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La solidarité, recette du bonheur

Mis à jour le par Pierre Lemarchand
Christina, Yeva et Artem lors de l’atelier cuisine organisé par Damien Bertho, au comité du Secours populaire de Saint-Nazaire, le 30 octobre 2023.
Christina, Yeva et Artem lors de l’atelier cuisine organisé par Damien Bertho, au comité du Secours populaire de Saint-Nazaire, le 30 octobre 2023. ©Jean-Marie Rayapen/SPF

En ce 5 décembre, Journée mondiale du bénévolat et du volontariat décrétée par les Nations unies, et dans la foulée du 39e Congrès national du Secours populaire qui s’est déroulé sur la thématique de l’engagement (« Ensemble engagés pour un monde plus juste et plus solidaire », Strasbourg, du 17 au 19 novembre 2023), la rédaction publie un portrait de bénévole. Damien Bertho n’a pas 30 ans mais une longue histoire, déjà, le lie au Secours populaire. Engagé au comité de Saint-Nazaire sur de nombreux fronts dont l’enfance, moniteur pâtissier, il est un jeune homme animé par les valeurs de solidarité et d’éducation populaire. Portrait.

Damien Bertho nous accueille au comité de Saint-Nazaire du Secours populaire, où il est bénévole depuis dix ans. A la fois l’un des plus anciens et des plus jeunes – il a vingt-huit ans. Malgré sa déjà longue histoire avec le « Secours pop », l’émerveillement de Damien quant à la force de la solidarité n’a jamais faibli. « S’engager, ça permet de garder cette petite flamme qui nous anime tous », nous confiera-t-il au cours de la journée. « Il n’y a pas d’humanité sans solidarité », exprime la banderole accrochée sur le mur au-dessus de sa tête ; tandis qu’il nous emmène dans la pièce où va se tenir l’atelier pâtisserie qu’il a imaginé pour les enfants du Secours populaire, on comprend que Damien est, ici, à sa juste place. La cuisine aux couleurs vives est prête : il est passé l’autre soir, après son travail, pour tout installer. Les ingrédients reposent dans leurs récipients, les recettes sont imprimées, les ustensiles attendent leur heure. Francine arrive : souvent, elle vient lui prêter main forte pour ces ateliers – « Je suis son commis ! », s’amuse la bénévole, par ailleurs particulièrement investie dans la campagne vacances du comité. « Travailler avec Damien, c’est un grand plaisir, toujours », précise-t-elle. Un attachement profond à l’enfance : c’est peut-être ce qui la lie à Damien, avant tout.

« Je suis très fier de vous. »

Au fur et à mesure que les enfants arrivent, Damien les revêt d’un tablier et d’un calot de papier. Les admirant en tenue, il s’exclame : « Voilà, vous êtes des chefs ! ». Et c’est ainsi qu’il les appellera tout au long de l’atelier : « mes petits chefs ». Ceux-ci, du haut de leur 7 à 11 ans, s’activent sans compter. Le lendemain soir, c’est Halloween, aussi Damien a-t-il prévu la préparation de mets spéciaux : un gâteau surprise au chocolat, des cookies araignées et des fantômes en chocolat (blanc, évidemment). Damien leur fait une totale confiance, en aucun cas ne fait à leur place. Il leur montre, les encourage, souligne leurs progrès. Petit à petit, ils prennent de l’assurance. Fatma fouette les œufs si fort qu’elle en perd sa toque. Christina, après une longue hésitation, plonge les mains dans la pâte à cookie. Toute à cette sensation nouvelle, elle pétrit avec concentration, un peu surprise, heureuse d’avoir osé. Artem rit de son fantôme qui semble lui faire un clin d’œil. « Vous êtes fiers de vos gâteaux les enfants ? », demande Damien. « Car moi, je suis très fier de vous. » Les deux heures ont filé comme une comète. Quand leurs parents reviennent, c’est pour s’installer autour de la grande table et déguster ensemble les réalisations des pâtissiers en herbe. La fierté glisse des yeux des enfants vers ceux des mères, des pères. 

Les parents de Damien, quand il était enfant, étaient eux aussi aidés par le Secours populaire. « Mon premier souvenir du Secours pop, c’est un jour où mes parents en sont revenus avec des jouets. Il y avait un magnifique chapiteau Playmobil et des jeux de société, détaille Damien. J’avais l’impression qu’il y en avait partout ! Ils étaient venus nous chercher à l’école et ils étaient heureux et fiers de pouvoir nous les offrir. Mon frère et moi aussi étions heureux de ces cadeaux immenses. » Damien se souvient de la précarité dans laquelle se débattaient ses parents, en raison de handicaps entravant leur accès à l’emploi. Il se souvient des aides alimentaire et vestimentaire qui soulageait le stress du quotidien. Mais de sa mère et son père, il souligne surtout « les belles valeurs qu’ils [lui]ont inculquées ». Aux sources mêlées de la solidarité reçue et de ces valeurs transmises naît, en sa tendre enfance, l’engagement sans faille de Damien. « Voir mes parents accompagnés par le Secours populaire m’a donné très tôt le désir d’aider à mon tour. » Il découvre le bénévolat avec sa grand-mère, chez qui toute la famille vit. Il a 14 ans quand elle l’emmène avec elle. « Ma mamie avait des valeurs associatives et un cœur énorme. Enfant, elle était mon “héros”. J’ai passé mes vacances de Noël à faire les paquets-cadeaux avec elle. Cette chose toute simple – faire un paquet, recevoir en retour un sourire et de l’argent pour une association -, je l’ai tout de suite aimée. »

« Ce qui me rend le plus heureux est d’aider les autres. »

C’est jeune, à 15 ans, que Damien entre dans le monde du travail, comme apprenti pâtissier. « Je ne voulais pas manquer d’argent, je pense que je recherchais une certaine sécurité », analyse-t-il. Puis, à 19 ans, comme il se l’était toujours promis, il devient bénévole au Secours populaire. Ce geste – franchir la porte de l’association – « c’était naturel. Ce qui me rend le plus heureux est d’aider les autres. » Damien ne percevait, du Secours populaire, que les aides qu’il avait reçues enfant : l’aide matérielle et les Pères Noël verts. Il découvre alors que la solidarité prend la forme que leur donnent les femmes et les hommes qui s’y engagent. Que cette solidarité à laquelle il aspire a mille visages. Il s’engage, à son tour, « à fond ». Il commence par la manutention, s’implique activement dans la communication mais le premier déclic s’opère quand il aide au libre-service alimentaire. « Être au plus proche des familles accompagnées, j’ai compris que c’était ma place, témoigne-t-il. Mon engagement a pris tout son sens quand je me suis investi dans l’accès aux vacances. Enfant, je n’ai pas eu cette chance de partir. Permettre à d’autres enfants de goûter aux joies du départ, c’est inestimable. » 

Damien Bertho dans l’Esat où il travaille en tant que moniteur en pâtisserie, à Saillé, tout près de Guérande, le 31 octobre 2023. ©Jean-Marie Rayapen/SPF

En 2018, Damien a 23 ans quand il s’effondre au travail. Les 50 heures qu’il y passe, sans y trouver le sens auquel il aspire, subissant des rythmes infernaux et un harcèlement, ont raison de son énergie. Le médecin est formel : épuisement. Burn out. S’ensuit une année à se reconstruire. « Il m’a fallu réapprendre à vivre. J’ai mis un an à remonter. » Entre les séjours à l’hôpital, il continue de se consacrer au bénévolat. Son engagement, c’est ce qui l’a sauvé, assure-t-il. A restauré l’estime pour lui-même, le sentiment d’être au monde et d’y compter. Il participe à la création d’une épicerie solidaire à Saint-Nazaire, fait des maraudes nocturnes pour aider les sans-abri. Et, bien sûr, continue de s’investir au Secours populaire. Comme pour chasser ses propres nuages, il redouble d’imagination pour envoyer des enfants au soleil. Et une rencontre s’opère, autre déclic : celle de Clément, jeune autiste dont la mère, à bout de forces, était venue au Secours populaire pour savoir si un jeune bénévole serait partant pour passer du temps avec son enfant. « Ça a été une rencontre incroyable. » Damien s’accorde avec les parents de Clément qu’il viendrait le voir chaque mercredi. Pour nouer contact avec le garçon, Damien propose de cuisiner avec lui. Ce sont ses premiers ateliers pâtisserie, qui lui donneront l’idée d’en proposer au Secours populaire. Et qui dessineront son virage professionnel.

« On m’a fait confiance. On m’a transmis. »

« J’ai compris qu’il me fallait effectuer un travail où je pouvais allier la pâtisserie et l’aide aux personnes, mes deux passions », résume Damien. C’est ainsi qu’il passe le diplôme de moniteur pâtissier en Esat[1], des établissements de travail protégé, permettant aux personnes en situation de handicap de s’insérer professionnellement. Damien est responsable, depuis 2019, d’une équipe de 22 personnes, dans un établissement de Guérande. On comprend, à le voir travailler, qu’il y prolonge son engagement, ce désir né si tôt d’être là pour les autres, de faire vivre les valeurs de solidarité et d’émancipation. « J’ai rencontré, au Secours populaire, tellement de personnes formidables qui m’ont tiré vers le haut, reconnaît Damien. Ça a prolongé les valeurs d’éducation populaire que m’avait transmises ma grand-mère. Quand je suis arrivé au Secours, on m’a fait confiance[2]. On m’a transmis. Et je transmets à mon tour, dans mon travail comme dans mon bénévolat. » A chaque membre de son équipe, il reconnaît un talent, et le souligne. Invite chacun à se dépasser. « Damien s’assure que le travail est bien fait et que le respect règne entre les travailleurs. Il répartit le travail entre nous. Mais surtout, il nous encourage », confie Cédric. 3000 galettes des rois sont à confectionner d’ici la fin de l’année, et le travailleur s’y emploie. Il travaille ici depuis bientôt dix ans, après dix autres années passées dans le service psychiatrique d’un hôpital de jour. Sa silhouette massive semble s’envoler tandis qu’il fleure le long tapis de pâte qu’il a déroulée sur son plan de travail. Le geste délié du poignet, les poussières de farine en suspension, tout symbolise la légèreté possible que lui apporte son travail à l’Esat. Il découpe ensuite de larges pièces rondes, autant de soleils jaune pâle qui accueilleront la frangipane. Il lève la tête, lance un large sourire à Damien.

De chacun des travailleurs, Damien connaît les plaies et les bosses. Il sait leurs accidents et leurs peines. Mais ce qu’il leur montre, c’est l’or qu’ils ont dans les mains, la beauté de leur travail et comment, ensemble, ils sont plus forts. Chacun a une compétence irremplaçable, chaque être est important. C’est ce qu’il disait aux enfants du Secours populaire, lors de l’atelier pâtisserie : « Chaque main a été importante et précieuse pour fabriquer nos gâteaux. » Aussi précieuse que leurs sourires, que Damien s’applique à photographier après chaque séance. « J’ai besoin de garder ces sourires avec moi, de pouvoir les contempler. Ça me donne des forces », explique-t-il, plongeant ses mains dans la masse de photos. « C’est fou, ce qu’on a vécu ensemble avec tous ces enfants. Ce qu’ils m’ont permis de vivre. » Le visage de Damien s’éclaire : il se souvient de ce petit gars qui lui avait dit, le plus sérieusement du monde, un jour de sortie avec le Secours populaire, qu’il lui avait offert le plus beau jour de sa vie. Un autre souvenir remonte. « C’était un autre petit bonhomme. Un petit Syrien d’à peine 8 ans. Nous étions dans le car qui nous emmenait vers un parc d’attractions. Il faisait un dessin, un avion qui lâche des bombes, une maison éventrée. Il me dit : “La maison, c’est celle de mon papi et de ma mamie”. Je comprends qu’ils sont morts. Si jeune, il portait déjà une histoire si lourde. Je n’avais plus qu’un seul but en tête : lui offrir la plus belle journée du monde. »


[1] Établissements ou services d’aide par le travail.

[2] Damien est aujourd’hui référent jeune national.

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