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Le grand vent du large pour les petits moussaillons

Mis à jour le par Olivier Vilain
Romain Le Gall enfants voilier
Arrivé au port, Romain Le Gall fait découvrir le monde de la transat aux enfants de Saint-Nazaire ©J-M. Rayapen/SPF

Des enfants de familles aidées par le Secours populaire découvrent l’univers de la voile avec le skipper Romain Le Gall, à La Turballe (Loire-Atlantique). Au lendemain de son arrivée au terme de la Solitaire du Figaro Paprec, il a reçu chaleureusement des petits venus de Saint-Nazaire qui n’avaient jamais approché un bateau de course.

Un soleil encore vif pour cette fin d’été plaque ses rayons sur l’océan. Ses reflets font briller la forêt de mâts qui se dresse et danse avec la houle dans le port de plaisance de La Turballe. C’est dans cette commune du pays de Guérande, situé entre l’estuaire de la Loire et le golfe du Morbihan, que sont arrivés la veille, vendredi 13 septembre, les uns après les autres, les voiliers de la prestigieuse régate de la Solitaire du Figaro Paprec.

Toucher du doigt la vie de navigateur

Svelte, la peau brunie par le soleil, la casquette vissée sur le front pour ne pas être ébloui, Jacques Bernard, le secrétaire général du comité de Saint-Nazaire du Secours populaire, cherche des yeux, au milieu de la flottille, le voilier de course « CEV – Secours populaire ». Au téléphone, le skipper Romain Le Gall lui explique : « Tu descends les niveaux devant toi. Je suis au ponton H. » Pour mieux aider Jacques à se repérer, le navigateur s’est avancé, en contrebas, devant son voilier ; bras levé, il fait de grands signes de la main.

Jacques est venu avec des enfants qui vivent dans des familles aidées par le Secours populaire : aide alimentaire, vêtements, vacances… Salem, Akram et Yeva, respectivement 15, 12 et 9 ans, montent sur le pont du voilier. Ils sont accueillis par Romain Le Gall, grand sourire, poignée de mains franche, regard bleu azur. Le navigateur, qui vient de boucler la saison des régates, fait visiter à ses invités le bateau et toucher du doigt la vie de navigateur au long cours : les deux garçons et la fille, plus jeune, essaient tour à tour la combinaison de survie. Celle-ci ressemble à une tenue de plongée en Néoprène conçue pour être au plus près du corps et serre fort le crâne d’Yeva, la petite intrépide, qui a besoin d’aide pour retirer la combinaison.

Akram Yeva combinaison survie voilier
Sur le pont du voilier de Romain Le Gall, Akram aide Yeva à passer la lourde combinaison de survie du skipper ©J-M. Rayapen/SPF

Le groupe se déplace de la poupe à la proue. « Vous avez déjà vu hisser une voile ? », demande Romain qui les fait participer dans le même mouvement à la manœuvre : le foc monte à l’avant le long de l’étai, tandis que les enfants font tourner l’enrouleur : le navire qui porte le nom du Secours populaire est encore plus repérable qu’avant avec son grand triangle de toile de couleur noire qui bat au vent alors que les autres navires ont complétement affalé leur voilure. C’est au tour de l’atelier nœuds marins : « Le plus résistant, c’est lequel ? », demande au bout de quelques exemples Yeva, qui parle un Français parfait alors qu’elle n’est arrivée d’Ukraine, fuyant la guerre avec sa mère, qu’il y a deux ans. « C’est le nœud de chaise, le premier qu’on vient de faire », répond le skipper au grand cœur à la petite qui a mis pour cette journée très spéciale un t-shirt avec une ancre et un sweat-shirt marin par-dessus.

Romain Le Gall a l’habitude de faire visiter le voilier à des enfants du Secours populaire, accompagnés par des bénévoles. Partenaire de l’association depuis deux ans, via la fédération de Charente-Maritime, il multiplie ce genre d’actions. Rien que cet été, il a accueilli des petits groupes lors des escales de Rouen, le 22 août, Royan, le 7 septembre, avant celle de La Turballe une semaine plus tard. Il sait que le clou de la rencontre est le passage dans la cabine exiguë du voilier, qui ressemble plus à un cockpit d’avion, avec ses ordinateurs de bord, ses câbles électriques et les batteries, etc.

Des baleines croisées au large de l’Irlande

Les enfants s’assoient sur les deux couchettes qui peuvent se replier contre la coque. « Quand il y a des coups de vent, je m’en sers pour faire contrepoids afin que le bateau soit le plus droit possible de l’eau, c’est comme ça qu’il file le plus vite », commente Romain Le Gall. Il leur montre le réchaud et les sachets de nourriture lyophilisée qu’il utilise pour manger sur le pouce, un œil sur les écrans pour vérifier que tout se passe bien à l’extérieur. Le skipper leur montre aussi des images de baleines qu’il a croisées au large de l’Irlande : les enfants sont captivés par le ballet des cétacés.

Assis sur l’échelle qui mène vers le pont, Akram demande : « Qu’est-ce qui t’a donné envie de faire de la voile ? » Romain raconte son enfance dans le sud du Finistère, près de Quimper. « J’ai toujours baigné dans cet univers. Mes parents avaient un bateau. Mes frères et sœurs étaient moniteurs de voile. Je le suis devenu aussi. De fil en aiguille, je me suis lancé dans ma première traversée des Sables-d’Olonne jusqu’en Guadeloupe. »

Jacques Akram voilier
Jacques pratique la voile depuis 50 ans. Il partage sa passion avec Akram ©J-M. Rayapen/SPF

Salem va raconter sa journée à ses camarades de la classe de menuiserie : « Je vais les étonner, ça c’est sûr. » Comme les autres enfants présents, Akram n’était jamais venu sur un voilier. Le contact est tout de suite passé avec le skipper. Le jeune adolescent a senti la passion de la mer qui habite Romain. Akram aussi a une passion : « Je fais du foot à Saint-Nazaire. » Un sport que le skipper aime aussi beaucoup, il le pratiquait intensément avant de se consacrer à la grande bleue.

Dernière surprise de la journée, Romain Le Gall leur propose de leur faire entendre le réveil spécial course au large. Tout à coup, ce n’est pas une sonnerie mais bien une grosse alarme qui retentit dans toute la cabine et bien au-delà. « C’est fort, hein ? Les derniers jours de course, je suis tellement épuisé que je ne l’entends même pas. Pour me réveiller, il faut en plus que j’aie mon téléphone portable sur le visage en mode vibreur ! » Les enfants se regardent, incrédules.

Voir des vaches sur le pont de son voilier

Les skippers ne peuvent pas dormir plus de deux heures par jour, par tranche d’un quart d’heure. Pas plus d’une heure, par gros temps. « La dette de sommeil est telle que le cerveau peut dérailler et faire naître des hallucinations. J’ai déjà cru que des gens étaient avec moi sur le bateau au beau milieu de l’océan. D’autres sont tellement fatigués qu’ils voient des vaches sur le pont. » Des vaches ? Les rires fusent dans la cabine. Yeva remarque malicieusement qu’avec une telle sonnerie de réveil, elle serait toujours en avance pour l’école.

Les enfants ont tous été en colonie cet été, avec l’aide du Secours populaire. La petite réfugiée ukrainienne est allée à Saint-Malo et se souvient avec plaisir de ses sorties en mer dans un petit optimiste, pour débutantes, qui ne fait que 2,50 mètres. « On est très attaché aux vacances au comité de Saint-Nazaire, souffle Jacques. En juillet / août, on a aidé 40 familles à partir en vacances. » Ça représente 175 personnes. « La priorité, c’est d’avoir un toit sur la tête. Ensuite, c’est de pouvoir manger à sa faim. Enfin, c’est pouvoir se changer les idées, se relâcher en partant en vacances et faire des sorties. » Le comité aide aussi des enfants à pratiquer un sport en payant 80 % du montant des licences sportives.