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La faim, un fléau mondial

Mis à jour le par Olivier Vilain
Depuis le début du confinement, près d'une personne sur deux aidée par le Secours populaire en alimentaire n'était pas connu des bénévoles. Au total, l'association a fourni des colis d'urgence à 1,27 million de personnes.

Selon le Programme alimentaire mondial, 250 millions de personnes de plus souffriront de la faim cette année à cause de la crise sanitaire. Un signal d'alarme alors que le 15 juin est la Journée mondiale contre la faim. Partout, les associations accueillent des millions de personnes totalement dépourvues. Les bénévoles du Secours populaire sont très actifs dans cette crise et diversifient leurs sources d'approvisionnement afin de faire face à la hausse des besoins.

« Le mécanisme a prouvé, une fois de plus, qu’il constitue un filet de sécurité indispensable pour des millions de personnes et que ses stocks sont facilement mobilisables par les bénévoles en cas de crise », analyse Sébastien Thollot, responsable de l’aide alimentaire au Secours populaire. Les associations estiment qu’avec la crise économique en cours elles devront apporter de l’aide à 7 ou 8 millions de personnes cette année. Près d’une personne accueillie sur deux par le Secours populaire depuis la mi-mars venait pour la première fois.

Face au « tsunami » de la faim

Beaucoup de salariés ou d’indépendants ont été déstabilisés par l’arrêt forcé de toute activité. Avec le déconfinement, rien n’est revenu à la normale. Le nombre de chômeurs a bondi de 30 % depuis janvier dernier et de très nombreuses familles vont devoir se battre pendant de nombreux mois contre les impayés qui se sont accumulés et des ressources qui sont plus faibles et plus précaires.

Ayant utilisé massivement les denrées obtenues auprès de la solidarité européenne, les associations ont désormais besoin de reconstituer leurs stocks alimentaires car elles ne recevront qu’en septembre prochain les prochaines livraisons du FEAD (céréales, boîtes de conserve, salades de fruits, etc.). Au Secours populaire, de nombreuses fédérations consacrent une partie de leur trésorerie pour acheter les denrées qui leur manquent, sur une échelle inédite.

L'aide alimentaire est une porte d'entrée vers les associations et le début d'un parcours de réinsertion.

L’aide alimentaire est une porte d’entrée vers les associations et le début d’un parcours de réinsertion.

Alors que le FEAD a permis à des millions de personnes de continuer à manger, l’incertitude plane quand même sur son avenir et son budget de 550 millions d’euros par an. Il s’agit pourtant du seul mécanisme européen d’aides matérielles d’urgence (nourriture, vêtements, shampoings, etc.). Il allège, en temps normal, les souffrances des 15 millions d’Européens les plus pauvres et constitue une porte d’entrée vers la réinsertion, grâce aux associations chargées de distribuer cette aide. Celle-ci est indispensable. En France, la trentaine de références alimentaires qu’elle fournit (riz, conserves, lait, etc.) représente plus d’un repas sur trois distribué par le Secours populaire, les Banques alimentaires, les Restos du cœur et la Croix-Rouge. La pauvreté et la précarité se traduisent par des privations pour 25 % des gens, comme l’a révélé le Baromètre 2019 Ipsos /Secours populaire : « Un quart du panel limite ses repas pour passer la fin du mois et 59 % des plus précaires (moins de 1 200 euros par mois) ont du mal à faire 3 repas équilibrés par jour ».

Des craintes sur le maintien du FEAD

« Personne ne comprendrait, et surtout pas le Secours populaire, que le FEAD voie ses budgets réduits alors que dans le même temps l’Union européenne s’apprête à entériner une augmentation sans précédent de son budget de 750 milliards d’euros, dans le cadre des mesures de relance, prévient Sébastien Thollot, secrétaire national du Secours populaire. Dans ces conditions, nous attendons que les budgets sociaux soient eux aussi renforcés, y compris le FEAD. »

Le FEAD a été mis en place en 2014 à la demande de nombreuses associations. Il est lui-même le remplaçant du Programme d’aide aux plus démunis (PEAD) qui avait été maintenu jusque-là. Ce dernier avait fini par être créé par la Commission européenne en 1987 après des années de mobilisation du monde associatif, dont le Secours populaire, en faveur de la distribution des surplus de la Politique agricole commune (PAC). « Alors que le chômage se développait, les associations se mobilisaient depuis les années 1970 pour que les énormes surplus de la PAC soient redistribués, plutôt que d’inonder les pays du Tiers-Monde avec des denrées à prix cassé qui ravageaient l’agriculture locale », se rappelle Menotti Bottazzi, membre du Secours populaire, qui fut impliqué à Bruxelles dans la création du PEAD.

Manifestation à Bruxelles du mouvement Air Food soutenu par le SPF  pour s’opposer à  l’arrêt du Programme européen d'aide aux plus démunis (PEAD) qui permet à 18 millions d'Européens de se nourrir.

Air Food à Bruxelles soutenu par le SPF pour s’opposer à l’arrêt du Programme européen d’aide aux plus démunis (PEAD) qui permet à 18 millions d’Européens de se nourrir.

En 2011, une minorité de pays emmenée par l’Allemagne a obtenu l’interdiction par la Cour de justice de l’Union européenne de toute intervention financière de la Commission européenne en faveur du  dispositif d’aide « aux plus démunis », afin de compenser la baisse des stocks alimentaires apportés par les surplus de la Politique agricole commune. Le PEAD était donc grippé, mais c’est l’année suivante qu’un accord entre le ministre allemand de l’Agriculture et son homologue français, Bruno Lemaire, signa la fin de tout mécanisme européen d’aide alimentaire.

Deux ans d’efforts supplémentaires

Les associations de solidarité, dont le Secours populaire, ont alors organisé dans toute la France la campagne des Air Food, des réunions publiques où les participants mimaient des repas avec des assiettes vides. Ces Air Food ont été menés dans toutes les grandes villes de France, en particulier à Paris devant l’Assemblée nationale et sur le parvis des Droits de l’Homme au Trocadéro. Des images fortes qui frappèrent les esprits. Il fallut néanmoins près de deux ans de mobilisation pour obtenir la création, au 1er janvier 2014, du Fonds européen d’aide aux plus démunis (FEAD), dont les objectifs dépassaient désormais le strict champ alimentaire, avec un budget resté toutefois inchangé, contrairement aux demandes des associations.

Depuis sept ans, le mécanisme fonctionne. Mais des nuages s’accumulent à nouveau au-dessus du FEAD depuis le Brexit, c’est-à-dire le retrait de l’UE d’un pays contributeur net au budget européen. Ces dernières années, les négociations portant sur le premier budget européen sans le Royaume-Uni, qui devrait courir de 2021 à 2027, se sont dès l’origine mal orientées.

Les ateliers cuisine, ici avec le chef Thierry Marx, sont un moment d'échanges. Ils permettent aussi d'apprendre à utiliser les produits du FEAD.

Les ateliers cuisine, ici avec le chef Thierry Marx, sont des moments d’échange qui permettent d’apprendre à utiliser les produits du FEAD.

Les gouvernements et les chefs d’État de l’Union européenne s’apprêtent à faire disparaitre le FEAD, en dépit de l’aide qu’il apporte aux 15 millions d’Européens les plus pauvres. Pour le moment, le scénario sur lequel travaillent les pays membres est l’absorption du FEAD par les Fonds sociaux européens, qui eux-mêmes seraient dissous dans une grande enveloppe destinée à l’aménagement du territoire. Parallèlement à ce jeu de poupées russes, l’enveloppe globale de 3,5 milliards du FEAD serait amputée de moitié sur les sept années à venir.

Pas moins de 21 associations de solidarité à travers le continent ont fait part de leur incompréhension : comment justifier que la zone la plus riche du globe supprime son seul outil d’insertion des plus vulnérables (chômeurs, allocataires d’aides sociales, retraités pauvres, femmes élevant seules des enfants, etc.) ?

Mobilisations régulières des associations

Le Secours populaire français, les Banques alimentaires, les Restos du cœur et la Croix-Rouge française ont participé à cet appel. Les associations qui opèrent avec le FEAD en France avaient déjà fait part de leur inquiétude l’année dernière concernant la survie du fonds qui leur fournit plus d’un tiers des repas qu’elles distribuent à 5,5 millions d’hommes, de femmes et d’enfants. Ce mécanisme joue un rôle important contre la pauvreté infantile, puisque 42 % des personnes aidées par le Secours populaire sont mineures.

« Une telle fusion entre les différents fonds signerait tout simplement l’utilisation des fonds sociaux au profit de la construction d’infrastructures, de routes, de coulées de béton », s’était alors alarmée Élisabeth Morin, eurodéputée du PPE (droite), au cours d’une conférence où les principaux groupes du Parlement européen avaient affiché leur soutien au FEAD. « La mission de l’Union européenne est d’assurer la participation de tous à la vie sociale, notamment en favorisant des niveaux de vie suffisants », rappelle Sébastien Thollot, responsable de l’aide alimentaire au Secours populaire. Il est nécessaire parfois de le rappeler…

En 2012, les quatre associations françaises qui distribuent l'aide alimentaire européenne ont tenu des manifestations pour exiger son  maintien.

En 2012, les quatre associations françaises qui distribuent l’aide alimentaire européenne ont tenu des manifestations pour exiger son maintien.


ENCADRE

Vie et mort des surplus agricoles européens

La PAC a été conçue dans les années 1960 avec l’objectif de rendre le continent autosuffisant sur le plan alimentaire. Cet effort a rapidement conduit à des surproductions régulières. Pendant une quinzaine d’années, le PEAD a redistribué des quantités industrielles de beurre, de viande ou de sucre provenant des stocks européens et a fourni jusqu’à la fin des tonnes d’orge et de poudre de lait. Ces denrées brutes étaient réparties entre 20 pays participant au programme, en fonction des demandes d’aide alimentaire que chaque gouvernement faisait remonter à Bruxelles, après consultation des associations.

 

Dans l’Hexagone, cette matière première était centralisée par FranceAgriMer, un établissement public dépendant du ministère de l’Agriculture. Il passait des appels d’offre auprès de nombreuses entreprises agroalimentaires pour qu’elles fournissent, en échange de ces matières premières, des tonnes de semoule, de farine, de conserves, de plats préparés et toute une gamme des produits laitiers.
 
Mais les réformes de la PAC se sont enchaînées. Et à chaque fois les surplus ont fondu, devenant très insuffisants pour le PEAD à partir du milieu des années 2000 – à la satisfaction de la poignée de pays réunis autour de l’Allemagne qui voulaient supprimer le PEAD. Ils voyaient ce dernier comme un outil de politique sociale, relevant donc des choix de chaque État mais en aucun cas des compétences de l’Union européenne. C’est pourquoi les grandes associations ont lancé leur premier appel en faveur du maintien du PEAD en 2005.
 
Au début des années 2000, plusieurs États ont obtenu que la Commission européenne achète directement sur les marchés agricoles des matières premières pour compléter les maigres stocks de la PAC servant à une aide alimentaire « devenue vitale pour des millions d’Européens ».

 

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