrétaire générale du comité Chamonix-Mont-Blanc de l’association.

La porte du camion reste ouverte. Personne ne quitte son manteau. Portant des dreadlocks et des piercings au visage, Alizée raconte sa saison d’hiver avortée : « Je devais travailler dans une enseigne de jeux, pour un bon salaire de 1500 euros, avec les heures supplémentaires et les pourboires. » Au lieu de ça, elle a continué à distribuer le courrier à la Poste en intérim. Un job qu’elle a pris à la fin du premier confinement. « Ce n’est qu’au smic et ça reste précaire parce que ce sont des contrats de trois semaines à chaque fois. » Elle craint qu’en cas de reconfinement, la Poste se sépare de ses intérimaires.

Des travailleurs sans chômage partiel

Nicole, Chantal et Edith sont venues avec des grands sacs de café, des kilos de pâtes, de semoule, plusieurs bouteilles d’huile, du thon en conserve, etc. « Ça fait deux hivers pratiquement que les stations de ski fonctionnent au ralenti », rappelle Edith. L’année dernière, la saison s’est arrêtée dès le mois de mars. Cette fois, c’est toute la saison qui est mise à mal alors « qu’il a beaucoup de neige en plus », compatit Chantal. « Au niveau local, personne ne se soucie vraiment de ces travailleurs et de ce qu’ils deviennent », ajoute énergiquement Edith. Début janvier, quand les bénévoles ont fait le tour des aires de saisonniers, avec 80 litres de soupe donnés par un traiteur de Chamonix, l’un d’eux, surpris de les voir avec tous leurs paquets, leur a demandé s’ils étaient perdu. « Nous étions les premiers à aller les voir », souligne Edith, qui contient avec difficulté son indignation.

Que ce soit à Briançon (Hautes-Alpes) ou à Lourdes (Hautes-Pyrénées), les bénévoles du Secours populaire viennent en aide aux saisonniers cet hiver. Et, déjà, l’été dernier, ils avaient soutenu ceux dont la vie a été « bouleversée » par la baisse du nombre de touristes prenant leurs vacances sur le littéroral, comme Hélène dans l’île de Ré, qui était réduite, sans cela, à ne faire « qu’un seul repas par jour : le petit-déjeuner, le plus souvent ».

Le long de la route banche, dans les Alpes, les saisonniers vivent dans des camions recouverts de neige, par 15 degrés sous zéro.

Le long de la route banche, dans les Alpes, les saisonniers vivent dans des camions recouverts de neige, par 15 degrés sous zéro. 


Au-delà de l’aide alimentaire, les bénévoles passent aussi du temps à discuter car ces travailleurs nomades sont bouleversés. Emportant ses sacs de denrées, Marie souffle : « Depuis toujours je me force à ne pas manger pour très cher. Dans ce que le Secours populaire apporte, il y a tout ce dont j’ai besoin – de la farine, des pâtes… –, tout ce qui va disparaitre avec le confinement si les gens se ruent à nouveau dans les supermarchés. » Depuis trois semaines, alors que la vallée reste désespérément vide, elle a une boule au ventre : « Ce qui me stresse le plus c’est qu’il n’y ait plus à manger dans les magasins. Je ressens la détresse des étudiants ; celle des saisonniers. Jamais je n’aurais pensé qu’avec le Covid tout le monde allait plonger en même temps », confie la jeune femme de 32 ans qui ressent « une angoisse ‘‘de fou’’ ».

Si je laisse filer, je peux être au chômage jusqu’en août. Mais je devrais être en train de cotiser à plein en ce moment.

Ricco, saisonnier au chômage depuis septembre dernier

Elle a toute la journée pour retourner sans cesse tout ça dans sa tête. Au chômage depuis septembre, Ricco confirme, le plus dur c’est de ne rien faire, de rester dans sa caravane, seul. « Normalement, je travaille dans un resto. Je vois des clients, à la fin du service, on boit un coup entre saisonniers, on voit ses amis. Là, rien, c’est insupportable. » Il n’a pas encore Internet, se sent « coupé du monde » avec ses trois chiens. Il a cherché du travail dans les supermarchés, mais les effectifs sont au complet.

« Pour m’occuper, je passe le permis. Comme ça cet été, je serais en capacité d’aller faire les cueillettes s’il n’y a toujours rien ici. » Mais le moment est à l’inquiétude et à l’incompréhension : « Si je laisse filer, je peux être au chômage jusqu’en août. Mais ce qui m’énerve, c’est que je devrais être en train de cotiser à plein en ce moment, c’est la période de pleine activité », tempête doucement Ricco, entre deux bouffées de cigarette.

L’agriculture, tu t’y « ruines la santé »

Le travail agricole semble être une perspective. Alizée y pense aussi, même si elle sait que « c’est pas facile, tu te ruines la santé ». Elle a déjà fait du maraîchage près de Limoges et la récolte des abricots du côté de Nîmes. « Tu dois te baisser toute la journée, tu portes des charges lourdes, en plein soleil et, au final, t’as une petite paie de 800 ou 900 euros. » Pour tenir, les saisonniers s’entraident. Ils s’invitent les uns chez les autres. Font repas commun. Ils ramassent aussi la nourriture que les supermarchés jettent et se répartissent la viande, les légumes, les laitages ainsi collectés.

« On se soutient, c’est très important », souligne Alizée sous le regard approbateur de Ricco et de sa grande amie Marie. Ils savent aussi qu’ils peuvent compter sur les bénévoles du Secours populaire. « Surtout, vous n’hésitez pas à nous appeler », leur lance Edith.

"Le plus dur dans l'absence de travail est le manque de contacts, avec les clients ou les collègues",  explique Ricco, sans travail depuis septembre.

« Le plus dur dans l’absence de travail est le manque de contacts, avec les clients ou les collègues », explique Ricco, sans travail depuis septembre.

 

Don’actions : des moyens pour agir

Le Don’actions est la campagne de collecte du Secours populaire français. Les dons collectés nous donnent les moyens d’agir auprès des personnes en difficulté et de développer une solidarité de proximité en toute indépendance. Depuis 20 ans, le Don’actions apporte des fonds nécessaires au quotidien des antennes du Secours populaire.
Par exemple, il a permis d’acquérir à Reims une camionnette pour assurer une permanence mobile auprès des sans-abris. Ou à Cancon, dans le Lot-et-Garonne, il a permis d’acheter un réfrigérateur et un congélateur qui servent à stocker les produits frais distribués aux personnes accueillies.
Du 15 janvier au 25 mars 2021, les bénévoles vont redoubler d’initiatives et aller à la rencontre des donateurs et du public. Cette campagne a pour objectif de donner des moyens à l’association pour qu’elle puisse agir auprès des plus démunis. Nouveautés de l’édition 2020 : un dispositif digital et plus de 100 lots offerts par des personnalités.

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