Protéger

  • Aide au logement

Lorraine : le Solidaribus réduit la fracture numérique

Mis à jour le par Olivier Vilain
Christophe fait de la permanence mobile du Secours populaire un vrai cocon dans lequel Chantal est en confiance pour aborder ses difficultés pour faire des démarches administratives via le net.

L’année 2022 commence et les guichets ferment. Tous les services publics vont basculer dans le numérique d’ici le 31 décembre. Pourtant, un quart de la population ne maîtrise pas cet outil ou n’y a pas accès, faute de moyens ou de connexion. Conscient de cette détresse, le Secours populaire multiplie les accompagnements dans ce domaine, comme avec la permanence mobile qui sillonne les villages autour de Toul (Lorraine). REPORTAGE.

« Y en a pour une dizaine de minutes avant d’arriver. Je pourrais faire plus court mais je préfère rester sur les grands axes en cette période de l’année. Les petites routes peuvent geler, donc je ne couperai pas à travers les bois, c’est trop dangereux. » Calé au volant de son minibus, Christophe passe en revue les rendez-vous de la journée. Depuis novembre dernier, il est responsable de l’une des deux permanences mobiles, appelées Solidaribus, mises en place par le Secours populaire autour de Nancy.

« La plupart des gens sont vraiment perdus »

Habituellement, ce type de tournées est destiné à apporter de l’aide alimentaire, des vêtements, etc. Christophe, lui, accompagne les habitants des villages qui n’arrivent pas à se connecter à Internet, à se servir d’un ordinateur pour mener à bien une démarche administrative comme télécharger une attestation de la CAF, vérifier le remboursement d’une consultation médicale, remplir un dossier de retraite ou faire une demande de renouvellement de carte d’identité.

Avant de venir en minibus, Christophe ou un bénévole contacte les mairies, leur présente l’aide au numérique que le Secours populaire peut apporter aux habitants. Si les élus sont convaincus, un système de rendez-vous, toutes les semaines, est mis en place. « Je ne demande qu’une prise électrique et une place de parking », sourit celui qui est chargé de réduire la fracture numérique : « La plupart des gens sont vraiment perdus. Ils sont littéralement mis à l’écart par leur manque de maîtrise du numérique ; et, même si je n’en ai pas encore discuté avec eux, je pense qu’ils sont nombreux à en souffrir parce que je les vois souvent émus ».

Un Français sur six n’a pas les connaissances appropriées pour être autonome sur le Net

Arrivé à Boucq, 365 habitants, le conseiller numérique du Secours populaire se gare à côté de la petite salle communale. Marianne Pierson, la maire, l’accueille à l’entrée. A l’intérieur, Béatrice, son compagnon Jean-Luc, Bernard et Pascale, jeune retraitée de La Poste, l’attendent. Aucun n’a quitté ses vêtements d’hiver car la température reste basse malgré le ronron du chauffage.

Tous sont assis devant un ordinateur, déjà allumé et posé sur les tables qu’ils ont rassemblées au milieu de la pièce dont les murs sont uniformément blancs. « Je ne l’ai pas allumé depuis six mois, je ne sais même plus comment m’en servir », regrette Bernard, qui a un mouvement de recul quand Christophe lui demande son numéro de portable : « Oh là, non, je préfère mon téléphone fixe. Au moins, je suis sûr de pas faire de bêtise ! » Le petit groupe est prêt, impatient mais tendu. Chacun appréhende le cours d’initiation qui va débuter.

A Boucq, les participant à l'atelier d'initiation au numérique sont contents de la venue de Christophe. Ils attendaient une formation de ce type depuis très longtemps.

A Boucq, les participant à l’atelier d’initiation au numérique sont contents de la venue de Christophe. Ils attendaient une formation de ce type depuis très longtemps.


Comme Bernard, Pascale et leurs voisins, un Français sur six ne dispose pas des connaissances nécessaires à l’utilisation d’un ordinateur ou ne sait pas se servir de cet outil pour des démarches administratives. Les moins diplômés et les plus précaires sont les plus touchés par cette précarité numérique, appelée « illettrisme électronique » ou « illectronisme ». Les personnes âgées y sont proportionnellement plus sujettes, mais elles sont loin d’être les seules.

Beaucoup de jeunes ont seulement un usage ludique d’Internet, à travers les jeux, les plateformes de messageries ou la lecture de vidéos. Beaucoup ne savent pas remplir un dossier administratif en ligne. L’Insee évalue, dans sa dernière enquête sur cette question, que près de quatre utilisateurs d’ordinateurs sur dix ne sont pas autonomes par manque d’au moins une compétence de base (connaissance des logiciels, analyse des contenus, etc.).

« Je dois me mettre à niveau avant qu’il n’y ait plus un seul guichet ouvert », s’alarme Pascale

Christophe est le champion de la dédramatisation. « On va tout revoir ensemble depuis le début. On prendra autant de rendez-vous qu’il faudra. » Cette fois, il va leur apprendre à se repérer dans le bureau de leur ordinateur, à utiliser la souris. « Prenez la bien en main, elle ne mord pas », blague le formateur, qui sait gérer un groupe. Il le montre aussi comment accomplir une tâche, créer un dossier, trouver une application, utiliser un navigateur et son moteur de recherche. « Je vais répéter autant de fois que nécessaire. Vous m’arrêtez dès que vous avez besoin d’une précision. Mais je ne ferai rien à votre place sinon, la prochaine fois, vous aurez tout oublié. »

Le programme est financé pour 18 mois par l’argent du plan ‘‘France Relance’’. « Nous faisons la démarche de venir dans les villages parce que sinon leurs habitants resteraient seuls avec leurs problèmes sans venir nous voir », explique Philippe Gilain, le secrétaire général du Secours populaire en Meurthe-et-Moselle, à l’origine de cette initiative. Habitants et communes sont demandeurs, et depuis longtemps, comme l’assure la maire : « Jusqu’ici, rien n’avait pu être mise en place. Les formations qui devaient être assurées par des services civiques ont été annulées purement et simplement depuis le premier confinement. »

2022, l’année du grand basculement numérique

La plupart de ceux qui prennent rendez-vous avec la permanence mobile sont ou retraités ou proches de la retraite. Tous savent qu’ils sont engagés dans une course contre la montre. « Je dois me mettre à niveau avant qu’il n’y ait plus un seul guichet ouvert car je ne vais pas toujours demander un coup de main à mon fils », projette Pascale. « En plus, il faut que je sois moi aussi capable d’aider mes vieux parents qui ont dépassé les 90 ans », dit-elle dans un mélange d’ironie et d’un peu de détresse. « L’accès vers l’extérieur, aux services publics, est très important parce qu’ici nous sommes vraiment très isolés », ajoute de son côté l’élue locale.

Dans la course au « tout numérique », Bernard, Pascale et les autres doivent recoller au peloton alors que le gouvernement a prévu d’ouvrir au numérique 100 % des services publics d’ici décembre prochain, dans le cadre de son plan ‘‘Action publique 2022’’. Déjà plus de 212 démarches administratives, sur les 250 présentées comme « essentielles à la vie quotidienne des Français », sont numérisées, selon le ministère de la Transformation publique. Cette opération, définie comme une « dématérialisation », risque de créer une rupture entre les usagers et les services publics, comme avait alerté le précédent Défenseur des droits.

La permanence mobile va dans les villages autour de Toul (Lorraine). Leurs habitants y viennent de plus en plus nombreux, surtout depuis la fermeture des centres des impôts.

La permanence mobile va dans les villages autour de Toul (Lorraine). Leurs habitants y viennent de plus en plus nombreux, surtout depuis la fermeture des centres des impôts.


Près d’un quart des Français (23 %) font face à un problème basique, rapporte l’Insee : ils ne possèdent ni ordinateur personnel ni tablette ; et un sur cinq ne dispose pas d’un abonnement internet. Impossible pour eux d’« aller sur Internet », comme ils y sont de plus en plus invités. De plus, 10 % de la population vit dans des zones blanches, principalement des zones rurales, où aucune infrastructure internet n’existe. C’est pour éviter que « les gens » soient précipités vers une « catastrophe en klaxonnant » que cet automne, depuis le plateau de France 2, Henriette Steinberg, secrétaire générale du Secours populaire, avait demandé au gouvernement « d’arrêter » la numérisation des services publics « à marche forcée ».

« Même si l’Etat et les administrations ne veulent pas communiquer sur la question, la disparition des guichets est effective. Une stratégie aurait pu consister à dématérialiser tout en gardant des guichets mais ce n’est pas cette voie qui a été choisie », souligne pour sa part le sociologue Pierre Mazet, spécialiste de l’accès aux droits dans les services publics qui alerte sur l’augmentation prévisible du non-recours : « Face à une interface numérique, on se décourage plus vite et on renonce à ses prestations. »

Déjà la Poste est assurée par le secrétariat de la mairie

En effet, cette « dématérialisation » loin d’ajouter une voie d’accès aux services publics s’accompagne, bien souvent, de la fermeture des guichets de proximité. « Je l’ai bien vu quand j’ai pris ma retraite. A la Sécu, on me disait ‘‘faîtes par Internet, c’est comme ça maintenant’’. Mais, j’ai insisté, insisté, pour obtenir un rendez-vous », relate Pascale, qui a fait carrière à La Poste et qui a vu, là aussi, les effectifs s’amenuiser et les bureaux fermer. Pour sa part, Christophe ne s’attendait pas à un démarrage aussi fort au retour des fêtes de Noël. Il n’arrête pas. Ce passionné d’informatique aide une trentaine de personnes sur plus de dix communes. « Mon emploi du temps va encore se remplir puisque trois centres des impôts viennent de fermer, début janvier, tout autour de Nancy, à Toul, Pont-à-Mousson et même Baccarat », à 80 km de là.

Les guichets ne ferment pas d’hier. Boucq n’a plus de bureau de Poste mais seulement une agence postale. Elle est tenue par le secrétaire de la mairie et n’ouvre que le matin. Même situation dix kilomètres plus loin, à Trondes, qui compte 200 habitants de plus. Dans le village, les murs lisses de l’église trapue, contre lesquels a été apposé un grand monument aux morts, tutoient le bâtiment IIIe République de la mairie, qui fait aussi office de Poste. En arrivant par la grande rue serpentine, Christophe passe sous les lignes téléphoniques qui zèbrent encore, de pylônes en pylônes, le ciel du gros bourg. Il se gare contre l’école maternelle, que domine le clocher. « J’ai deux rendez-vous mais des gens pourraient venir en voyant le minibus. »

« A un bout de la commune, on peut utiliser son téléphone mobile. A l’autre, on est en zone blanche »

« Installée comme ça, je peux poser toutes les questions que je veux, sans crainte d’être jugée », souligne la femme de 72 ans, qui reprend sa vie en main depuis le décès de son mari. « Regarde, Christophe, comme je t’ai dit, j’ai l’application pour consulter mon compte bancaire, la Sécu et les impôts, mais j’arrive même plus à envoyer un message alors j’attendais que tu viennes pour te montrer. Je n’ai touché à rien, j’ai trop peur de faire une fausse manœuvre. » Le verdict tombe rapidement : son téléphone est trop vieux et n’a pas assez de puissance de calcul pour opérer toutes les applications. « Là, je vérifie le réseau aussi, parce que la fibre internet arrive au village, mais à un bout de la commune on peut téléphoner avec son mobile alors qu’à l’autre c’est la zone blanche », déplore Christophe.

De l’autre côté de la rue, Laurence, 62 ans, ouvre la fenêtre du rez-de-chaussée pour saluer Christophe : « Je promène mon chien et j’arrive avec mon dossier », lance-t-elle, tout sourire, alors qu’un moteur diesel un peu poussif passe. Mais, c’est d’abord Chantal qui monte dans la permanence mobile. Elle s’assoit sur la banquette aménagée à l’arrière. Christophe a fait pivoter son fauteuil de conducteur et lui fait face, un ordinateur posé sur la table qui le sépare de son premier rendez-vous. La porte a été fermée, c’est un vrai petit cocon.

Christophe fait de la permanence mobile du Secours populaire un vrai cocon dans lequel Chantal est en confiance pour aborder ses difficultés pour faire des démarches administratives via le net.

Christophe fait de la permanence mobile du Secours populaire un vrai cocon dans lequel Chantal est en confiance pour aborder ses difficultés pour faire des démarches administratives via le net.


Ensemble, ils passent en revue une série de problèmes. La voix douce de Christophe installe une ambiance apaisante. Chantal compte bien acheter un ordinateur, « ça sera plus facile ». C’est une période de changement pour la septuagénaire qui apprend depuis peu à nager, « en cours individuels ». Soudain, Mauricette, cheveux au vent, frappe à la porte du véhicule. « J’ai un problème, j’aime bien faire des jeux sur ma tablette et regarder le replay de TF1. Mais tout se bloque et j’ai un message ‘‘mémoire insuffisante’’. Je peux venir tout à l’heure ? » Rendez-vous est pris pour dans une heure car pour le moment, c’est au tour de Laurence, qui a traversé la rue, emmitouflée dans une large polaire.

Elle prépare sa retraite, mais n’a pas d’ordinateur et son mobile, elle l’utilise pour téléphoner. Laurence est originaire de Gennevilliers en région parisienne. Elle y a été ouvrière dans l’aéronautique. « J’ai travaillé chez Dassault, après avoir soudé des circuits imprimés. » Laurence a suivi son ex-mari dans la région et profite désormais de son jardin où elle élève quelques poules. Christophe l’aide à remplir son dossier en ligne. Tous les deux scrutent l’écran d’ordinateur, elle coche au fur et à mesure les informations demandées, sous l’œil attentif du formateur, qui l’aiguille à intervalles réguliers. « Une heure déjà de passée, dit-elle en ajustant ses lunettes. On reprend rendez-vous pour le mois prochain alors ? » Le Solidaribus n’a pas fini de sillonner la campagne pour aider les laissés-pour-compte du numérique.

C’est pour éviter une « CATASTROPHE » qu’HENRIETTE STEINBERG, secrétaire générale du SECOURS POPULAIRE, a demandé au gouvernement « D’ARRETER » la numérisation des services publics « A MARCHE FORCEE »

Thématiques d’action

Campagne

Mots-clefs