Julien Lauprêtre, un homme d’engagement et de combat

Mis à jour le par Anne-Marie Cousin
En avril 2017, les copains du Monde accueillaient Julien Lauprêtre dans leur village

Le 26 avril 2019 Julien Lauprêtre nous quittait. Il dirigeait le Secours populaire depuis 1955. Portrait d’un homme qui a voué sa vie aux autres sans jamais faillir.

Julien Lauprêtre est décédé : Julien, pour les 80 000 bénévoles du Secours populaire français, Monsieur Lauprêtre pour tous ceux qui l’auront côtoyé dans les salons d’un ministère, dans une antenne de l’association, sur les lieux d’une catastrophe naturelle à des milliers de kilomètres du 12e arrondissement de Paris où il a toujours vécu. Julien, notre cher président, notre ami, notre mentor n’est plus. Il nous lègue un héritage, immense, plein de promesses. Julien n’est plus, mais il nous laisse un Secours populaire fort, face à « la marée de la misère », un Secours populaire en résistance contre la pauvreté, le racisme, l’indifférence, l’individualisme. « Résister » disait-il souvent, lui qui dès l’âge de 17 ans entra en résistance contre l’hydre nazi, au risque de sa vie. « Résister », un mot offert comme viatique par Missak Manouchian, compagnon de cellule qui allait être condamné à mort avec 22 de ses camarades. Au sortir de la douloureuse épreuve de la Seconde guerre mondiale, Julien sera, après Pierre Kaldor, Francis Jourdain, de ceux qui placeront le nouveau Secours populaire sur les voies de l’indépendance vis-à-vis des forces politiques et des institutions.

Un visionnaire

Dresser l’inventaire de toutes les actions qu’a menées Julien avec les bénévoles, les marraines et parrains relève d’un défi quasi impossible. Julien possédait une tête toute entière tournée vers la solidarité. Il s’agissait de toujours trouver des solutions pour répondre face à l’urgence, aux drames que vivaient les plus fragiles et pour pérenniser les actions. « Il ne s’agit pas de faire aussi bien que la dernière fois », aimait-il répéter, « il s’agit de faire mieux ». Cette recherche de l’efficacité, doublée de la nécessaire humanité sans laquelle la solidarité n’est que charité, a été sa boussole durant sa longue et fructueuse présidence. Sa qualité de visionnaire, sa ténacité, ont conduit l’ensemble de l’association à innover sans cesse. Contre les avis sceptiques, un rien défaitistes, Julien a permis au Secours populaire de figurer dans le peloton de tête des associations de solidarité. Une solidarité en actes. Des actes quotidiens allant de l’aide alimentaire, vestimentaire, aux conseils juridiques, à la promotion de la santé, de la culture, de l’éducation, au développement d’activités économiques écologiquement responsables mises en œuvre par les populations accompagnées en France et partout dans le monde.S’il fallait quelques exemples portant la patte de Julien pour illustrer la politique du Secours populaire, nous citerions la Journée des oubliés des vacances. « Une journée à la mer, à la montagne », rappelait Julien, permet à « un gosse, à la rentrée des classes, de raconter ses vacances, de se sentir, comme les autres, et en définitive d’être dans de meilleures conditions pour étudier ». En 2000, la Journée des oubliés des vacances s’est déroulée au Stade de France. Là encore quant Julien émit l’idée, ajoutant qu’il fallait y inviter des sportifs de renom, l’initiative relevait de l’utopie. Dame ! Emplir pareille enceinte. Et pourtant !  Zidane et Ronaldo, les deux footballeurs les plus célèbres de leur époque, communièrent avec des milliers d’enfants et d’adultes. Lorsqu’il s’est agi d’affronter les instances européennes à l’heure de défendre le fonds d’aide aux plus démunis, Julien sut trouver les arguments pour convaincre députés, associations, ministres. L’aide fut sauvée. Car le président du Secours populaire savait persuader, jouant de la justesse de ses arguments, de son inébranlable volonté, de son charisme,de sa bonhomme corpulence et de son humour teinté d’accent de titi parisien, peut-être bien aussi.

Pour que les enfants deviennent des citoyens

Au chapitre des réussites du Secours populaire figurent les Pères Noël verts qui, depuis des années, sillonnent les territoires proches et lointains afin que « Noël n’oublie personne ». Enfin, l’une de ses intuitions les plus lumineuses fut le lancement du mouvement d’enfants Copain du monde. Julien a voulu que les enfants deviennent des citoyens qu’on écoute, qu’on respecte et qui s’engagent. Le mouvement permet, disait-il, que « les enfants apprennent à s’aimer plutôt qu’à se fuir et se haïr ». Aujourd’hui, en cette année 2019, trentième de la proclamation de la Convention internationale des droits de l’enfant, on compte, en France et dans le monde, une quarantaine de villages d’enfants Copain du monde.  Julien a parcouru des centaines de milliers de kilomètres de par le monde, faisant fi de la fatigue, des maux et douleurs qui auraient fait renoncer tout autre que lui. Il a exporté son optimisme naturel, sa foi dans les êtres, partout où la violence des éléments, la pauvreté, le manque de moyens éducatifs et sanitaires frappaient, dans l’esprit de Pasteur : « je ne te demande pas ta nationalité ni ta religion, seulement qu’elle est ta souffrance ». Evoquons une action parmi d’autres, mais qui traduit ce pour quoi Julien a toujours lutté, dépensant son énergie sans compter. Après le génocide au Rwanda, sollicité par le regretté José Kagabo, membre du Secours populaire, Julien a engagé les forces de l’association pour contribuer, modestement, à la renaissance du pays. Car, disait Julien, il ne s’agit pas de se substituer aux autochtones, d’intervenir le temps d’une urgence, puis de partir. La solidarité ne peut s’accommoder d’actions de marketing. Pour que la solidarité soit efficiente, il convient de placer le respect en l’autre au centre des rapports, selon la belle formule : « la main qui donne est égale à celle qui reçoit ». Fidèle à sa philosophie, le Secours populaire écoute, partout et toujours, les acteurs locaux, apporte l’aide demandée et travaille en liaison avec les associations sur place, sur le long terme. Et au-delà, aimait à insister Julien, il faut « encourager les personnes accompagnées à devenir à leur tour des acteurs de la solidarité afin de les rétablir dans leur dignité ». Ainsi, aujourd’hui, le Secours populaire compte, parmi ses plus de 80 000 bénévoles, des femmes, des hommes, des enfants qui, un jour, ont poussé la porte d’une antenne de l’association.