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La maraude de la « chaleur humaine »

Mis à jour le par Olivier Vilain
Les bénévoles de Champigny-sur-Marne partent en maraude tous les mardi soir, venant en aide à une trentaine de personnes.

Chute des revenus, chômage record, folie des prix de l’immobilier, engorgement de l’hébergement d’urgence… Tout concourt à l’explosion du nombre de personnes sans-abris ou sans domicile fixe : ils sont désormais estimés à 300 000 par la Fondation Abbé Pierre. Dans le Val-de-Marne, une équipe de bénévoles du Secours populaire s’est constituée depuis le premier confinement pour leur venir en aide.

Bélaïd pousse la porte de la pizzeria, située sur un grand axe routier d’Omesson-sur-Marne (Val-de-Marne). Les employés du restaurant qui s’affairent derrière le comptoir baignent dans une bonne odeur de feu de bois. Bélaïd charge dans la camionnette du Secours populaire les 30 colis alimentaires qui ont été rangés sur une table à l’entrée. « On n’a surtout pas mis de pizzas. On a préparé un repas chaud, complet », précise Nabil, le gérant, à Malika, responsable de la maraude mise sur pied par le Secours populaire dans le Val-de-Marne depuis le premier confinement.

Toute l’équipe s’est mise au travail, jusqu’aux deux filles de Nabil, de 7 et 9 ans, qui ont rassemblé les sacs. « Je me souviens des cadeaux du Père Noël vert quand j’étais enfant. Désormais, c’est à mon tour de donner un coup de main au Secours populaire », glisse Nabil dans un grand sourire.

Dans la camionnette, les bénévoles sont contents : les personnes sans-logis vont se régaler avec une assiette de poulet au riz, un morceau de pain, une salade, une compote, un fruit, un yaourt, deux clémentines, un pain au chocolat et une bouteille d’eau. Ils se dirigent vers le premier point de rendez-vous. Leur circuit va les mener de Champigny-sur-Marne à Joinville-le-Pont.

Confinés mais sans « chez soi »

Durant le trajet, les bénévoles échangent des anecdotes sur les habitués de leurs distributions alimentaires mobiles, toujours avec bienveillance. « J’ai hâte de voir Mike et Tyson, pour savoir comment ils vont », s’exclame Julien, qui est devenu bénévole lors du premier confinement. Mike et Tyson sont deux frères, d’une vingtaine d’années, qui vivent dans un box de garage. Personne ne connaît leur vrai prénom.

C’est l’équipe qui les a ainsi surnommés en référence au boxeur star des années 80. Les deux jeunes hommes sont très prolixes mais n’arrivent pas à articuler correctement les mots. « C’est difficile de les comprendre, mais à force d’attention, on peut échanger », ajoute Julien.

Arrivée devant Monoprix, l’équipe commence la distribution alimentaire. Une quinzaine d’hommes et de femmes attendaient. Patricia est venue avec Gilles, son compagnon. Ils sont hébergés dans un hôtel, par le 115. Malgré l’ouverture du plan hivernal, qui a été avancée au 17 octobre, neuf demandes sur dix au 115 sont rejetées parce que le système d’hébergement est à nouveau saturé (Le Monde, 04.11.20).

Hébergée chez sa soeur, Daniella fait tout pour que ses filles ne manquent de rien.

Hébergée chez sa soeur, Daniella fait tout pour que ses filles ne manquent de rien.


Fred, coordinateur départemental, est venu discuter avec eux. Il apprend que leur matelas est infesté de puces et que l’hôtelier ne fait rien contre les insectes. Gilles et Patricia se sentent démunis face à cette mauvaise volonté. « Nous allons voir avec lui pourquoi il ne fait rien et nous allons vous apporter un nouveau matelas », avance-t-il. « Surtout, on ne veut pas perdre notre chambre… », lui répond Patricia, saisie par la peur. Fred doit la rassurer : « On ne fera rien sans votre accord. »

Les personnes sans-abri ou sans domicile fixe ont été les plus affectées par le premier confinement : elles ne pouvaient plus faire la manche et la plupart des associations avaient dû se réorganiser. Pendant quelques semaines, cette population avait été encore plus fragilisée par cette situation, comptant sur les bénévoles du Secours populaire et sur des élans de solidarité spontanés des riverains.

« Réintégrer, pas une simple distribution alimentaire »

Cette fois-ci, le problème ne se pose pas dans ces termes, le confinement étant allégé. Pour autant, « nous avons peur de sortir. Nous avons peur du virus. Nous avons peur de prendre des amendes si notre attestation ne convient pas », indique Gilles. En repartant, le couple évoque ses espoirs : la fin de la pandémie, « pouvoir dormir sans être piqué », dit-elle en remontant ses manches, laissant voir des dizaines de points rouges sur ses bras et ses avant-bras. « Surtout, avoir un toit à nous, vivre comme tout le monde », confie Patricia, en lançant un regard touchant.

L’équipe repart. Pas question d’être trop en retard. Prochain rendez-vous : un ancien garage, près d’une autre grande surface. Là, c’est Daniella et ses filles qui arrivent. Venue de Roumanie, elle est hébergée par sa sœur. Son aînée Nicoletta, 10 ans, prend la soupe que lui propose Florence avec ses deux mains. Elle se concentre, touille, et déguste par petites gorgées le liquide qui la réchauffe. « Il nous faudrait des cahiers et des stylos, s’il-te-plaît », demande-t-elle. La grande et sa sœur Francisea sont scolarisées. Florence amène alors un grand carton rempli de fournitures scolaires. La petite famille repart, portant les repas dans un grand sac, que la mère a du mal à porter.

John vit dans une cabane qu'il a construite dans le bois de Vincennes. Il aime beaucoup les conversations avec les bénévoles.

John vit dans une cabane qu’il a construite dans le bois de Vincennes. Il aime beaucoup les conversations avec les bénévoles.


Chaque maraude se termine par un arrêt « chez » John. Venu lui aussi de Roumanie, John s’est construit une cabane dans le bois de Vincennes, le long de l’autoroute A5 qui mène à Strasbourg. Avec sa barbe blanche et ses longs cheveux, il a l’air d’un sage. Il est en train de se faire cuire une soupe. Belaïd lui donne le panier repas concocté par la pizzeria de Nabil. « Là, on va surtout discuter, apporter un peu de chaleur humaine. L’objectif de notre maraude est de réintégrer les gens dans la vie habituelle, ce n’est pas qu’une simple distribution de nourriture », résume Fred.

Les bénévoles se préparent pour leur premier hiver. A l’approche de Noël, l’équipe a prévu de distribuer des colis améliorés. « Ils y trouveront des denrées alimentaires qui sortent de l’ordinaire, de quoi faire un peu la fête », indique Fred, qui ajoute : « Nous allons distribuer des tentes. »

Les mois qui viennent seront encore plus difficiles

Chaque année, plus de 600 personnes meurent dans la rue, recense le Collectif Les Morts de la rue, qui évalue le nombre total à environ 3 000, en l’absence de données publiques. Si le froid rend les conditions de vie encore plus cruelles, les décès sont encore plus nombreux en été, à cause de la déshydratation et des pathologies mal soignées, faute d’accès à de l’eau potable en libre accès dans l’espace public et au système de santé.

Plus encore que les évolutions de la température, les bénévoles redoutent surtout un flot d’expulsion à partir du 1er avril, à la fin de la trêve hivernale, alors que de très nombreux ménages auront accumulé des impayés de loyers à cause de la crise économique née de la pandémie.

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