Accompagner

  • Aide alimentaire

La campagne, pas toujours un pays de Cocagne

Mis à jour le par Olivier Vilain
Après 40 minutes de trajet, le camion du Secours populaire venu de la métropole d'Angers arrive au club de pétanque de Longué-Jumelle. Les bénévoles s'activent pour organiser le libre-service alimentaire.

DOSSIER. C’est encore plus dur d’être pauvre à la campagne, loin des emplois, des services publics. Tel est l’axe de ce dossier qui offre une analyse de la pauvreté que le Secours populaire constate dans les zones rurales. Au cours d’un reportage en Anjou, on suit des bénévoles qui installent un libre-service alimentaire tous les 15 jours dans un club de pétanque. Un agriculteur solidaire du Sud-Ouest témoigne et un géographe, qui a étudié les préjugés qui frappent les campagnes, nous fait part de sa parole d'expert.

1* REPORTAGE

Extrême pauvreté « au pays des fraises et des asperges »

Le Maine-et-Loire a beau être le département le plus égalitaire de France, dans les zones rurales la hausse des prix fait des ravages et les emplois sont éloignés. Les bénévoles se rendent à Longué pour soulager des habitants dont les revenus sont très faibles et qui paient bien souvent dans leur corps une vie de labeur et de privation.

Dans la région d’Angers, les bénévoles ont mis sur pied des permanences d’accueil mobile qui desservent, tous les 15 jours, « trois bourgades », des communes rurales de l’est (Longué-Jumelle) et du nord (Châteauneuf-sur-Sarthe, Noyant-la-Grandoyère) du Maine-et-Loire. A chaque fois, une salle est mise à disposition pour la journée par des associations locales ou la mairie.

Il s’agit d’une variante par rapport aux traditionnels Solidaribus du Secours populaire, ces camionnettes qui sillonnent les zones où l’association n’a pas de permanences fixes. « Dès le départ, il y a dix ans, nous avons décidé de ne pas stationner, au vu et au su de tous, toute la journée sur la place principale du bourg avec notre grosse camionnette siglée du logo à la main ailée du Secours », rappelle Philippe Dusanter, l’un des responsables de ces permanences d’un type particulier qui entrainent plus de manutention, mais assurent une plus grande discrétion. « Il y a un grand poids des relations interpersonnelles dans le milieu rural car tout le monde se connait », rappelle Gatien Elie, géographe. « Ça permet aussi la disposition d’un vrai libre-service dans lequel les personnes aidées font leurs courses, à tout petit prix », ajoute Régine Thala, responsable de l’équipe de Longué-Jumelle, à 30 km de Saumur, au cœur du Beaugeois, le pays de la fraise et de l’asperge.

Ces trois zones se détachent dans le département par l’ampleur des besoins et l’absence d’associations. « On attend entre 25 et 30 familles, comme à chaque fois », observe Régine. A Longué, près de Saumur, le nombre de personnes franchissant le seuil des permanences a doublé depuis l’année dernière. « On est revenu sur les niveaux record des confinements de 2020. On est même un peu plus haut parce que tout devient cher, les gens n’y arrivent plus avec la hausse récente du gaz, de l’électricité, de l’essence, de la nourriture. » Même les 4 euros de participation, les gens ont du mal « quand c’est en début de mois ». Ils vivent à flux tendu. Se pressent beaucoup de familles, de retraités du secteur agricole avec de toutes petites pensions, des femmes seules avec enfants, des cinquantenaires peu formés, des jeunes qui reviennent au libre-service alimentaire entre deux saisons de maraîchage, des femmes seules pas tout à fait à la retraite qui sont venues s’installer ici alors qu’il est « très dur de trouver du boulot » dans la localité…

Des tables sont dressées sur la piste de pétanque. Au mur, les affiches racontent les exploits des sportifs. Dans cette ambiance, les discussions vont bon train.

Des tables sont dressées sur la piste de pétanque. Au mur, les affiches racontent les exploits des sportifs. Dans cette ambiance, les discussions vont bon train.


A la centrale de collectage du Secours populaire à Angers, située derrière l’enseigne Carrefour du quartier Saint-Serge le long de la Maine, Lucas, retraité, charge dans la bonne humeur le camion en partance dans le Beaugeois, au côté de Guy et Régine. Pour se rendre à Longué, il faut suivre la départementale, en regardant défiler les toits en ardoise pendant 40 minutes, traverser des hameaux entourés par les serres des pépinières. En tout et pour tout, l’équipe dépasse un petit garage, une pompe à essence, un restaurant en bord de route et un supermarché. A l’entrée de Longué, le camion tourne après l’usine du suédois Assa Abloy, dont les 250 salariés produisent des poignées et des butées de portes. Puis, en passant devant l’école maternelle Victor Hugo, construite à la fin des années 1930, Guy oblique sur la droite.

Là, Béatrice, Annie, Dominique, Guilaine et Jean-François attendent devant les murs à la chaux du club de pétanque Paul Biet. Tout est installé en un clin d’œil sur la piste de pétanque en gravier ou devant la buvette, pas loin des coupures de presse et des photos qui narrent les exploits sportifs de l’équipe de boulistes. Une institution locale. Dominique dispose les cagettes de patates, de topinambours, de choux bien verts. « Les carottes un peu défraichies, on les met de côté. C’est pour les poules. »

Une fois un café pris en discutant, les bénévoles ouvrent les portes du libre-service. Y a la queue aux conserves. Béatrice demande quel pain ferait plaisir à la dame qui lui fait face. Habitant depuis toujours à Longué, Cécile est accueillie par un grand sourire d’Annie. Elles font le tour du libre-service. « Avant, j’arrivais à faire un peu de courses, dit la femme de 42 ans qui ne peut plus travailler depuis 4 ans. J’y vais seulement pour acheter du papier toilette, des choses comme ça en dépannage, mais je n’ai pas pris de chariot depuis le Covid-19. » Avec les 537 euros de l’ASS, destinée aux chômeurs et chômeuses de longue durée, elle est obligée de se restreindre. Sa fille de 9 ans devant suivre un régime strict, sa mère lui laisse volontiers les beaux légumes du Secours populaire pour se contenter de pâtes les derniers jours avant le prochain libre-service. Ce qui lui manque le plus, c’est la viande, même si les bénévoles proposent du poulet, des poissons, des oeufs.

La région des Pays-de-la-Loire est la plus égalitaire de France. Néanmoins, la pauvreté est présente dans les banlieues des métropoles et dans certaines zones rurales, comme l'est et le nord du Maine-et-Loire (en rouge foncé).

La région des Pays-de-la-Loire est la plus égalitaire de France. Néanmoins, la pauvreté est présente dans les banlieues des métropoles et dans certaines zones rurales, comme l’est et le nord du Maine-et-Loire (en rouge foncé).


Pour Tiphaine, c’est pareil. La jeune femme de 25 ans arrive à faire quelques courses, « des stocks de pâtes, de riz, de farine, mais la viande c’est impossible ». Elle vient au Secours populaire depuis quelques mois. Elle a dû abandonner son métier de poissonnière ambulante il y a six mois. « Les gens n’ont plus les moyens alors mes recettes ont chuté jusqu’au point de ne plus couvrir mes 1000 euros de diesel par mois. Ma camionnette consommait, entre les kilomètres parcourus et l’alimentation des congélateurs pour maintenir les poissons au frais. »

En attendant de percevoir ses allocations chômage, elle ne touche que ses allocations familiales : « Le Secours populaire représentait au début une aide pour boucler le budget. Maintenant, c’est devenu une obligation avec la hausse des prix, en plus avec EDF qui vient d’augmenter ses prix en début d’année. Le chauffage à 200 euros par mois pour deux même dans une maison neuve, c’est dur. » La jeune mère d’un garçon de 3 ans cherche à ouvrir une friperie dans un petit village à côté, « où il n’y a même pas d’épicerie ». « Pour travailler, tout de suite, il faut aller à Saumur ou sur Angers. Avec la circulation, les frais d’essence et l’entretien de la voiture, tout de suite ça devient inintéressant. Donc il faut trouver quelque chose à proximité. »

« J’ai dû repousser un emploi car les deux heures et demi de ménage ne me payaient pas l’essence nécessaire pour faire les 40 km de trajets », explique Cécile qui est obligée, elle, d’aller à Saumur. Sa fille ainée de 23 ans y vit ; c’est sa seule sortie. Et, surtout, sa fille cadette doit y aller se faire soigner régulièrement. « Ça représente des dépenses en essence. Tout ça, c’est du stress. »

Ce sourire, c'est celui qui apparait sur le visage de Dominique à chaque fois qu'une nouvelle personne vient chercher des légumes à Longué. Il écoute, conseille, et remplis à pleine poignées les sacs qu'on lui tend. Le sourire aux lèvres.

Ce sourire, c’est celui qui apparait sur le visage de Dominique à chaque fois qu’une nouvelle personne vient chercher des légumes à Longué. Il écoute, conseille, et remplis à pleine poignées les sacs qu’on lui tend. Le sourire aux lèvres.


Né à une dizaine de kilomètre, Jean-Pierre, 63 ans et casquette sur la tête, a renoncé à voir ses amis qui habitent autour de Longué. « Je n’ai pas assez d’argent pour l’essence avec ma pension agricole de 800 euros et quelques. Déjà, je ne fais aucune course, j’ai pas le choix. » Et la famille, « on se rend des petits coups de main, mais moins on demande, mieux ça vaut. Ils préfèrent que je vienne ici. » De temps en temps, comme les prix n’arrêtent pas d’augmenter, il se demande s’il ne pourrait pas travailler. Mais il a des vertiges quand il se baisse. « J’ai fait toutes les saisons haricots, pommes, poires, asperges. » Il fallait se baisser. Et, la nuit il souffre des genoux, « oh mon dieu », même s’il a été opéré. « A la fin de ma carrière, je travaillais dans le service des eaux, j’étais tout le temps à genoux. » Il abandonne donc son idée et « après tout la retraite, normalement c’est quand même fait pour en profiter un peu. »

La retraite, ce ne sera pas à Longué pour Cécile. Pour elle, la solution à sa situation passe par la recherche d’un HLM à Saumur. « Je pourrais travailler plus facilement et pour la santé de Maelys aussi ce sera plus simple. »

 



2* TEMOIGNAGE

« C’est une aventure humaine et on fait des heureux »

Sébastien Fumeron est éleveur à Saint-Pierre-la-Noue (Charente-Maritime) et président du magasin de producteurs Panier de nos campagnes. Depuis octobre dernier, il a convaincu les producteurs agricoles d’apporter leurs denrées d’exception à des prix abordables pour les personnes aidées par le Secours populaire de La Rochelle ; et ce, même si ces agriculteurs ont eux aussi de petits revenus.

"Un cuisinier réalise des soupes sur place, à partir des légumes que nous mettons gratuitement à disposition. Les gens repartent avec des litres d’une soupe savoureuse." Sébastien Fumeron, éleveur solidaire et président du Panier de nos campagnes.

.

« Parmi les agriculteurs, les revenus sont loin d’être décents pour tous. Mais le circuit court qu’offre notre magasin de producteurs, Panier de nos campagnes, près de La Rochelle, a permis de créer entre 25 et 30 emplois, avec des salaires corrects pour le secteur de l’agroalimentaire. Parmi les producteurs, les revenus sont bien en-dessous du SMIC. D’autant que les volumes de ventes en magasins ont connu une forte diminution après le Covid. Avant même que l’inflation n’entame le pouvoir d’achat, les clients se sont largement tournés vers la livraison. Néanmoins, la chambre d’agriculture nous a mis en contact avec le Secours populaire, l’été dernier.

Nous nous sommes entendus avec les représentantes de l’association. L’idée était de monter des marchés de produits de qualité, provenant directement des producteurs locaux et qui seraient accessibles aux personnes ayant recours à l’aide alimentaire. Hors de question de fournir des produits proches de leur date limite de consommation. Depuis le mois d’octobre, nous organisons un marché par mois dans le local du Secours populaire. Nous apportons des produits que les gens n’y ont sûrement jamais vu : des salades ultra-fraîches, qui tiennent huit jours, à 1 euro ; des noix en direct des exploitations, des figues que l’on ne trouve pas sur les étals ; des poulets entiers, etc.

Il y a à chaque fois beaucoup de monde, environ 150 personnes. Les légumes sont en libre-service, moyennant une petite participation. Nous amenons à chaque fois un cadeau de saison, comme du potimarron en automne. Les bénévoles font venir un cuisinier qui réalise des soupes sur place à partir des légumes que nous mettons gratuitement à disposition. Les gens repartent avec des litres d’une soupe savoureuse. On a découvert le Secours populaire et de super contacts. C’est une aventure humaine et on fait des heureux. »

 



3* ANALYSE

A la campagne, la misère est plus dure

Environ 11 millions de personnes vivent loin des zones urbaines denses et des métropoles. Si les dynamiques sont très différentes d’une zone à l’autre, les relevés des bénévoles montrent que toute une population perd plus ou moins pied, alors que les prix flambent et que les services publics se retirent. Etre pauvre à la campagne peut souvent être plus dur que dans un HLM, surtout pour les parents, seuls ou en couple, avec de jeunes enfants.

« Les factures, on les met de côté quand on est dans le rouge, c’est stressant mais on n’a pas le choix avec l’augmentation des prix. On paie en priorité les assurances pour les voitures, l’EDF, l’eau… », commente Laëtitia, agricultrice en Bretagne et femme d’agriculteur. Avec des revenus inférieurs à « un smic pour deux », la famille ressent fortement la hausse des prix, qui a débuté en 2021. En attendant des mois que le « RSA se débloque », elle a fini par aller chercher de la nourriture au Secours populaire le plus proche de sa ferme. « On a aussi attendu les chèques cadeaux de la Mutuelle sociale agricole pour acheter des vêtements » à ses cinq enfants. 

Moins souvent sous les projecteurs de la presse que les quartiers populaires des villes, les zones rurales sont pourtant largement composées d’ouvriers et d’employées, souvent peu diplômées. Dans les zones rurales, les familles paysannes sont largement marginalisées, n’y représentant que 5 % de la population. Ce que confirme Régis Tiret, bénévole dans les Côtes-d’Armor : « On accueille de plus en plus de monde, ça augmente régulièrement. Ce sont beaucoup de salariés avec des petits revenus, ou des petites retraites, qui n’arrivent plus à s’en sortir. »

A Oizé, dans le Sarthe, des agriculteurs solidaires autorisent le glanage par les personnes aidées par le Secours populaire. Le monde rural souffre mais reste solidaire.

A Oizé, dans le Sarthe, des agriculteurs solidaires autorisent le glanage par les personnes aidées par le Secours populaire. Le monde rural souffre mais reste solidaire.


S’il faut se garder des jugements définitifs et globalisants, être pauvre à la campagne apparaît assez rapidement comme encore plus dur qu’ailleurs, en tout cas pour certaines catégories de personnes comme les jeunes couples avec enfants. C’est ce qu’a montré l’étude « Budgets de référence, budgets décents » du Conseil national des politiques de lutte contre la pauvreté et l’exclusion sociale (CNLE) : « Vivre ‘‘décemment mais sans luxe’’ dans une commune rurale suppose de prévoir un budget conséquent pour les transports, l’équipement du logement et les frais de garde pour les familles avec de jeunes enfants. »

L’un des problèmes est la désertification médicale, comme dans la Creuse. « J’en sais quelque chose : je suis l’ancien président de l’Ordre des médecins de la Creuse », révèle Michel, qui a remis sa blouse blanche pour tenir le relais santé du Secours populaire à Guéret. « Certains habitants ont leur généraliste dans le département d’à-côté, la Haute-Vienne. » Les spécialistes sont encore plus rares. Pour un oto-rhino-laryngologiste, c’est d’emblée Limoges ou Montluçon. Il n’y a plus non plus de pédiatre à Guéret. « Limoges est quand même à 100 km. » Michel rappelle que pour les personnes des catégories populaires se déplacer, planifier, rend leur vie plus difficile. « Alors qu’elles rencontrent déjà des difficultés fortes, de santé ou socio-économiques », analyse Michel.

Toutefois, il faut se méfier des stéréotypes, positifs ou négatifs, que véhiculent la plupart des discours publics sur l’univers de la ruralité. « Les zones rurales ne se ressemblent pas toutes. Certaines sont en plein dynamisme, d’autres subissent un déclassement », indique Gatien Elie, géographe qui a travaillé sur la pauvreté dans les espaces ruraux. « Et en changeant de perspective, on ne peut pas non plus expliquer les trajectoires des familles, ascendantes ou descendantes, par le seul fait qu’elles habitent là. Dans la même aire géographique, certaines vont bien vivre, au contraire de leurs voisines, car elles savent tirer parti des ressources locales et disposent d’un réseau de connaissances et d’entraides. Ces modalités impliquent des vécus totalement différents de la pauvreté. »

Bénévoles, Jean-François est à la retraite, après avoir travaillé dans le secteur agricole (les champignons, la nourriture pour animaux). Il pose devant les caisses réfrigérantes où son stockés les poulets qui sont très demandés.

Bénévoles, Jean-François est à la retraite, après avoir travaillé dans le secteur agricole (les champignons, la nourriture pour animaux). Il pose devant les caisses réfrigérantes où sont stockés les poulets qui sont très demandés.


Dans la région montagneuse de Die, dans la Drôme, le nombre de personnes aidées par le Secours populaire dans cette petite ville, entourée de plein de villages, « a grimpé de 20 % en 2022 », calcule Guy Anton, son secrétaire général. A l’image de Die, plusieurs associations montrent que les zones rurales sont, sur le plan national, parmi celles qui voient les demandes d’aide augmenter le plus. Une situation qui a poussé l’Union nationale des caisses centrales d’actions sociales (UNCCAS) à tirer la sonnette d’alarme, début mars : « Après l’explosion des factures d’énergie, nos concitoyens ne pourront bientôt plus [faire] face à l’explosion des prix des produits alimentaires (+14,5% sur un an) ». Résultat, les CCAS et les associations voient arriver un nombre croissant de personnes en difficulté.

Die est à une heure de route de la métropole de Valence ou de Gap, le chef-lieu des Hautes-Alpes. Comme de multiples zones rurales, le Diois est isolé : loin des services publics, car ils se retirent de plus en plus, les villages sont de plus en plus loin des autres facilités de la ville, notamment les divertissements, les services de la petite enfance… Et dans des villes comme Segré, dans le nord de l’Anjou, les habitants voient les emplois locaux se raréfier. « A l’échelle locale, c’est un gros pôle d’emplois mais qui souffre du recul de ses petites industries ces dernières années », depuis que les effets de la crise financière apparue en 2007 se sont fait sentir, relève Nathalie Cloarec, cheffe du service Etudes et diffusion à l’INSEE des Pays-de-la-Loire.

Cette désindustrialisation affecte de nombreuses zones rurales, comme Ganges aux pieds des Cévennes. « Dans ses bassins d’emplois sinistrés, les seules possibilités d’emploi se trouvent être dans les soins à la personne ou dans les emplois publics, comme la cantine de l’école, etc. », relève Gatien Elie. Des postes peu payés, parfois intermittents. Pour les autres, il faut aller chercher du travail à plusieurs dizaines de kilomètres, vers les zones urbaines. Ces déplacements se traduisent par l’obligation de payer beaucoup d’essence, car les transports collectifs ne sont pas assez développés, ou ne fonctionnent que durant la période scolaire ; voire se rétractent dans le cas du rail.

A Guéret, les habitants ont du mal à trouver des médecins. C'est encore plus le cas pour les spécialistes. Ils faut payer l'essence pour aller consulter dans les départements limitrophes.

A Guéret, les habitants ont du mal à trouver des médecins. C’est encore plus le cas pour les spécialistes. Ils faut payer l’essence pour aller consulter dans les départements limitrophes.


Le coût de l’énergie est d’autant plus élevé pour ces ménages que souvent l’habitat est ancien et mal isolé : il est donc cher à entretenir et très gourmand en énergie. Des contraintes qui entament largement l’avantage des loyers pas chers que les personnes vivant grâce à la perception d’aides sociales sont parfois allés chercher à la campagne. « L’augmentation des prix, on la sent, c’est clair. En 2021, le plein de gasoil pour ma voiture, c’était environ 70 euros le plein. Maintenant, c’est 100 euros mais je n’ai pas le choix : je dois aller au travail, emmener les enfants ; les plus grands au bus qui les conduit au lycée et je dois déposer la plus petite à l’école », souligne Laëtitia, en Bretagne.

Les associations comme le Secours populaire sont souvent le dernier recours pour ces familles. L’association tient des permanences dans un grand réseau de communes et a la volonté d’aller au contact des zones dans lesquelles elle n’est pas implantée. C’est pourquoi depuis une quinzaine d’années, 37 permanences mobiles circulent aussi bien dans l’Hérault qu’en Lorraine, dans la vallée de la Loire ou la Haute-Vienne. Ce dernier département est même celui qui a lancé le mouvement et, aujourd’hui, 18 nouvelles permanences mobiles sont en projet. Les équipes commencent par distribuer de l’aide alimentaire. Au fil du temps, l’offre s’étoffe pour répondre aux problématiques plus larges (relais santé mobiles puis des Solidaribus numériques dans les zones blanches comme du côté de Nancy où la dématérialisation créée de nouvelles souffrances et une inégalité d’accès aux services publics.

Les bénévoles s’adaptent aux situation qu’ils rencontrent localement. En zone rurale, encore plus qu’ailleurs, les gens ont du mal à aller chercher de l’aide du fait des effets de réputation. Ils sont souvent en marge de la société salariale classique et de l’Etat social traditionnel. Dans ce contexte, apporter la solidarité n’est pas toujours simple, comme l’illustre la Lozère. « Quand on passait dans les hameaux isolés avec un gros logo du Secours populaire sur la camionnette, personne ne venait à notre rencontre », se rappelle Jean-Pierre Kircher, son secrétaire général. Du coup, les bénévoles ont mis fin à cette forme d’aide et réfléchissent à une autre manière d’apporter du secours. Une piste pourrait être de s’appuyer sur des associations locales (sportive, culturelle, etc.) et des salles municipales, plus discrètes.

Près de Clermont-Ferrand, bénévoles et personnes aidées ont créé un jardin solidaire et mettent ainsi à profit les ressources naturelle pour améliorer leurs conditions de vie. Une partie des fruits et légumes est reversée au libre-service alimentaire.

Près de Clermont-Ferrand, bénévoles et personnes aidées ont créé un jardin solidaire et mettent ainsi à profit les ressources naturelle pour améliorer leurs conditions de vie. Une partie des fruits et légumes est reversée au libre-service alimentaire.


Ce comportement d’évitement, en dépit des difficultés, parfois intenses, se retrouve partout, jusque et y compris dans la grande banlieue parisienne, dans les villages du Vexin. Ainsi, après le premier confinement, les bénévoles du Val-d’Oise enregistraient une forte hausse des demandes d’aides, sauf dans les zones rurales du Vexin, par peur de la mauvaise réputation. Pour contrer cet effet, les bénévoles en Anjou ont coupé la poire en deux : ils viennent avec leur camionnette chargée de denrées alimentaires, mais s’installent tous les 15 jours dans des salles municipales de l’est et du nord du département. « C’est plus discret et nous recevons, avec la montée des prix, encore plus de gens en général que durant le confinement du printemps 2020. Aussi bien des saisonniers, que d’anciens ouvriers agricoles désormais à la retraite, ou des femmes seules, peu diplômées, qui ne trouvent plus de travail mais qui n’ont pas encore l’âge de partir à la retraite », remarque Philippe Dusanter. Dans les circonstances actuelles, la présence des bénévoles est de plus en plus indispensable pour une partie de la population rurale.

Le monde rural ne fait pas que demander de l’aide, comme l’a montré la période de confinement avec des rapprochements entre des producteurs locaux et les Secours populaire. On trouve des réalisations de ce types avec les jardins partagés près de Clermont-Ferrand ou les marchés populaires de La Rochelle. Dans le Saumurois, le Secours populaire a pu continuer à apporter des denrées alimentaires dans des bourgs isolés grâce au dévouement de bénévoles habitant sur place et au soutien du club de pétanque, une véritable institution. Un engagement d’autant plus nécessaire dans le mouvement actuel de retrait des services publics, même s’il n’a pas vocation à s’y substituer.

 



4* PAROLE D’EXPERT

« Les mondes ruraux sont des univers très fragmentés »

Gatien Elie, géographe et professeur en lycée

« Il est important de repérer, pour les écarter, les représentations fausses, les fantasmes qui sont le plus souvent appliqués au monde rural… Ce dernier est le plus souvent tiraillé entre deux visions opposées : la première est idéalisée. Selon elle, il n’y aurait pas de conflits ou de problèmes sociaux, grâce à l’abondance prodiguée par la nature. La seconde en est l’image inverse, celle du « rural profond », arriéré, qui serait loin de tout.

Dans les deux cas, il s’agit de visions déterministes de la géographie : ce serait l’espace, ici rural, qui déterminerait exclusivement les trajectoires et les conditions de vie de ses habitants. Alors qu’en fait, les zones rurales sont très différentes les unes des autres. Il y a celles qui attirent, qui gagnent des emplois, et puis il y a les autres. Quand on les étudie, comme le fait Gilles Laferté de l’Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement (INRAE), ce sont des univers très fragmentés, avec une bourgeoisie locale, qui possède les terres, un capital économique important et un mode de vie proche de son homologue urbaine. Tout ceci est radicalement différent du quotidien des milieux populaires qui peuplent très largement les espaces ruraux.

Ces habitants massivement ouvriers et employés disposent, eux-mêmes, de manière très inégale ce que la sociologie appelle des « capitaux », c’est-à-dire des caractéristiques, des dispositions, des savoir-faire, comme celle par exemple de savoir ou non tirer parti de l’espace dans lequel ils vivent, soit par le fait qu’ils ont un réseau de connaissances avec lequel mettre en place des pratiques d’entraide. Il peut s’agir aussi de la capacité de repérer les ressources disponibles, comme le maraîchage, etc.

L'équipe de bénévoles met un soin particulier sur l'accueil et sur l'écoute des personnes en difficulté. L'ambiance est détendue. Des liens se tissent entre bénévoles et personnes accueillies.

L’équipe de bénévoles met un soin particulier sur l’écoute des personnes en difficulté. L’ambiance est détendue. Des liens se tissent entre bénévoles et personnes accueillies.


Selon cette analyse, il y a donc des pauvretés très différentes. On ne peut en effet pas comparer les conditions de vie d’un retraité agricole – qui vit au même endroit depuis toujours, qui connait tout le voisinage et qui sait cultiver son lopin de terre – avec de jeunes actifs au chômage qui viennent de la ville pour trouver des loyers moins chers. Ils ont un apprentissage à faire et peuvent découvrir que les transports coûtent plus cher que prévu, que leur habitat ancien coûte très cher en chauffage, etc.

L’une des caractéristiques des mondes ruraux est la force des réseaux d’interconnaissances. Dans ce contexte, parler de ses problèmes, chercher de l’aide, se révèlent souvent difficile, avec des populations comme les agriculteurs qui sont, on pourrait dire en simplifiant, restés longtemps en marges des canaux traditionnels de l’aide social, avec une mise en place tardive et à part d’un système de protection comme la Mutuelle sociale agricole. »

Liens

Thématiques d’action

Mots-clefs