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Insertion à Marseille pour les lycéens professionnels des Quartiers Nord

Mis à jour le par Olivier Vilain
La solidarité s'invite dans le cursus d'insertion professionnelle du lycée La Floride de Marseille. @LisaMiquet/SPF

Dans les Bouches-du-Rhône, le Secours populaire accueille une cinquante de lycéens professionnels en stage pratique, tout au long de l’année. Manutention, gestion de stocks, coordination au sein d’une équipe, les jeunes alternent entre l’apprentissage de leur futur métier, les cours au lycée et la découverte du monde associatif. « On est très fiers d’eux. Ils vivent dans des conditions difficiles et nous partagent leur énergie », souligne Soria, l’une de leurs professeures.

Des ados des quartiers nord de Marseille attendent devant les locaux de la fédération des Bouches-du-Rhône du Secours populaire, dans le 14e arrondissement de la ville. Les stéréotypes qui pèsent sur eux sont très lourds à porter surtout quand leurs quartiers font la Une des journaux à cause des règlements de compte liés au trafic de drogue. Le 14e fait partis des cinq arrondissements de Marseille qui affichent des taux de pauvreté d’environ 40 %, les classant parmi les communes les plus pauvres de France. Non loin de là, la situation dans le 3e, avec un taux de pauvreté de 52 %, n’a aucun équivalent…

« Nous, on les aime ces minots. Ce sont nos minots »

« Nous, on les aime ces minots. Ce sont nos minots », lance avec le sourire Rafida, leur référente au sein du Secours populaire. Elle les connait bien car depuis deux ans, une cinquante de ces lycéens, de la seconde à la terminale, suivent leur stage de logistique aux entrepôts de l’association. Ils viennent du lycée professionnel La Floride, non loin de là. « On agit concrètement pour leur insertion professionnelle », se réjouit Rafida. En plus de l’équipe des bénévoles, les jeunes sont encadrés par leurs enseignants.

Marseille insertion lycée professionnel
Exercice du jour, en présence de Fatiha et Soria, les deux enseignantes : 88 chariots à remplir de pelles en plastique, de tamis, de pistolets à eau… Des affaires de plages qui seront ensuite distribuées à toutes les antennes du Secours populaire de Marseille. @LisaMiquet

Ce mercredi de la mi-juin, Fatiha Baraka – enseignante en économie et gestion – et Soria Adda – professeure de lettres, histoire et géographie – sont toutes deux présentes à l’entrepôt de l’association. Normalement en repos ce jour-là, Soria a voulu quand même accompagner « ses » jeunes : « On fait le maximum pour les soutenir, car la vie n’est vraiment pas facile pour eux. » Loin du centre-ville, loin des transports en commun et des infrastructures. Certains n’ont jamais été à la mer, juste en contrebas. Trois d’entre eux ont traversé seuls la Méditerranée à leurs risques et périls et vivent en foyer. Certains dorment chez des marchands de sommeil. D’autres sont dans un dispositif spécial pour les anciens décrocheurs scolaires. « Nos élèves peuvent être dans des situations très difficiles, mais ils gardent leur énergie et la partagent avec nous », assure Soria.

Un enseignement pratique, complémentaire des cours

Au milieu des racks de stockage de plusieurs mètres de haut, Ryan explique à ses camarades les tâches à remplir : « Vous prenez dans chaque carton le nombre de jouets de plage qui est noté sur les feuilles qui vous ont été distribuées. » Les jeunes s’y mettent. Ils ont 88 chariots à remplir de pelles en plastique, de tamis, de pistolets à eau… « Ils confectionnent les colis ‘‘affaires de plage’’ que nous allons distribuer à toutes les antennes du Secours populaire de Marseille », précise Rafida. L’exercice est plus compliqué qu’il n’en a l’air : « Il faut respecter les consignes, déjouer les imprévus, et avoir en tête les mesures de sécurité, comme avoir passé les chaussures renforcées, apprendre à travailler en équipe, à conduire les chariots », commente Fatiha, en passant parmi les élèves.

Marseille insertion lycée professionnel
Madjouli et Djamel vont livrer en camionnette l’aide alimentaire que l’antenne du quartier de la Blancarde distribuera aux habitants en difficulté. Ils sont accueillis chaleureusement par les bénévoles qui leur offrent un thé et des pâtisseries bien mérités. @LisaMiquet

Comme tous les autres jeunes, Madjouli porte une chasuble jaune fluo siglée du logo du Secours populaire. Elle s’est réorientée en logistique après un épisode de décrochage scolaire. « Ça arrive. C’est un phénomène progressif d’éloignement. Et puis, là, elle se sent bien », relève Soria. « Ça va, ça me plaît », confirme la jeune fille, en remplissant un carton. « Elle est la seule fille et a été accueillie par tous les camarades de sa classe », rappelle Soria. A côté, Romain fait comme elle. Originaire de Guyane, il a fini sa tâche avant les autres. Du coup, il aide ses camarades à terminer. Dans le lycée général, il perdait pied, en lycée professionnel, il s’est révélé. C’est la pause. Les jeunes et les bénévoles prennent un casse-croute, boivent pour ne pas se déshydrater alors que la température monte. Quelles sont leurs envies après les études ? Ils n’en parlent pas facilement. Ryan se lance. Il veut trouver du travail après le bac professionnel « parce qu’il ne faut pas que je coûte trop cher si je veux être embauché ».

Des enseignantes très impliquées, fières de leurs élèves

Soria tente de le convaincre de continuer après le bac. « On a un BTS au lycée, c’est une formation qui t’irait bien. Les entreprises embauchent des compétences et les compétences correspondent à des niveaux de rémunération. Il n’y a pas de  »trop cher ». » L’équipe de La Floride a de belles réussites à son actif. Les deux professeures égrainent les noms et les carrières de leurs anciens élèves, dont certains sont devenus ingénieurs. « Je leur disais, c’est possible. Quand je vois mes élèves, c’est leur intelligence et leur sens de la répartie qui me sidèrent le plus », s’enthousiasme Soria, qui comme sa collègue est disponible le soir et les week-ends en cas de difficulté. « On les soutient moralement, parfois on les bouscule un peu, si le matin on ne les voit pas en classe, on les appelle pour qu’ils se lèvent. Ils avaient passé la veille à la préfecture pour les papiers de leurs parents », ajoute Fatiha.

Marseille insertion lycée professionnel
La direction du lycée La Floride a donné rendez-vous aux bénévoles du Secours populaire pour renouveler le partenariat de la filière logistique et pour un nouveau partenariat pour la filière mécanique, qui a commencé à la rentrée de septembre 2023. Cheville ouvrière de l’accueil des jeunes, Rafida fait un point enjoué. @LisaMiquet

Madjouli et Djamel montent dans une camionnette, direction l’antenne du quartier de la Blancarde pour y livrer des denrées. C’est un autre aspect de leur apprentissage. Le véhicule serpente le long de la colline, la cité d’une dizaine de petits immeubles a une vue imprenable sur la baie. Devant l’antenne, au pied de « l’immeuble F », toute l’équipe locale de bénévoles attend l’arrivée des lycéens. La camionnette se gare. La porte s’ouvre et tout le monde décharge : des paquets de lait, de riz, de pâtes, que les bénévoles – toutes des femmes -, convoient jusqu’à la remise. Les deux jeunes sont invités à rester discuter un peu : « Vous allez bien prendre un thé et des pâtisseries avant de repartir, qu’on discute un peu », leur propose avec un grand sourire Rachida, la responsable de l’antenne. Les bénévoles ont besoin de ce ravitaillement car elles viennent en aide à des gens de tous les arrondissements de la Cité phocéenne. Dans le local, l’ambiance est très chaleureuse. Les jeunes finissent par repartir, à regret.

Rencontre avec le monde de la solidarité

Les bénévoles autour de Rafida se sont données rendez-vous au lycée La Floride. La direction de l’établissement les attend pour signer un nouveau partenariat. Alors que les lycées professionnels sont plutôt dans l’incertitude quant à leurs filières en raison de la prochaine réforme qui va privilégier l’apprentissage sur les matières enseignées en cours, les filières de La Floride sont pérennisées. « Au Secours populaire, les jeunes apprennent leur futur métier, résume Sonia, directrice de l’association dans les Bouches-du-Rhône. C’est un travail collectif et de longue haleine. Par leur rencontre avec le monde associatif, ils ont le choix à l’avenir de devenir des acteurs de la solidarité. »

Marseille insertion lycée professionnel
Les enseignantes sont particulièrement motivées par l’avenir des jeunes du quartier, tout comme les bénévoles qui accueillent leurs «minots» avec une très grande bienveillance – à l’image, ici, Fatima « championne » de chariot élévateur. @LisaMiquet

Non seulement le partenariat pour les jeunes de la filière logistique est renouvelé pour une année supplémentaire, mais en plus une seconde filière s’y ajoute : la mécanique. Une fois par mois, les élèves mécaniciens examineront et entretiendront les véhicules du Secours populaire. « Ils auront du matériel sur lequel apprendre leur métier et nous auront des réparations gratuites, tout le monde y gagne », remarque Rafida, qui s’investit beaucoup dans cette opération, aux côtés de Linda et Fatima. « L’important, c’est de leur donner confiance », assure Linda. Il faut dire que ces trois mères de familles des quartiers nord savent de quoi elles parlent quand elles parlent de scolarité : leurs enfants font d’excellents parcours. Une fille de Linda est professeure, une autre termine ses études d’avocate. La fille de Fatima est même « en première année de médecine à la Timone ».

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