Boulangerie de femmes en Bolivie : le SPF met la main à la pâte

Mis à jour le par Pierre Lemarchand
Les femmes de la communauté de Réalanga en train de pétrir des pains traditionnels de "Rosca"

En Bolivie, au cœur de l’Altiplano, la communauté de femmes de Réalanga s’organise pour subvenir aux besoins de leurs familles en créant une boulangerie solidaire. La fédération du Secours populaire des Alpes-de-Haute-Provence les soutient dans ce projet, qui devient bientôt régional, pour la conquête d’une vie meilleure.

A la fin du siècle dernier, les eaux salines du lac bolivien Poopó recouvraient une superficie de 3000 km² et semblaient venir lécher la ligne d’horizon hérissée de la cordillère des Andes. En quelques années, El Niño, phénomène dû au réchauffement climatique, a asséché les eaux et a découvert à perte de vue un large désert aride où même les arbres les plus résistants peinent à pousser. Dans le village de Machacamarca, les familles de pêcheurs virent reculer les eaux du lac et s’amoindrir leurs moyens de subsistance comme peau de chagrin. Au début des années 2010, les hommes doivent se résoudre à quitter leur village pour aller travailler dans les mines alentour. Alors, les femmes demeurent seules avec les enfants et les aînés. Les conditions de vie, dans l’Altiplano[1], sont rudes : les hivers sont froids (-15°), les vents violents, les cieux visités par la grêle et les sols par le gel. Les femmes prennent en charge seules l’éducation des enfants dans ce village isolé de tout, où il faut marcher plusieurs kilomètres pour aller chercher de l’eau ou aller à l’école.

Nouvelle Aube 

Néanmoins, les femmes ne désemparent pas : elles cultivent champs et potagers et élèvent des animaux de basse-cour. Les revenus de leur activité demeurent insuffisants, aussi en 2013 une trentaine d’entre elles se regroupent pour élever des moutons et des lamas, fabriquer des yaourts et du fromage ainsi que du pain artisanal. L’activité de boulangerie emporte vite un grand succès : leur pain de Rosca [2] se vend bien sur le marché comme sur le bord des routes. Ainsi nourrissent-elles le projet d’augmenter et de diversifier leur production de boulangerie et pâtisserie. 

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Les femmes de la communauté de Réalanga en plein travail de boulangerie

 

Elles sont pour cela accompagnées par une association, Servitihumbo (Servicio Técnico Integral Humanitario Bolivia). « Le projet que nous avons imaginé vise à leur permettre de diversifier leur production grâce à une formation en pâtisserie ainsi que la fourniture de matériel de boulangerie. Ce groupe de femmes courageuses serait alors en mesure de produire plus, d’améliorer leurs revenus et de pourvoir aux besoins de leurs familles. » Ainsi Juan Manuel Claure, secrétaire de Servitihumbo résume-t-il « Mosoj K’Anchay » (« Nouvelle aube » en langue quichua), le projet de boulangerie solidaire imaginé par la communauté de femmes de Réalanga et que soutient aujourd’hui le Secours populaire. Suivi d’une formation avec un chef pâtissier mais aussi achat d’un four semi-industriel de douze plateaux, d’un pétrin, d’une table de boulanger et de matières premières : « Nouvelle aube » permettra aux femmes de Réalanga d’augmenter leur production ainsi que de la diversifier. Elles aspirent en effet à confectionner des pâtisseries, des chaussons traditionnels au poulet et à la viande, des pizzas ou encore des panetons de Noël.

Une communauté de femmes courageuses

Servitihumbo chiffre le projet à 15 000 € et, grâce aux fonds dégagés par l’activité même et les subventions que l’association est en cours d’obtenir, assure la provision de 6000 €. Reste donc 9000 € à trouver pour que les femmes puissent finaliser leur objectif ; c’est là que le Secours populaire arrive dans leur histoire, et que les liens avec la fédération des Alpes-de-Haute-Provence se tissent. Bernard Martinez, bénévole au comité local du SPF de Sainte-Tulle, retrace la rencontre : « Tout commence en 2017. Je fais partie de la fondation EDF et je me rends alors en mission dans l’Altiplano pour accompagner un projet de mise en place de pompes à panneaux photovoltaïques pour permettre aux populations de ces plateaux d’accéder plus facilement à l’eau. Lors de ma précédente mission, j’avais rencontré, dans un petit village, Réalanga, cette communauté de femmes. Elles m’avaient fortement impressionné, par leur courage, leur gentillesse. C’était la première fois qu’elles rencontraient des étrangers et leur accueil avait été très chaleureux. Quand je reviens de cette mission, je parle aux amis du comité du SPF de Sainte-Tulle de cette rencontre et nous décidons de les aider. Quand j’y retourne, c’est avec deux valises de jouets pour les enfants et un chèque de 250 euros, pour permettre aux femmes d’acheter du gaz, des ustensiles et des matières premières pour leur boulangerie. »

Le SPF met la main à la pâte pour une boulangerie de femmes en Bolivie

Les femmes de la communauté de Réalanga réunies dans leur boulangerie

 

Le comité de Sainte-Tulle associe la fédération départementale, qui elle-même mobilise les autres fédérations de la région Provence-Alpes-Côte-d’Azur : de fil en aiguille, « Aube nouvelle » devient un projet régional et le Secours populaire se fixe comme objectif de financer les 9000 euros dont ont besoin les femmes de Réalanga pour équiper leur boulangerie. « Au regard des dérèglements climatiques que subissent les pays du Sud et qui entraînent une forte régression des conditions de vie, c’est notre contribution, notre solidarité pour ces peuples, songe Jean-Marie Blanc, secrétaire départemental de la fédération des Alpes-de-Haute-Provence. Cela résonne avec la catastrophe qui vient de frapper le département voisin des Alpes-Maritimes, ces inondations terribles… Il faut bien sûr venir en aide à ces sinistrés, mais il est indispensable d’aider également les sinistrés de pays plus lointains qui sont aussi les moins bien armés dans cette lutte inégale. »

Construire un meilleur avenir

« Ce sont des femmes très courageuses, et leur courage m’a ému et impressionné. Elles sont animées par le désir d’améliorer leur quotidien, de construire un meilleur avenir. Les rencontrer m’a donné, personnellement, une grosse bouffée d’émotion, ainsi qu’une leçon d’humilité », exprime Bernard Martinez. Le courage qu’il souligne, ainsi que le désir d’indépendance de ces femmes, est évoqué par le secrétaire de Servitihumbo : « Il faut resituer la lutte des paysannes de notre pays dans un contexte de discrimination des politiques publiques à l’égard des femmes. Elles accèdent moins facilement à l’emploi, leurs salaires sont moins élevés, elles n’ont pas droit à la sécurité sociale, n’ont pas accès aux postes à responsabilité. Elles sont de plus souvent victimes de violences familiales et de féminicides. Le fait d’avoir de nouveaux revenus sécurise leur situation en tant que femmes mais aussi cheffes de famille. Cette indépendance renforce leur estime de soi : elles se sentent « utiles » et « productives ». A travers elles, c’est le rôle de la femme, de la mère, de la sœur ou de la fille qui est revalorisé, dans la sphère familiale, communautaire et villageoise. »

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Le logo de la communauté des femmes de Réalanga brodé sur les blouses des boulangères

 

Silvia Quispe est la présidente de la communauté de femmes de Réalanga – et, à ce titre, leur porte-parole. Vêtue de leur traditionnelle blouse bleue, brodée à l’effigie des pains qu’elles confectionnent avec tant de courage et de talent, les cheveux couverts du fichu de tissu dentelé qui leur orne toutes la tête, la quadragénaire confie aux bénévoles du Secours populaire ces paroles, par-delà les kilomètres de montagnes, de terres et de mers : 

« Je tiens à remercier nos frères et sœurs de France au nom de toutes mes amies de notre communauté pour cette grande aide qu’ils nous apportent. Car, pour nous, cette collaboration est inespérée et très importante. En tant que femmes, mères, filles et petites-filles, nous devons diversifier nos sources de revenus grâce, notamment, à cette petite boulangerie. L’argent que nous pourrons gagner nous sera utile pour aider, dans nos foyers, nos enfants et petits-enfants ainsi que les personnes âgées seules qui ne peuvent plus travailler. Merci de tout mon cœur, frères et sœurs français, vous êtes les bienvenus et nous vous attendons à bras ouverts. »


[1] L’Altiplano (« plaine d’altitude » en espagnol), situé au cœur de la cordillère des Andes, est la plus haute région habitée au monde après le plateau tibétain. Elle se situe à une altitude moyenne de 3 300 m.

[2] Pain en forme d’anneau, traditionnel, d’origine espagnole ou portugaise 

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