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« Grâce aux réfugiés, je me sens habitante de la Terre »

Mis à jour le par import
Dans une des salles de classe du SPF de Perpignan.

« Petite souris », comme elle se décrit, Timéa, coordinatrice des cours de français au Secours populaire de Perpignan, n’en porte pas moins à bout de bras une centaine de demandeurs d’asile sur le chemin ardu des démarches administratives. Portrait d’une bénévole hors pair.

Perpignan, novembre 2018. Il est neuf heures du matin ; un ballet d’allées et venues anime déjà le rez-de-chaussée de l’immeuble occupé par le Secours populaire des Pyrénées-Orientales. C’est l’heure des cours de Français pour les étrangers (FLE). Les pas se pressent, les retardataires gagnent l’une ou l’autre des deux salles de classe, selon leur niveau. Entre deux « saluts » retentissants, Timéa, coordinatrice des cours de français et elle-même enseignante, s’entretient en aparté avec Lucile, l’une des 22 professeurs de FLE : « Les nouvelles sont mauvaises : la demande d’asile d’Abed a été rejetée. Il ne va pas bien. » Ce bref échange suffit pour saisir combien ce qui se joue dans ces locaux dépasse le simple apprentissage de la langue. Ici, la centaine de demandeurs d’asile reçus par le SPF sont arrimés comme à une planche de salut à la bienveillance de bénévoles inspirés dans cette mission par Timéa.

Ateliers socio-linguistiques

Difficile au premier regard d’imaginer derrière la frêle silhouette, « petite souris », comme elle se décrit, une volonté capable de porter à bout de bras des hommes et des femmes qui ont survécu à tant d’errance et d’épreuves. Timéa est malvoyante. Pourtant c’est avec une assurance et une efficacité déconcertantes que, à la faveur des ateliers socio-linguistiques, elle les guide dans les dédales de l’administration française. Avant de prendre en charge la coordination du pôle pédagogique, il y a cinq ans, Timéa était encore travailleuse sociale dans un CADA (Centre d’accueil de demandeurs d’asile). Elle donnait en même temps des cours d’alphabétisation à la « Fédé » , à raison de deux heures par semaine parmi une dizaine d’autres bénévoles dédiés au FLE (ils sont 22 aujourd’hui).

Début des cours. « Je m’appelle Saïd, je viens du Pakistan, je suis arrivé en France il y a deux ans, deux mois et cinq jours… » ; « Je suis en France depuis trois mois et demi… ; depuis un an, un mois et deux jours ». Dans la classe voisine, celle de Lucile, les « apprenants » débutants révisent le passé composé en déclinant leur identité et récitant le décompte précis des jours depuis leur arrivée en France.

Investissement affectif et émotionnel

Mali, Soudan, Burkina Faso, Pakistan, Niger, Afghanistan…les origines sont diverses, les profils singuliers, les statuts administratifs souvent indéchiffrables. Les uns sont en procédure de demande d’asile, les autres en ont été déboutés, d’autres sont en réexamen, d’autres encore en attente de titre de séjour ; il y a aussi les 40 mineurs isolés « en enquête » et dépendants de l’IDEA (Institut départemental de l’enfance et de l’adolescence) lié depuis quatre ans par un partenariat à la fédération. Aucune de ces subtilités n’échappe à Timéa dont le combat est de faire « que les gens qui viennent ici puissent être accompagnés dans leurs droits, que personne ne dorme dehors et que chacun ait la capacité de s’intégrer. »

Sa connaissance pointue en droit des étrangers lui vaut une reconnaissance dans les services administratifs qui n’hésitent pas à s’en remettre à elle pour le montage des dossiers. Et une réputation de « sauveuse » auprès des demandeurs d’asile dont elle rédige minutieusement les « récits de vie », pièces capitales des dossiers remis à l’OFPRA (Office français de protection des réfugiés et apatrides). Son plaisir est d’entraîner avec elle d’autres « petites fourmis », comme Sabine, convaincue qu’« on ne peut enseigner une langue sans un véritable investissement affectif et émotionnel. »

« Ils m’aident à mieux comprendre le monde dans lequel je vis »

« Timéa est incroyable, il n’y a pas de limite à son engagement, elle va toujours de l’avant », résume Aurélie Robic, présidente de la fédération des Pyrénées Orientales (voir tribune ci-contre). Dans sa classe, tantôt sérieuse, tantôt espiègle, Timéa écoute les apprenants, - elle les appelle les «copains» — dire leurs rêves, sans jamais, malgré le handicap visuel, se tromper sur leur identité. Des rêves qui renvoient tous au désir simple d’un travail. Et des papiers bien sûr. À Boubacar, qui veut devenir fonctionnaire de police, Timéa indique qu’il est nécessaire d’être français. Mais le rassure aussitôt : « Entre-temps, Il y a toujours des choses de possible. »

Pour le moment, tout projet reste suspendu au feu vert administratif. Les mineurs isolés de l’IDEA en sont ainsi réduits à attendre l’enquête qui devra justement statuer sur leur âge, à l’aide notamment de tests osseux. Ne pouvant  poursuivre d’études, ils attendent. Leurs activités au SPF, les cours de Timéa donnent une densité à leur quotidien. La jeune femme y trouve aussi son compte.« Grâce à eux, j’ai l’impression de mieux comprendre la planète dans laquelle je vis. Je reçois certes beaucoup de détresse humaine mais, en même temps, j’éprouve beaucoup de plaisir dans ce que je fais. Dans la rencontre des gens d’ailleurs, je comprends mieux ce qui fait de nous des êtres humains. Je me sens habitante de la Terre. »

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