Vingt ans d’aide du Secours populaire

Le lien social au coeur des actions.

Les programmes menés à Solidarité rwandaise contribuent à la réconciliation en favorisant le développement local.

Pour se rendre dans les locaux de l’association Solidarité rwandaise, partenaire du Secours populaire dans la région de Gahanga, à un peu moins de 20 km de la capitale Kigali, il faut emprunter une longue piste de terre couleur rouille, qui s’enfonce entre les champs de maïs et de bananiers. Dès les premières heures du jour, alors que les enfants regagnent l’école, les femmes défrichent les champs à la bêche. Des gamins aux pieds nus jouent dans la poussière, sur le bas-côté de la route, tandis que de jeunes hommes désœuvrés tuent le temps comme ils le peuvent. Une petite communauté où l’existence semble s’écouler paisiblement. Pourtant, ici, les vieilles maisons de torchis cachent les heures les plus sombres de l’histoire rwandaise. Même si les autorités en place reconstruisent, depuis vingt ans, infrastructures et buildings ultramodernes, si le développement économique est incontestablement en marche, les stigmates du génocide de 1994 sont toujours présents. « À Gahanga, l’histoire est une source de tensions inextricables. Le secteur aurait connu un des taux de criminalité les plus élevés du pays pendant le génocide », souligne José Kagabo, maître de conférences à l’École des hautes études en sciences sociales, membre du Conseil d’administration du SPF et ancien sénateur rwandais. « Les familles ont été décimées, poursuit-il, les survivants, plusieurs dizaines de milliers, avaient fui le Rwanda et trouvé refuge dans les États voisins. D’autres étaient en prison en attente d’un jugement pour les crimes dont ils étaient soupçonnés. Quand les procès s’ouvrirent, après des aveux, certains bénéficièrent d’une réduction de peine, comme le prévoyaient les règles de justice adoptées notamment pour désengorger les prisons rwandaises. Des hommes et des femmes devaient, après l’horreur, continuer pourtant leur existence ensemble et se faire face. »

Un élan de solidarité

Pour l’intellectuel, « les actions de solidarité du SPF en faveur des associations partenaires, comme Solidarité rwandaise, à travers des programmes d’éducation, de sport, la création de sources de revenus pour les populations, ont permis aux rescapés, dans un premier temps, de puiser des forces pour continuer leur chemin de vie, tant bien que mal. Sur le long terme, elles ont joué un rôle dans la préservation de la cohésion sociale. Créer du lien social réduit les antagonismes, les soupçons qui génèrent le malaise. »
« À mon retour, en 1994, juste après le génocide, le Rwanda avait été frappé par l’horreur. Le pays entier sentait la mort. J’étais confronté à l’indicible. Il m’était impossible d’ignorer la détresse des enfants, nus et seuls, plantés hagards dans la boue, orphelins pour la plupart, et la terreur de mes concitoyens, qui avaient tout perdu. C’est à ce moment-là que j’ai lancé un appel à l’aide à Julien Lauprêtre, président du Secours populaire. Mon ami a aussitôt répondu présent. » Julien Lauprêtre en garde un vif souvenir : « Quand José m’a téléphoné en me racontant l’ampleur du drame, je lui ai dit que le SPF allait mettre tous ses moyens en œuvre pour apporter la solidarité aux rescapés. Nous avons eu la preuve de ce que peut être la solidarité populaire : d’abord le secours immédiat et ensuite le secours à long terme. Depuis vingt ans, le SPF n’a jamais cessé son soutien au peuple rwandais, en contribuant à financer différents projets locaux, du soutien à l’agriculture aux actions éducatives ou sociales. » Le Secours populaire français est intervenu au Rwanda dès l’été 1994. Il est à l’époque, avec Médecins sans frontières, la seule ONG française présente sur place. En France, au même moment, le Secours populaire a collecté 5 millions de francs (presque 1 million d’euros), dont 1,2 million de francs dans le cadre de la campagne lancée par le journal L’Humanité pour démarrer au plus vite les programmes d’urgence.
« Il a été très vite question d’oeuvrer à la réconciliation et la reconstruction en retissant le lien social », déclare Corinne Makowski, secrétaire nationale du SPF à la solidarité internationale. José Kagabo et la psychanalyste Marie-Odile Godard, médecin du SPF, créent à Butare, la deuxième ville du pays, un programme de construction de maisons pour plusieurs « familles de substitution », aux côtés de l’association rwandaise Programme de réinsertion sociale des sans-famille (PRS sans-famille), fondée par Béatrice Nujimbéré.

De l’urgence au développement

Devant sa maison, intégralement financée par le Secours populaire, Séraphine et José Kagabo échangent avec avec pudeur et émotion, ce 8 février.

Le but du Programme de réinsertion des « sans- famille », qui concerne 108 orphelins et 13 veuves, était de soutenir les survivants, en particulier les enfants, traumatisés par les violences vues ou subies pendant le génocide. Le Secours populaire subventionne donc, entre 1996 et 1997, la construction de maisons à Butare, qu’il met à disposition des mères adoptives, dont le rôle est de recréer une cellule familiale avec les orphelins, leur permettant ainsi d’avancer malgré les drames vécus. La remise des clés a eu lieu en 1998. Au lendemain du génocide, Séraphine, une des veuves, a perdu son mari, sa maison et s’est retrouvée seule au monde. Dans le cadre du programme initié par le Secours populaire, elle accepte de recueillir dans une maison, qui par la suite lui sera léguée par donation, une dizaine d’enfants sans famille. « Avec le temps, ils sont devenus mes petits. J’ai veillé à leur éducation », confie-t-elle en regardant avec tendresse Aloïsie venue lui rendre visite. Celle qui a perdu ses parents lors de la tragédie est aujourd’hui une femme accomplie. Elle a épousé Bernard, également orphelin. Tous deux ont fondé une famille et ouvert un restaurant. Devant la modeste maison qui domine les plaines verdoyantes du Sud rwandais, les femmes s’étreignent, le regard complice. Les liens ne se sont jamais rompus. Ce sont des survivantes. Leur famille de substitution leur a certainement permis de surmonter les souffrances, malgré le poids des souvenirs.

Gahanga, terre de solidarité

« Nous avons encore besoin de matériel didactique, de fournitures pour les enfants… chaque aide sera la bienvenue », lance Christine, l’institutrice.

Les terres de Solidarité rwandaise s’étendent sur plus de 8 hectares, autour des étendues d’eau et des collines aux pentes douces. L’association a été créée en 2002. Le Secours populaire a alors subventionné son programme de développement destiné à 2 000 foyers, soit plus de 10 000 habitants dans la zone rurale de Gahanga. Deux projets principaux ont été conduits et se poursuivent toujours afin de répondre aux besoins de la population : l’accès à l’éducation et l’expérimentation d’une agriculture maraîchère. « Nous voulons promouvoir la solidarité au sein de la communauté rwandaise. L’autonomie financière, à terme, est capitale pour ces populations. Les femmes, par exemple, cultivent des terres pour assurer leur propre consommation, mais aussi pour générer une source de revenus. Les résultats sont probants : elles gagnent 155 400 francs rwandais (190 euros) par trimestre, soit ce qu’elles gagnaient auparavant en un an », déclare le docteur Alphonse Karagirwa, membre du bureau de l’association. Ce projet a été possible grâce à l’aide régulière d’un technicien agronome, qui a appris aux femmes les techniques agricoles. Il est question aussi, dans les sessions de formation, de mettre l’accent sur la valeur nutritive des aliments, afin d’améliorer la santé des familles et, en particulier, celle des enfants. José Kagabo, en tant qu’acteur du projet « Solidarité rwandaise », depuis plusieurs années, est à l’origine de la création de l’école maternelle, où plus de 150 enfants suivent les cours, conduits essentiellement par Christine, l’institutrice, et Boniface, le directeur. Ce dernier a fait des études et sait l’importance de l’école, « pour eux, suivre un apprentissage, dès l’âge de 3 ou 4 ans, est une chance incroyable d’insertion sociale ». Le reste du temps, Boniface est particulièrement occupé avec les activités sportives. Depuis 2012, il a beaucoup travaillé avec les étudiants français de l’Anestaps (Association nationale des étudiants en Staps) qui ont participé, en coopération avec la population locale, au développement des activités physiques et sportives ainsi qu’à la restauration des terrains de football, de volley-ball et de basket-ball… « Pour les enfants dont les parents sont pauvres, l’accès à une activité sportive est une chance de socialisation et de développement », explique Japhet, le coordinateur de Solidarité rwandaise. Le sport contribue à créer parmi les villageois un espace de convivialité et de sociabilité susceptibles d’aider à dépasser la suspicion, à défaut de pouvoir effacer totalement les traumatismes. Dimanche 9 février 2014, en milieu d’après-midi, sur le terrain de foot de Solidarité rwandaise, petits et grands se retrouvent autour d’un match. Les cris de joie éclatent quand un joueur de l’équipe soutenue par Solidarité rwandaise marque le but de la victoire. Tous l’acclament. Comme 58 autres Rwandais, ce joueur est arrivé début janvier à Gahanga ; l’association offre, dans des situations d’urgence, l’hospitalité à des réfugiés expulsés de Tanzanie, où leurs familles avaient autrefois trouvé refuge. « Témoigner de la considération au plus modeste, au plus démuni quelle que soit la situation : cette forme de solidarité nous pousse à forger des stratégies d’intervention parfois improvisées. Il n’y a pas de théorie, car chaque situation est spécifique. Il faut faire face et trouver une solution pour rendre à chacun de ces gens la dignité qui leur est due », affirme José Kagabo. Ce soir-là, l’association a organisé une petite fête. Dans la nuit rwandaise, le murmure des légendes africaines se mêle aux sons des tams-tams de fortune ; femmes et enfants en dansant laissent éclater leur joie, qui donne une résonnance particulière à cette réflexion de José Kagabo : « Réhabiliter les héritiers du génocide dans l’humanité contribue à maintenir un éveil des consciences au sein de la communauté. Il faut assurément comprendre que la convalescence sera longue pour les Rwandais, et le Secours populaire s’est engagé à continuer de les accompagner avec bienveillance sur cette voie. »