Quand les difficultés renforcent la solidarité

Mis à jour le par Anne-Marie Cousin
Près d'un quart de la population ne possède ni ordinateur ni connexion à internet.

Depuis des mois, une crise sanitaire et sociale frappe notre pays. Comme toujours, les 80 000 bénévoles du Secours populaire sont aux côtés des plus fragiles, en France et dans le monde. Pousuivant leurs actions ou inventant de nouvelles pratiques, ils se sont appuyés sur les valeurs de l'association. Faire face aux difficultés à fait grandir l'ensemble du mouvement.

Le Secours populaire français précise, dans ses statuts, sa mission : Art. 1 « … Les adhérents… se proposent de soutenir au plan matériel, sanitaire, médical, moral et juridique les personnes et leurs familles victimes de l’arbitraire, de l’injustice sociale, des calamités naturelles, de la misère, de la faim, du sous-développement, des conflits armés. Il rassemble, toujours dans l’esprit de la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme, en son sein, des personnes de bonne volonté, enfants, jeunes et adultes, de toutes conditions, quelles que soient leurs opinions politiques, philosophiques ou religieuses. Il veille à développer avec elles la solidarité et toutes les qualités humaines qui y sont liées ». Ainsi se trouvent définis les contours d’une démarche qui porte en elle les principes fondateurs de l’Education Populaire. Une démarche qui a toujours su s’adapter aux événements, aux évolutions de la société, nourrir l’esprit critique, conscientiser les citoyens en leur permettant de se mettre en mouvement autour d’une valeur universelle : la solidarité. Aujourd’hui, ce que nous vivons depuis bientôt six mois nous éclaire sur cette capacité à toujours mieux rebondir et à nous adapter. Cette terrible pandémie, qui a ébranlé toute la planète, nous a obligés à repenser les formes que prennent nos activités, de la collecte à l’action, non pour y renoncer mais pour les rendre encore plus fortes.

Une adaptation quotidienne

Avec les 80 000 animateurs-collecteurs bénévoles et les salariés de l’association qui agissent au quotidien, il a fallu faire face à des situations inédites. Durant les premiers jours du confinement, loin d’être abattus, les animateurs du SPF ont tout de suite réfléchi et mis en place tout ce qui était nécessaire à la poursuite des activités de solidarité. Collectes dématérialisées, appels spécifiques auprès des donateurs, partenaires privés et des pouvoirs publics, portage à domicile pour ceux qui ne pouvaient se déplacer, impression d’attestation pour ceux qui ne disposaient pas d’outils informatiques, mise en place d’écoutes téléphoniques pour mieux soutenir les familles en difficulté, accompagnement scolaire en visio-conférence, partage de connexion pour les étudiants, contacts permanents avec les partenaires étrangers, etc. : autant d’initiatives qui ont permis que l’aide se poursuive et se développe. Et même si, dans un premier temps, l’objectif des animateurs a été de continuer à donner à manger à toutes les personnes qui frappaient aux portes du SPF, ou vers lesquelles les équipes du SPF s’orientaient, il est très vite apparu que cela ne pouvait suffire. C’est pourquoi dans de nombreux endroits comme à Bordeaux, Trappes ou Limoges, des livres, des jeux pour les enfants, des chocolats et même des fleurs ont été distribués. En ces temps troublés, le réconfort compte tout autant que l’aide alimentaire. Depuis toujours, le SPF est à l‘écoute des personnes victimes de la pauvreté ou de la précarité. Et c’est grâce à des permanences téléphoniques que d’autres besoins ont émergé ; besoins auxquels les équipes du SPF ont répondu. L’accueil s’est lui aussi adapté. Sur les conseils avisés des Médecins du SPF, une nouvelle organisation s’est mise en place pour un respect des gestes barrières. Soucieux de la santé de tous, le Secours populaire a tout mis en œuvre pour que les choses se passent le mieux possible, garantissant la sécurité de tous. Ceci est d’ailleurs toujours d’actualité. Notre association l’a bien compris. Quand elle recommande d’intégrer tous les acteurs de la solidarité, quelles que soient leurs origines, leurs cultures, leurs situations dans la société, d’encourager l’élaboration collective et la co-construction de la solidarité, elle joue son rôle de pilier de l’éducation populaire, où la réciprocité et l’écoute des uns et des autres est fondamentale. Cette crise sanitaire a renforcé cette démarche ; nombreux sont ceux qui nous ont rejoints.

Un réseau solidaire très engagé

On compte aujourd’hui plus de 5 000 nouveaux animateurs-collecteurs bénévoles et plus de 15 000 nouveaux abonnés à la newsletter nationale. Les donateurs sont aussi plus nombreux et les parrains du SPF se sont investis quotidiennement : Ariane Ascaride en assurant une permanence téléphonique en Seine-Saint-Denis, Zabou Breitman en effectuant plusieurs distributions alimentaires à la fédération de Paris, le chanteur M en écrivant une chanson pour le SPF. Ils ont été nombreux à nous soutenir, des personnes très connues comme d’autres un peu moins, dont l’engagement est aussi sincère qu’important. C’est notamment le cas d’un jeune marathonien du Nord, qui a couru 42 kilomètres dans son jardin au profit du SPF ou de ce jeune du Var qui a organisé une journée de collecte sur les réseaux sociaux. Et n’oublions pas les enfants copains du Monde qui ont joué un rôle important, en adressant des messages de soutien aux bénévoles actifs sur le terrain ou à leurs copains du Monde loin de France mais qui avaient besoin d’être soutenus. Une véritable chaîne de la solidarité s’est mise en place depuis plusieurs mois, avec de nombreuses nouvelles personnes qui ont ainsi découvert notre belle association et qui aujourd’hui sont toujours là. Beaucoup de jeunes ont rejoint les antennes et comités. Des paysans, des maraîchers, des entreprises, des producteurs ont frappé à nos portes pour nous aider. A nous de poursuivre, avec eux, ce que nous venons de réinventer. Les uns et les autres ayant besoin d’avancer ensemble pour renforcer la solidarité de nos sociétés. Avec nos partenaires étrangers, la dynamique a été la même.

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Pendant le confinement, une antenne mobile du SPF est venue en aide à de nombreuses personnes vivant sur l’île de Ré. Créée il y a plusieurs mois, elle assure toujours deux tournées par semaine. (©JM Rayapen, juillet 2020)

Une association plus forte

En 1983, le Congrès de Nice appelait à « réinventer la solidarité ». C’est alors que nos initiatives ont pris le contre-pied des tensions, des conflits. Elles conjuguaient alors toutes les formes de solidarité : associative, familiale, locale, nationale, internationale avec la création de réseaux. Elles favorisaient l’intégration de tous et contribuaient à l’avènement d’une  citoyenneté renouvelée. Plus que jamais, ce thème de « réinventer la solidarité » est d’actualité. Sans schéma tout fait, celui-ci s’est imposé tout naturellement. Dans une société où l’individualisme, l’égoïsme, le racisme aggravent les tensions, génèrent les conflits, le SPF remet sur le devant de la scène cohérence, humanité et ouverture aux autres. Depuis quelques années, on parle de solidarité hors les murs. Bien souvent, celle-ci est difficile à définir. Mais ce que l’on vient de vivre et de partager depuis la mi-mars éclaire profondément cette notion. En effet, il nous a fallu réapprendre à élargir nos partenariats, à ouvrir nos portes à de nouvelles personnes (bénévoles et partenaires) et à œuvrer dans un contexte différent. Démonstration que pour avancer et se développer, il faut franchir les murs et surtout nos murs. Cette épreuve, liée à la crise sanitaire, a renforcé l’association. Malgré les obstacles et les difficultés quotidiennes rencontrés par tous les bénévoles, dirigeants et partenaires, le SPF a su répondre présent pour les plus fragiles de notre société. Plus de bénévoles, plus de donateurs et un rayonnement plus important sur le territoire, avec la création de nouvelles antennes, comme sur l’île de Ré où une antenne s’est constituée deux semaines après le confinement. Toujours présents, les bénévoles y font tourner une antenne mobile qui, deux fois par semaine, effectue des distributions alimentaires. Ailleurs, le renfort de nouveaux bénévoles a permis l’augmentation de plages horaires. Face à la détresse de nombreux étudiants, des antennes étudiantes ont également vu le jour, comme à Bobigny ou Metz. Le rôle et la mission d’aiguillon des pouvoirs publics de l’association se sont vus grandir en cette période.

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Consultation médicale avec l’association bangladaise GK Savar. (©GK Savar/SPF, mai 2020)

Une vie démocratique toujours active

En effet, même si l’indépendance des associations d’éducation populaire est toujours à promouvoir, le SPF n’est pas un auxiliaire des pouvoirs publics. Depuis 1901, les associations sont une émanation du corps social ; elles naissent souvent d’une attente forte et doivent conserver toute leur indépendance pour ne pas perdre les atouts majeurs qui expliquent leur réussite. Ainsi, plusieurs fois, le SPF s’est exprimé, par la voix de ses dirigeants nationaux et locaux, pour relayer les difficultés rencontrées par l’association. Tous ses dirigeants sont restés en contact, malgré les conditions d’éloignement, en se rencontrant en visio-conférence toutes les semaines au lendemain de la réunion hebdomadaire du Secrétariat national de l’association. La vie des instances ne s’est jamais arrêtée. Toutes les réunions d’instances (bureau national, secrétariats nationaux, assemblées générales) ont continué à se tenir comme de nombreuses réunions dans les fédérations et comités du SPF. Non seulement parce que cela était inscrit dans les statuts, mais surtout par nécessité et par volonté. Une fois de plus l’élaboration collective et la prise de décisions s’imposent, comme elles se sont toujours imposées, dans les pratiques de pilotage du Secours populaire. L’échange et la réflexion sont indispensables pour avancer et permettre au SPF, ainsi qu’à l’ensemble de ses animateurs et partenaires, d’agir dans les meilleures conditions. La vie démocratique a continué et se poursuit malgré les difficultés de déplacements. Certaines pratiques instaurées pendant la crise vont perdurer. L’éducation populaire, c’est aussi cela : ouvrir les directions, faire accéder aux responsabilités toutes les bonnes volontés, sans réserve, faire évoluer sa vie démocratique … dans la confiance et l’écoute de chacun. S’appuyer sur chacun pour que tous puissent avancer et fassent reculer les injustices et les périls.