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Le jour où Dominique s’est jetée à l’eau

Mis à jour le par Pierre Lemarchand
Dominique, dans son jardin en Corrèze, en mars 2024.
Dominique, dans son jardin en Corrèze, en mars 2024. ©Jean-Marie Rayapen/SPF

Dominique est accompagnée par le Secours populaire en Corrèze. Elle a ainsi pu partir en vacances pour une semaine estivale dans le golfe du Lion, au bord de la Méditerranée. Elle n’était pas partie depuis trente ans et s’est baignée dans la mer pour la première fois de sa vie, à 69 ans. Retour, avec elle, sur ce souvenir, ainsi que sur son lien avec le Secours populaire.

La route se déroule, sinueuse et belle, jusqu’à la maison de Dominique. Nichée au cœur des champs, entourée de vallons, elle est posée à la sortie de Saint-Bonnet-l’Enfantier, petit village à 17 kilomètres d’Uzerche en Corrèze. Les paysages sont battus par la pluie mais le soleil parvient, en milieu de matinée, à percer la couche de nuages. Dès que ses rayons apparaissent, ils dorent les branches des arbres qui entourent la fragile silhouette de Dominique, postée à la barrière et faisant signe. Aubépine, chêne, cerisier, pommier japonais, forsythia verdissent à peine : en cette journée d’hiver finissant, elle s’apprête à nous raconter une journée d’été – l’un des plus beaux jours de sa vie, celui où, deux ans auparavant, sur l’invitation du Secours populaire, elle a découvert la Méditerranée. Et s’y est baignée. Animatrice commerciale à la retraite depuis 10 ans, Domi – c’est ainsi que tout le monde l’appelle – vient d’avoir 71 ans. Pour son anniversaire, elle s’est offert une bague – elle en porte une à chaque doigt. « Même si j’ai peu d’argent, même si je suis malade, je veux rester élégante. C’est le système D ! D comme débrouille. » D comme dignité. Elle confie être vêtue des pieds à la tête par le Secours populaire, des petites bottes fourrées crème à son chemisier assorti, jusqu’au gilet qui lui tient chaud. Il est orné de deux broches, elles aussi « dénichées à la boutique du Secours » : un trèfle à quatre feuilles d’or et un oiseau aux ailes déployées. « J’aime les oiseaux car ce sont des êtres libres. » Elle nous apporte bientôt un sac de tissu arborant la phrase « Dominique aime les oiseaux », que lui a offert une assistante sociale de la Ligue contre le cancer.

« La première fois que je suis entrée dans l’eau, j’ai ressenti une grande liberté. »

« Le Secours populaire, ça me permet de voir du monde ; sinon je suis un peu seule. » Il y a aussi les visites de Charlène, son aide-ménagère, qui confie que ces dernières semaines ont été dures – Dominique n’a pas supporté la chimio. « Elle a des hauts et des bas. Mais elle sait donner le change. Elle a toujours un mot pour rire. Elle est forte Domi. » Et puis il y a Thierry, son compagnon. Il lui apporte du bois, l’aide à la cuisine, la conduit quand elle a besoin d’aller en ville. Comme un mardi sur deux, au Secours populaire de Brive, à 30 kilomètres de là. « Je n’ai plus le droit de conduire, je suis trop malade à présent. Mais je triche un peu – les interdits, ce n’est pas pour moi », glisse-t-elle, clin d’œil et sourire à l’appui. « Les meilleures choses qui me sont arrivées depuis que mes enfants sont partis de la maison, c’est au Secours que je les dois. » Et c’est alors qu’elle évoque ses vacances il y a deux étés, à Port-Leucate. La première fois qu’elle s’est baignée dans la mer, à l’âge de 69 ans. De ces vacances, elle a le souvenir d’une semaine magique. « Les vacances, cela faisait longtemps que je n’en parlais plus, que je n’y pensais plus. Et puis le Secours populaire m’a proposé de partir au bord de la Méditerranée. Ça m’a fait peur, je me suis dit que c’était trop loin, que j’étais trop malade, trop fatiguée, mais j’ai dit oui. Un grand oui. » 

Quand arrive l’été 2022, Domi sort de « six mois de galère » : mastectomie, septicémie, lit de glace, opération à nouveau, pansement à refaire tous les matins. « Alors, de pouvoir me baigner, c’était extraordinaire. La première fois que je suis entrée dans l’eau, j’ai ressenti une grande liberté, le sentiment d’être légère », se rappelle-t-elle. « La quiétude de ces moments-là, je m’en souviendrai toujours. Chaque matin, j’attendais que le soleil se lève et j’allais à la mer. Je la voyais depuis ma chambre. Un petit chemin m’y emmenait. Sur le sable, il n’y avait que l’empreinte des pattes de mouettes. J’étais la première, j’avais la plage pour moi toute seule. » La lumière du golfe du Lion, les petites maisons blanches, les palmiers, la promenade en bateau et la visite miracle de dauphins, une chambre rien qu’à soi : ce ne sont, pour Domi, que des premières fois. « Ce que j’ai aimé aussi, ce sont mes balades avec Christiane sur un petit sentier, à l’ombre d’une voûte de lauriers roses. Là aussi, je me sentais libre, on avait le temps. Par terre, c’étaient des petits pavés, on pouvait marcher pieds nus. C’était trop beau. » Christiane est la bénévole responsable du comité de Brive du Secours populaire. C’est elle qui lui a proposé de partir en vacances et c’est dans sa main que Domi a glissé la sienne la première fois qu’elle est allée se baigner. Entre elles deux, un lien indéfectible s’est noué.

Au libre-service, Dominique trouve des produits frais mais surtout cette chaleur humaine qui lui fait attendre impatiemment les mardis.
Au libre-service, Dominique trouve des produits frais mais surtout cette chaleur humaine qui lui fait attendre impatiemment les mardis. ©Jean-Marie Rayapen/SPF

« À la retraite, les revenus de Dominique ont chuté car elle avait vécu des périodes sans emploi. Elle s’est retrouvée seule. C’est pour cela qu’elle est d’abord venue : pour une aide alimentaire, éclaire Christiane. C’était un besoin matériel mais elle cherchait aussi plus : se lier aux autres. » Au Secours, tout le monde aime Domi, souligne Christiane, car elle a toujours le sourire et un mot drôle ou doux pour chacun. Dès que sa santé le lui permet, elle aide à son tour, aux paquets cadeaux ou aux collectes alimentaires. Ces mardis, elle les attend « avec impatience » car, dans le colis qu’elle rapporte chez elle, il y a certes de la nourriture, mais surtout de l’amitié puisée, de l’espoir retrouvé. Un plein d’amour. « C’est lors de nos nombreuses discussions que j’ai appris qu’elle n’était pas partie en vacances depuis trente ans et qu’elle ne s’était jamais baignée dans la mer », révèle Christiane. Quand Christiane lui propose de partir en vacances, l’enthousiasme se mêle à l’inquiétude. « Cette proposition l’a fait rêver. Mais elle craignait de prendre la place d’une famille. Il a fallu la rassurer. Ça lui paraissait irréel. Il a fallu l’aider à faire sa valise : elle ne savait pas quoi mettre dedans », détaille Christiane. Ces freins levés, la participation financière de 40 euros acquittée, Domi est prête à partir. « Elle appréhendait aussi le voyage en car, alors on l’a mise devant ! » 

« Au Secours, tout le monde aime Domi. »

« Je me souviens de sa première baignade, raconte Christiane. Elle a tout de suite senti que l’eau lui faisait du bien. J’ai aussi le souvenir du karaoké, elle s’est déchaînée, elle a chanté et dansé. Comme les autres mamans, elle s’était faite belle pour la soirée. Et ce qui restera, ce sont nos fous rires. » À raconter ses vacances, Domi n’a pas vu l’heure tourner. Nous sommes mardi, et c’est l’heure d’aller au Secours populaire. La petite trentaine de kilomètres avalée, elle franchit les portes de l’association. Elle fait toujours le même circuit. D’abord, le libre-service alimentaire. « Comment va mon légumier préféré ? Tu n’étais pas là la semaine dernière, étais-tu malade ? » demande-t-elle à Hervé, qui lui tend en retour un chou magnifique. Jean-François traverse la grande pièce pour venir la saluer. « C’est lui qui m’a ramenée chez moi le jour où j’ai fait un malaise dans les rayons ! » Oumkalthoum la prend dans ses bras et lui glisse à l’oreille « Hello baby ». Ensuite, c’est le bric-à-brac. Elle s’offre pour trois fois rien une poignée de tournesols recueillie dans un grand vase. Puis ce sera la boutique de vêtements. Le reste de sa tournée, elle la fait ainsi, petite silhouette vacillante, avivée du jaune soleil du bouquet de son bouquet. Oui, tout le monde connaît et aime Domi. « Je me fais la plus belle possible pour venir au Secours populaire. Ça peut surprendre, de se faire élégante pour venir chercher un colis alimentaire », confie-t-elle, soudain sérieuse. « Dominique, c’est quelqu’un de fragile car elle a été malmenée par la vie. Le Secours est pour elle un lieu où elle est écoutée, analyse Christiane. Elle sait qu’elle y est en sécurité et qu’on la protégera. » 

« On a fait plein de belles choses. On s’est acheté des glaces et des petits souvenirs. On s’est promenés sur les sentiers. Les petites maisons blanches et les palmiers, je n’avais jamais vu ça. J’avais une chambre pour moi toute seule. Je me suis sentie dorlotée, après avoir passé des moments très difficiles. La première fois que je suis entrée dans l’eau, j’ai ressenti une grande liberté, le sentiment d’être légère. La quiétude de ces moments-là, je m’en souviendrai toujours. »

Dominique Germain


« Les vacances, c’était pas pour nous »

Son premier bain de mer, Dominique l’a raconté pour l’émission « Fragments » d’Arte. Accompagnée par Nathalie, bénévole du Secours populaire, elle s’est rendue pour le tournage à Paris. En découvrant la capitale, elle a réalisé un autre rêve…

Voir le témoignage de Dominique sur Arte : https://www.arte.tv/fr/videos/106741-039-A/fragments-dominique/