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Russie : Nochlezhka, l’association refuge pour les sans-abri

Mis à jour le par Pierre Lemarchand
« Ce qui me motive à être bénévole ? Juste l’envie de voir les autres aller mieux, et aussi me dire que ce que je fais change quelque chose dans le monde. » Luba, 26 ans, volontaire au bus de nuit de l’association Nochlezhka. ©Mary Gelman/SPF

Prendre le drame des sans-abri de Saint-Pétersbourg à bras-le-corps : telle est la mission que s’est assignée l’association Nochlezhka, partenaire du Secours populaire en Russie. De l’aide humanitaire d’urgence (nourrir, réchauffer, soigner, mettre à l’abri) à l’accompagnement pour une réinsertion sociale, ce sont 9000 personnes qui sont aidées chaque année – 9000 vies sauvées. Reportage.

A Saint-Pétersbourg, tout le monde connaît Nochlezhka. Ses équipes de professionnels et de volontaires sillonnent les rues et leurs parkas rouges ou jaunes, floquées du logo de l’association, sont là pour rappeler qu’en toute saison, les sans-abri de la ville ne sont pas livrés à eux-mêmes et peuvent compter sur leur aide. Fondée en 1990, l’association compte, parmi ses nombreux soutiens et partenaires, le Secours populaire : « Notre partenariat avec Nochlezhka remonte à une dizaine d’années, éclaire Jean Guilvout, secrétaire départemental en charge de la solidarité mondiale de la fédération du SPF de Paris. Ils accueillent pour plusieurs jours, plusieurs semaines et parfois plus, des personnes sans-abri épuisées afin qu’elles reprennent pied. Ils ont des équipes chevronnées, qui mettent tout en œuvre pour que ces personnes puissent sortir de la rue. »

Se sentir considéré comme un être humain

Au départ initiée par une poignée de citoyens engagés, Nochlezkha (en russe : « refuge de nuit ») s’avère être, plus de trente ans après, la plus importante association d’aide aux personnes sans-abri de Saint-Pétersbourg, forte d’une équipe de 70 salariés, accompagnés de centaines de bénévoles. Ensemble, ils livrent un combat quotidien contre l’enfer que vivent plusieurs dizaines de milliers de sans-abri dans une ville où les hivers plongent les températures en dessous de zéro. « La base de notre travail, c’est l’aide humanitaire d’urgence, accessible à toute personne dans le besoin », avance Irina Sagurova, responsable des partenariats et de la collecte. C’est sur ce front de la survie, d’abord, que les parkas rouges et jaunes des équipes de Nochlezkha colorent les nuits saint-pétersbourgeoises.

Lors des maraudes des bus de nuit, ils apportent repas chauds, vêtements et médicaments et sont disponibles pour une consultation sociale ou médicale. « Pour de nombreuses personnes, le bus de nuit est le seul lieu où ils se sentent considérés comme des êtres humains », lâche Igor Antonov, un de ses conducteurs. Au sein des tentes chauffées réparties dans la ville, ils permettent de trouver un refuge pour une nuit ; l’accueil y est inconditionnel, comme le souligne Anna Malinia, qui coordonne ce dispositif :  « Il n’y a besoin ni de carte d’identité, ni d’argent : tout le monde est le bienvenu pour passer la nuit ici. Les tentes ont une capacité d’accueil de 36 personnes, mais durant les froids extrêmes, nous accueillons jusqu’à 50 personnes. » Nochlezkha met également en place des points d’accueil avec douches et machines à laver le linge. Il en va de la dignité en même temps que de la nécessité de rompre le cercle vicieux de l’exclusion.

Aleksey (en bas à dr.) et Volodya (en haut à dr.), tous deux sans-abri à la suite d’escroqueries au logement, pratique malheureusement courante en Russie, trouvent refuge dans l’asile de nuit de Nochlezhka. ©Mary Gelman/SPF

De l’aide humanitaire d’urgence à la réinsertion sociale

« Ces projets d’aide matérielle sont très importants pour nous car ce sont les portes d’entrée à nos projets de resocialisation », prolonge Irina. Car notre objectif principal, c’est que les personnes sans-abri puissent revenir à une vie stable, ordinaire. » Nochlezhka sait pouvoir compter sur une équipe chevronnée de psychologues, de travailleurs sociaux et de juristes pour démêler les situations toujours extrêmement complexes, humainement comme administrativement, de personnes qui ont tout perdu – leurs papiers mais aussi l’estime d’eux-mêmes et tout espoir. Retrouver des membres de la famille, obtenir des documents légaux, faire reconnaître un handicap ou rétablir une personne dans ses droits bafoués, sevrer les personnes de leurs addictions, tel est le long et tortueux chemin qu’empruntent ensemble les membres de Nochlezhka et les personnes qu’ils accompagnent. Aussi, Nochlezhka s’est dotée de structures d’hébergement pour celles et ceux qu’elle soutient dans la durée, où les liens avec les professionnels de l’association sont quotidiens.

« Les projets de resocialisation nécessitent plus d’efforts et de temps et concernent moins de bénéficiaires mais l’impact est plus durable », éclaire Irina, avant de résumer en un flash l’action de longue haleine de Nochlezhka. « Notre but principal est de tisser un lien de confiance avec une personne lors d’une aide d’urgence (de la nourriture ou des vêtements) pour la mettre tout d’abord en sécurité dans une tente chauffée, puis de l’amener dans un asile de nuit, puis de l’accueillir dans notre centre d’hébergement et de réinsertion. Enfin, nous donnons la possibilité aux personnes qui à l’issue de ce parcours ont retrouvé l’autonomie, une source de revenus, résolu leurs problèmes d’addiction, de louer une chambre individuelle pendant trois mois. Dans cette quête d’indépendance, nous aidons les personnes à trouver une formation, un stage, un emploi. »

Le soutien de la fédération du Secours populaire de Paris semble épouser ce mouvement – de l’urgence à l’accompagnement, de l’aide humanitaire à la réinsertion sociale. Ce fut tout d’abord sur le financement d’une tente chauffée que le SPF se positionna aux prémices du partenariat, puis ensuite sur la construction d’un centre de distribution de produits de première nécessité. En 2019, la fédération de Paris du SPF, rejointe dans ses efforts par la fédération de Seine-Maritime, participe à la construction d’un centre d’accueil de nuit doté d’une laverie et de douches et équipé d’une rampe d’accès ainsi que d’un auvent afin de rendre l’accueil des personnes plus confortable et plus digne. En 2021, c’est sur un projet de maison communautaire à l’attention des personnes sans-abri vieillissantes que le Secours populaire choisit d’apporter son soutien à Nochlezkha.

Russie : Nochlezhka, l’association refuge pour les sans-abri
Une équipe de Nochlezhka en pleine consultation médicale pour une femme sans-abri de Saint-Pétersbourg. ©Mary Gelman/SPF

Le geste humain et naturel d’aider

Au total, sur une année, grâce au soutien du SPF ainsi que d’autres partenaires russes et étrangers, l’association parvient à venir en aide à plus de 9000 personnes que ce soit à un bout ou l’autre de la chaîne solidaire. Autant de vies sauvées et, parmi elles, d’indépendances retrouvées, de dignités recouvrées, d’espoirs rallumés. Et c’est sans compter le travail de plaidoyer de Nochlezhka qui lui aussi tend à remettre tant de citoyens abîmés debout. « A travers nos actions, nous voulons démontrer au gouvernement qu’il est possible de sortir les gens de la rue. Nous avons à présent une telle expérience que les organisations municipales ou les instances gouvernementales nous consultent régulièrement sur les moyens de venir en aide aux personnes sans-abri », témoigne Irina. « Ce travail de plaidoyer est extrêmement difficile mais quand on obtient des résultats, on sait que cela peut changer la vie de plusieurs milliers de personnes. »

« Personne ne fait le choix de vivre dans la rue, poursuit la jeune femme. C’est une situation que l’on subit et quand on ne tente pas de s’en sortir, c’est juste que l’on est désespéré… » Aussi, le travail de plaidoyer de Nochlezkha va-t-il de pair avec les efforts de sensibilisation auprès du grand public pour démonter les préjugés, de culpabilisation, de rejet et de peur, qui pèsent en Russie sur les personnes sans-abri. Il est impérieux de rappeler que chaque silhouette errante, chaque visage accablé porte les stigmates d’une histoire malmenée – mais une histoire unique et singulière. « Il n’y a pas un profil type de la personne sans-abri, souligne Irina. Il y a autant de profils que de personnes en souffrance. » Autant de profils que de vies à reconstruire.

Là réside peut-être le cœur du combat des membres de la grande équipe de Nochlezhka : faire resurgir, sous les couches de honte et de désillusion, la personne qui espère et s’estime et, en travaillant avec elle, longuement, patiemment, lui permettre de retrouver le chemin de l’indépendance. « Apporter la solidarité, c’est notre responsabilité citoyenne, ce n’est pas une question de charité. Et cette solidarité commence avec de petits gestes, de petites attentions. Nous sommes tous humains et appartenons tous à la même société », réfléchit Irina. Puis, empruntant une image qu’aime utiliser le président et fondateur de Nochlezkha, Grigori Sverdlin, elle conclut, regard intense et sourire aux lèvres : « Quand une personne glisse sur la glace et tombe, tu ne te demandes pas pourquoi elle est tombée. Tu viens, tu lui tends la main et tu l’aides à se relever. C’est juste le geste, humain, naturel, d’aider. »

Russie : Nochlezhka, l’association refuge pour les sans-abri
Un homme se restaure d’une soupe chaude lors d’une maraude de l’un des bus de nuit de l’association Nochlezhka. ©Mary Gelman/SPF
Russie : Nochlezhka, l’association refuge pour les sans-abri

« Je repense à cet homme qui vivait à la rue et avec qui j’ai parlé… Au fil de notre discussion, il a oublié sa peine et sa colère, il a commencé à aller plus loin dans ses souvenirs, avant toute la douleur qu’il a vécue, et j’ai vu la lueur dans ses yeux, c’était incroyable. Il m’a parlé de ses voyages. Il m’a montré les marches de l’escalier dans la rue où il avait dormi la nuit précédente et m’a dit qu’elles étaient identiques aux marches de la maison de sa mère. Il est redevenu l’être joyeux, plein de curiosité et d’intérêt qu’il avait été. C’était magique. Je suis passée de l’impuissance à la possibilité de venir en aide à cet homme, en éclairant sa journée. »

Irina Sagurova, responsable des partenariats et de la collecte à Nochlezhka