Accompagner

  • Eau et énergie

A Madagascar, la population a faim

Mis à jour le par Olivier Vilain
Des villageois remplissent des jerrycans dans des marres formées sur la piste. « La situation est considérée comme la première crise alimentaire au monde provoquée par le réchauffement climatique », souligne Adrien Thépot.

Sur les pas d’Adrien parti de Clermont-Ferrand pour une mission de 15 jours à Madagascar. Il y supervise deux programmes du Secours populaire français dans le maraîchage et l’accès à l’eau dans un pays où plus de 2,2 millions d’habitants n’ont pas assez à manger, à cause de la première ‘‘famine’’ au monde due au réchauffement climatique.

Depuis des années, le Sud de Madagascar connaît une baisse des précipitations. « C’est vraiment la sécheresse, il n’a pas plu dans certaines zones depuis des années… C’est un désastre pour cette région à la fois pauvre et agricole », indique Adrien Thépot, secrétaire général adjoint de la fédération du Secours populaire français du Puy-de-Dôme. Le jeune homme s’est rendu en mission, du 16 au 30 avril, dans le pays. D’abord, à Amboasary-Sud, l’un des districts les plus touchés par le manque d’eau et par la détresse alimentaire, loin de la capitale Antananarivo.

Le sud du pays connait depuis toujours des périodes de sécheresse du mois d’’octobre à celui d’avril, durant laquelle la production agricole chute. Depuis quelques décennies, sa durée s’étend et la sècheresse devient encore plus sévère. Témoin de ce phénomène, le fleuve Menarandra, qui parcourt les trois régions du Sud (Atsimo Andrefana, Androy et Anosy) est tari depuis des mois. Le bétail et les cultures des villages environnants ne bénéficient plus de son eau. « Le climat a changé », note Elongosoa, chef du village d’Antaly Andrefana, âgé de 52 ans. « Alors qu’il y a 10 ans, quand il pleuvait encore, nous arrivions à remplir notre maison d’épis de maïs (…). Mais, maintenant, il arrive que la pluie ne tombe pas pendant une longue période. La terre s’assèche, il n’y a pas de récoltes et la faim nous guette tous les jours. »

Les Nations Unies alertent : 2,2 millions de Malgaches sont en « insécurité alimentaire aiguë élevée »

Selon les Nations Unies, 2,2 millions de Malgaches sont en « insécurité alimentaire aiguë élevée » : plus du tiers (36 %) de la population du sud et de l’est du pays se retrouve au bord de la famine. Celle-ci sévit même par endroits, menaçant directement la vie de plus de 250 000 personnes. Plus largement, l’ensemble de la population est affecté : près des trois-quarts des ménages (72 %) ne peuvent pas faire plus d’un repas par jour et au mieux la qualité de leur bol alimentaire est très faible. « Pour répondre à cette malnutrition aiguë, l’aide internationale est trop juste. On se rend compte sur place que le Programme alimentaire mondial n’arrive pas à servir tout le monde », rapporte Adrien Thépot.

Le Réseau d'alerte précoce sur l'insécurité alimentaire alerte sur la situation de "crise aiguë" que subit le sud de Madagascar (les zones orange ; celles en jaune sont à un stade moins élevé).
Le Réseau d’alerte précoce sur l’insécurité alimentaire alerte sur la situation de « crise aiguë » que subit le sud de Madagascar (les zones orange ; celles en jaune sont à un stade moins élevé).

Sur la commune rurale de Behara, il a supervisé l’avancement d’un projet d’agriculture vivrière à partir de deux terrains appartenant au Comité de solidarité de Madagascar (CSM), partenaire du Secours populaire depuis plus de 70 ans. Le Secours populaire a financé une étude pour réaliser deux forages et il est apparu que de l’eau était présente dans la nappe phréatique qui est à la verticale des terrains. « On va entamer des travaux de captage, avec l’installation de pompes marchant à l’énergie solaire, parce que sinon l’irrigation s’arrêterait dès que les motopompes viendraient à cours d’essence. »

Pour le moment, les deux champs sont une grosse surface brûlée par le soleil, râpée par un mélange de terre et de sable rouges que le « tiomena » (le « vent rouge ») charrie par bourrasques. Ce fléau est alimenté par la déforestation à peu près totale par endroits, détruisant les champs, s’infiltrant dans l’eau et jusqu’aux voies respiratoires (Médecins du Monde, 14.12.22). « Je me suis rendu dans cette région chaque année depuis 2015, souligne le docteur Lolo, président du CSM : la famine est de plus en plus importante. La malnutrition est si forte que la population n’est plus en capacité de produire. Les gens ont faim et sont abandonnés à leur sort. »

Le sud du pays souffre de la première crise alimentaire au monde liée au réchauffement climatique

« La situation est considérée comme la première détresse alimentaire, au monde, provoquée par le réchauffement climatique », souligne Adrien Thépot, reprenant une analyse qui fait consensus dans les organisations internationales. Une situation qui augmente les tensions dans l’ensemble de la société. La sécheresse a entraîné l’augmentation de la « violence à l’égard des femmes » et « les vols de bétail », accroissant encore ainsi l’insécurité alimentaire, rappelle Joanna de Berry, chargée du suivi de la situation à Madagascar au sein de la Banque mondiale. De plus, les migrations s’intensifient, selon elle. Les hommes, principalement, vont travailler dans les villes du nord, tandis que les femmes, les enfants et les vieux restent dans la partie méridionale de l’île ; là où le manque d’eau potable et de nourriture met principalement en danger les enfants : 27 % d’entre eux sont en état de malnutrition aigüe.

Sur la commune rurale de Behara, le Secours populaire a financé une étude pour réaliser deux forages et va entamer des travaux de captage. Le but : permettre deux champs de cultures vivrières.
Sur la commune rurale de Behara, le Secours populaire a financé une étude pour réaliser deux forages et va entamer des travaux de captage. Le but : permettre deux champs de cultures vivrières.

Résultat, sur 1000 petits malgaches, 66 n’atteignent par l’âge de 5 ans, selon les statistiques de la Banque mondiale. Par comparaison, en France, la mortalité infantile était de 4 pour 1000 en 2019. Une course contre la montre est entamée car humanitaires et agences des Nations Unies redoutent une « faible production » agricole pour 2023, qui risque de se traduire par des niveaux de stocks alimentaires très bas. L’envolée actuelle des prix pourrait donc même se transformer « en inflation galopante », en lien aussi « avec le contexte de la guerre en Ukraine », qui interdirait à une partie de la population l’accès aux denrées de base.

Pour leur programme de maraîchage et une fois les puits forés, le Secours populaire* et le CSM vont travailler avec des ONG qui ont une expérience de l’agroécologie dans la région, comme le GRET. « Faire pousser des haies de buissons semble une méthode qui empêche l’assèchement des plantes par le vent et qui bloque le sable avant qu’il ne recouvre les surfaces cultivables », souligne Adrien Thépot. Une fois que tout sera en place, la production alimentera 1500 à 2000 familles, soit jusqu’à 10 000 personnes des villages alentours. Elles bénéficieront de plants de manioc, de variétés locales de poireaux et de haricots, de légumineuses comme les pois et une céréale locale, le mil… « Nous ne prévoyons, bien évidemment, de ne cultiver que des plantes adaptées aux zones arides. »

Des forages, au sud, pour assurer une agriculture vivrière et, au nord, une cantine scolaire en projet

Toujours sur le thème de l’alimentation, Adrien s’est ensuite rendu dans le nord du pays : « Dans le village de Belambo, nous avons commencé par financer la construction et le fonctionnement d’une cantine scolaire pour 300 élèves. » Le repas du midi est souvent le seul que les enfants prennent dans la journée pendant les périodes de soudure entre deux récoltes, c’est-à-dire durant les mois qui correspondent à l’automne et à l’hiver dans l’hémisphère nord. « Ce sont des enfants issus de familles vraiment très pauvres et dont les parents sont des travailleurs journaliers. Ces enfants vont à l’école avec le ventre vide et viennent souvent de très loin », précise le docteur Lolo.

Des villageois remplissent des jerrycans dans des marres formées sur la piste. « La situation est considérée comme la première crise alimentaire au monde provoquée par le réchauffement climatique », souligne Adrien Thépot.
Des villageois remplissent des jerrycans dans des marres formées sur la piste. « La situation est considérée comme la première crise alimentaire au monde provoquée par le réchauffement climatique », souligne Adrien Thépot.

Mais l’école était en bambou et la zone est soumise à la saison des cyclones. Ces derniers ont fini par avoir raison de la structure végétale. « Impossible d’étudier dans ces conditions », constate Adrien. « Le financement de la reconstruction de l’école, qui abrite donc la cantine pour les enfants, mais aux normes anticycloniques cette fois, est assuré par le conseil de région Auvergne-Rhône-Alpes du Secours populaire. » Le chantier a été lancé en 2022 et devrait être achevé en mai ou juin. « L’établissement, qui comptera un étage, devrait être inauguré en septembre, à l’occasion de la rentrée des classes, et servira d’abri aux villageois durant la saison des cyclones. »

Parti de la cantine scolaire, le projet s’étoffe au fur et à mesure. Les bénévoles du Secours populaire pensent déjà à la suite, une fois que la nouvelle école aura ouvert ses portes. « On devrait mettre l’accent sur l’eau », avance Adrien. La construction de latrines et la captation d’un point d’eau sont à l’étude, avec le financement d’agences de l’eau en France et avec des ingénieurs du ministère malgache de l’eau. « Pour le moment, les villageois non pas d’autre solution que de puiser de l’eau du fleuve qui passe à proximité alors que celle-ci n’est pas potable. » Un chantier qui s’annonce crucial car chaque année, dans le monde, plus de 800 000 personnes dans les pays pauvres « meurent en raison de la mauvaise qualité des services d’eau, d’assainissement et d’hygiène », selon les calculs d’Organisation mondiale de la santé.

* Le projet doté de 60 000 euros est financé les fédérations du Secours populaire du Puy-de-Dôme, de Var, du Vaucluse, de la Vienne, du Gard et par le Conseil de région du Secours populaire de Provence-Alpes-Côte d’Azur.

Thématiques d’action

Mots-clefs