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A Mulhouse, une permanence pour jeunes mamans isolées

Mis à jour le par Olivier Vilain
Samraé et son bébé arrivent d'Arménie, dépourvus de tout. Victoria et Josiane les accueillent à la permanence de Mulhouse pour les femmes sans ressources, souvent migrantes ou exilées.

Depuis mai dernier, les bénévoles ont créé à Mulhouse un accueil destiné aux migrantes et aux demandeuses d’asile, enceintes ou avec un bébé. Totalement démunies et souvent isolées, elles sont une trentaine à recevoir chaque mois un soutien précieux pendant leur grossesse, à risque de par leurs conditions de vie, et pendant les premiers mois de leur enfant.

Tout juste arrivée d’Arménie, Samraé a rendez-vous au Secours populaire à Mulhouse pour un accueil spécial « maman-bébé ». Elle est accueillie par Josiane et Victoria, qui lui donnent un colis « spécial nouveau-né » comprenant un gros paquet de couches-culottes, des tétines, un biberon, des vêtements d’hiver, du gel lavant et tous les produits lui permettant de prendre soin de son nourrisson. Sur les étagères en bois et dans les cubes de rangement verts, oranges, mauves qui les entourent, il y a de quoi faire des dizaines de colis de ce type. « Merci, c’est trop gentil », dit la demandeuse d’asile dans un français encore hésitant.

Les trois femmes font le point : « Votre enfant est malade ? » « Non », répond la mère de famille dans un sourire. « Vous voyez une assistante sociale ? » « Non... » L’équipe va donc la mettre en contact avec une professionnelle. Sur le plan médical, la petite famille est déjà suivie, pas besoin d’intervenir sur ce point. Pour l’inscription en ligne à la crèche, ça peut encore attendre… « On le fera ensemble. Ça vous fera un souci en moins », précise Josiane, aide-soignante à la retraite toujours de bonne humeur.

Les bénévoles reçoivent essentiellement des femmes sans-papiers, migrantes ou demandeuses d’asile

La jeune femme répond aux questions, puis raconte un peu son quotidien, ses difficultés. « Nous recevons essentiellement des sans-papiers, migrantes ou demandeuses d’asile. Certaines ont besoin de parler. Elles sont souvent seules à attendre que leur mari les rejoigne », explique Josiane, qui tient la permanence un jeudi sur deux tandis que sa complice Véronique s’en occupe tous les mardis après-midi. Elles ont reçu récemment une famille venant d’Afghanistan : « J’ai 40 ans et ça fait 40 ans qu’on est en guerre », a juste confié le père qui avait suivi ses études en France.  

Avant de recevoir son premier colis pour bébé, Samraé a monté un escalier abrupt avec son tout petit calé dans les bras. Au premier étage, elle est entrée dans une grande salle sous les combles. Une haute baie vitrée éclaire la charpente massive. Dans un coin, deux petites chaises monochromes moulées l’une dans un plastique orange, l’autre dans un bleu pétrole, ont été disposées autour d’un bac à jouets dont dépassent de petits livres en reliefs, des hochets ou des ballons gonflables. « Avec ça les enfants aussi sont bien accueillis », se réjouit Victoria, jeune salariée de 26 ans qui fait ses débuts au Secours populaire.

Enceinte de 5 mois, Fagueye se demande comment elle pourra s'occuper de ce petit garçon loin du Sénégal, tout en étudiant et en travaillant pour subvenir à leurs besoins.

Enceinte de 5 mois, Fagueye se demande comment elle pourra s’occuper de ce petit garçon loin du Sénégal, tout en étudiant et en travaillant pour subvenir à leurs besoins.


Elle assure l’accueil aujourd’hui en compagnie de Josiane, à l’origine en mai dernier avec Véronique, une autre bénévole, de cette permanence destinée aux femmes en situation de très grande précarité, enceintes ou qui élèvent un enfant de moins de deux ans. « L’ambition est de les accompagner durant les deux premières années de l’enfant », projette Josiane, fière d’apporter son énergie au Secours populaire depuis le confinement du printemps 2020 : « Moi aussi, j’ai été aidée avec mes enfants, quand j’habitais encore près de Nantes. Maintenant, c’est mon tour. »

Josiane et Victoria reçoivent autour d’une petite table ronde sur laquelle différents dossiers sont déjà ouverts. Une trentaine de femmes viennent à cet ‘‘accueil maternité’’ tous les mois. Celles-ci y sont dirigées par les associations d’aides aux migrants, les travailleuses sociales ou les centres de Protection maternelle et infantile (PMI). Au printemps dernier, les bénévoles avaient testé leur idée auprès des professionnelles de la PMI. Ces dernières se sont montrées enthousiastes car peu de dispositifs existent pour venir en aide à cette catégorie de femmes très vulnérables.

Les grossesses sont à risques faute de suivi médical et à cause d’un grand dénument économique

Le Secours populaire a une longue histoire avec les PMI. L’une de ses dirigeantes emblématiques, Jacqueline de Chambrun, a « créé en 1968 le premier centre de Protection maternelle et infantile (PMI) de Seine-Saint-Denis », devenu le plus important de France. « Très mobilisée sur le terrain des bidonvilles où se concentrent à l’époque les populations immigrées, elle milite aussi à partir des années 1970 en faveur de la contraception et de l’avortement (…). »

Samraé relate son périple jusqu’en France, ainsi que sa vie ici avec son mari et leur bébé. Arrivée en France le mois dernier, Samraé n’a, début octobre au moment du reportage, toujours pas de CMU puisque la loi impose depuis 2020 trois mois de carence aux demandeurs d’asile. « Rien, j’ai droit à rien », constate la mère. Avec la précarité sociale, les risques périnataux et maternels s’accroissent considérablement, comme le confirme un groupe de travail de l’Ecole des hautes études en santé publique, qui étudiait des migrantes enceintes dans l’agglomération de Rennes en 2014 : « Elles sont (…) confrontées à une précarité matérielle et économique importante, qui devient leur préoccupation majeure au détriment parfois de leur prise en charge médicale et notamment de leur suivi de grossesse. » Le manque de suivi ou la difficulté à se nourrir, l’impossibilité de se reposer, le stress permanent font que la grossesse peut déboucher sur des cas d’extrême prématurité, d’hypotrophie, d’anomalie congénitale, voire de mortalité (Libération, 03.02.20).

Victoria n'oublie jamais de glisser un doudou dans le colis "spécial bébé", qui est rempli des produits nécessaires aux soins des nouveaux-nés.

Victoria n’oublie jamais de glisser un doudou dans le colis « spécial bébé », qui est rempli des produits nécessaires aux soins des nouveaux-nés.


Les femmes reçues à Mulhouse ont des revenus qui ne dépassent pas deux euros par jour, « souvent c’est zéro euros, voire dans certains cas, c’est négatif : de l’ordre de moins 5 euros par jour », affirme Josiane, avant d’expliquer qu’elles doivent payer leur téléphone, manger, etc. « Pour tenir, elles puisent dans leur petit pécule, mais ça ne peut pas durer longtemps avec des prix qui n’ont rien voir avec ceux de leur pays. » Sans oublier leur loyer. Une fois que Fagueye a payé le sien (350 euros), il ne lui reste plus que 50 euros pour vivre. Arrivée du Sénégal le 16 août, elle suit les cours du master en économie circulaire à l’université.

Les produits distribués sont tous bio, fabriqués localement et sélectionnés pour leur grande qualité

Ses parents, mais aussi son mari, resté au pays avec leur fille de 3 ans, se démènent pour lui envoyer chaque mois un chèque, qui au final ne représente même pas un RSA. En plus, « c’est variable car mon mari est enseignant, cela paie très peu. Je ne sais pas comment je vais m’équiper pour accueillir mon garçon. » La jeune femme qui a l’âge de Victoria est, en effet, enceinte de 5 mois. Malgré ses études et sa grossesse, elle a postulé au resto U pour faire la plonge afin de stabiliser sa situation. De nombreux rapports produits par des associations confirment que les migrants constituent parmi les gens en détresse qui font appel aux associations la catégorie dont les revenus sont les plus faibles.

Après le départ de Samraé et de son nourrisson, les deux accueillantes arrangent les étagères colorées qui donnent l’impression d’être dans une maternité : savon pour bébé, coton, lingettes, couches ; mais aussi des produits pour les femmes (gel intime, serviette périodique, coussinets d’allaitement, gel pour éviter les crevasses aux tétons). Tout est naturel, local, de qualité. « Quand nous avons pensé cet accueil, l’un de nos critères était de donner les meilleurs produits possibles », rapporte Josiane. Victoria replie dans les grands cubes de rangement des turbulettes aux couleurs vives, des pyjamas avec des cœurs brodés sur les pantalons, de petits gilets tricotés par des mamies solidaires. Elle inspecte aussi la « boîte à doudous » où sont rangés des ours marionnettes, des lapins tricotés en blanc et bleu pastel, et même un petit nuage. « C’est doux, c’est chou, on a envie de plonger dedans », dit-elle.

« ça me soulage d’avoir des colis pour mon garçon, des vêtements », voire une poussette et un lit pour bébé

Tout est en ordre quand arrive Fagueye, foulard multicolore sur la tête et ventre arrondi, qui passe avant d’aller chercher de la nourriture à la distribution étudiante. « Ma situation me fatigue et me stresse. Je me pose beaucoup de questions en lien avec l’arrivée du bébé : comment je vais gérer les études ? Et… les dépenses ? » Les prix des poussettes et des lits pour bébés sont ce qui l’inquiète le plus. Josiane lui montre le stock mis en réserve dans un coin de la grande salle et la rassure : « On a pensé à tout. » En sortant, la jeune femme confie : « Ça me soulage beaucoup de savoir que je peux avoir des colis pour mon garçon, des vêtements et du matériel. »

Josiane comme Victoria sentent beaucoup d’amour chez ces femmes pour leurs enfants et beaucoup de force. « Ça les pousse à s’en sortir », souligne la plus jeune. Pour les aider encore plus, Josiane a le projet d’organiser des goûter et des sorties « afin que ces exilées nouent de nouveaux liens et qu’elles s’entraident », dit-elle en tournant son regard à travers la baie vitrée vers la cour où, en contrebas, un grand marronnier déploie ses branches comme d’immenses bras accueillant tous ceux qui en ont besoin.

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