Copain du Monde

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L’Education populaire, ça change le monde !

Mis à jour le par Olivier Vilain
Le Secours populaire tenait un séminaire sur le pouvoir de transformation de la vie que contient l'éducation populaire, cette pratique qui considère l’éducation comme condition d'une "démocratie vivante", à travers des savoirs élaborés collectivement.

« L’éducation populaire : ça change le monde ! » Tel était le thème du séminaire populaire qui s’est tenu, mardi 1er mars, au siège de l’association nationale du Secours populaire. Retour sur une pratique qui irrigue le monde associatif et dont le but est de transformer le monde par des "actions concrètes", de "répondre à des injustices" et "d'imaginer d'autres mondes possibles".

Qu’est-ce que c’est que cette notion qui avait un peu disparu du débat public ? C’est refuser un enseignement qui descendrait sur les gens, qui seraient à éduquer, mais c’est valoriser une pratique collective de partage des expériences pour en tirer des savoirs en vue de transformer la réalité. Un enseignement qui porte une parole à des apprenants passifs n’a bien souvent comme but que d’adapter ces derniers au monde tel qu’il existe, remarquait le grand pédagogue brésilien Paulo Freire, dont l’œuvre la plus connue, Pédagogie de l’opprimé (Agone, 2021), vient de bénéficier d’une nouvelle traduction.

L’éducation populaire est donc un processus horizontal plutôt que vertical et collectif. « Personne ne s’éduque tout seul, personne n’éduque autrui : tout le monde s’éduque ensemble à travers des actions communes », soulignait toujours Paulo Freire, qui compte parmi les grandes références dans ce domaine, aux côtés notamment de Célestin Freinet. « Dans la démarche, il y a toujours une envie de dire stop à une injustice, à des inégalités ; une faim de s’engager pour transformer cette réalité », observer Philippe Segrestan, ancien responsable national des Céméa et « toujours militant ».

L'éducation populaire ? "Le point de départ est toujours le refus d’une injustice, ce refus va générer une envie d’agir, un projet concret que les organisations vont devoir imaginer", résume Philippe Segrestan, ancien responsable national des Céméa.

L’éducation populaire ? « Le point de départ est toujours le refus d’une injustice, ce refus va générer une envie d’agir, un projet concret que les organisations vont devoir imaginer », résume Philippe Segrestan, ancien responsable national des Céméa.


Les exemples de l’empreinte de l’éducation populaire abondent dans le domaine des vacances – à travers les colonies ou les activités liées aux premiers comités d’entreprises – le sport, mais aussi les centres sociaux, les ciné-clubs ou les ateliers théâtre, voire les conférences gesticulées, etc. Philippe Segrestan a présenté l’expérience d’un club d’escalade autogéré auquel il participe dans le 14e arrondissement de Paris. « Il n’y a pas d’entraineur. Les anciens accueillent et forment les nouveaux à l’escalade et à l’alpinisme. Tout le monde participe comme il le souhaite, à titre bénévole, aux activités du club, y compris à son organisation. » C’est la possibilité de pratiquer une activité et que la voix de chacun soit entendue : « Les décision en consensus. »

Les finalités classiques sont mises de côté, que ce soit la rentabilité au profit de l’usage et dans les compétitions l’élimination a laissé la place à la participation. « Et les compétitions sans élimination, c’est marrant, les repères ne sont plus les mêmes, ni les ressentis. » « L’éducation populaire appliquée à la vie associative rend possible d’imaginer de nouveaux types de sociabilité, sans rentabilité ou entre-soi, résume Philippe Segrestan. C’est la preuve que l’on peut mener des coopérations complexes et espérer les introduire dans des domaines encore plus divers. »

Renouveau d’une pratique qui a irrigué le XXe siècle

L’éducation populaire a été une activité imprégnant toute la société depuis la fin du XIXe siècle dans le mouvement ouvrier, mais aussi confessionnel, jusque dans les années 1970. « Après cette montée en puissance, les années 1980 et 1990 ont été marquées par un reflux, lié notamment à la professionnalisation des nombreux secteurs d’activités qu’elle recoupe », retrace Emmanuel Porte, chargé de recherche à l’Institut national de la jeunesse et de l’éducation populaire. Après une longue éclipse, ce thème est réapparu. « Après deux décennies de repli, de bouleversement avec l’apparition du financement par projets, les professionnels des champs de l’éducation populaire ont eu envie de ré-enchanter leurs pratiques en les connectant à nouveaux à des réflexions dépassant leur strict champ de compétence. » « Oui, il y a eu à nouveau un appétit de transformation sociale », confirme Philippe Segrestan, les yeux brillants, tandis que la salle retient son souffle. Aujourd’hui, 430 000 associations et de nombreux bénévoles se réfèrent à cette notion.

Pour Emmanuel Porte, chargé de recherche à l’Institut national de la jeunesse et de l’éducation populaire, on assiste à un regain d'intérêt pour l'éducation populaire.

Pour Emmanuel Porte, chargé de recherche à l’Institut national de la jeunesse et de l’éducation populaire, on assiste à un regain d’intérêt pour l’éducation populaire.


José Coca, directeur de la fédération du Secours populaire dans le Val-d’Oise, mesure ce que peut apporter cette démarche. Il a voulu, il y a deux ans, unifier les logiciels de gestion sur l’ensemble des comités et des antennes de l’association dans le département. « Au lieu de dire, ‘‘c’est moi qui décide’’, j’ai mis sur pied des ateliers qui ont passé en revue les pratiques dans les différentes structures du Secours populaire. On a élaboré des solutions communes et on a tout testé sur le terrain. Résultat, on a un outil de gestion qui répond à nos besoins et qui est facile à prendre en main. » Sa plus grande fierté ? « Notre pratique associative a été dans ce domaine en ligne avec nos valeurs de participation. » Il va relancer ce type d’atelier sur la thématique de l’accueil des bénévoles pour prendre en compte les problèmes de santé des personnes en difficulté.

Les enfants aussi peuvent bénéficier d’expériences liées à l’éducation populaire. Hélène Duclos, du cabinet TransFormation Associés, a présenté une enquête d’évaluation d’utilité sociétale des villages « Copain du Monde », entamée en 2019. « Je crois que l’on peut résumer leur apport dans le fait que les participants y font grandir leur humanité ensemble. » Réunis pendant plusieurs semaines, des enfants d’horizons et d’origines très différents apprennent par l’expérience, découvrent leurs différences et leurs points communs.

Les Villages « Copain du Monde », un creuset précieux

« On pourrait se demander prosaïquement si la présence de langues différentes freine les contacts entre eux. En fait, la barrière de la langue développe une écoute très intense et l’utilisation d’outils très riches, comme le mime, les expressions du visage, pour échanger. » Dans ce cadre apaisé, loin des privations et des difficultés quotidiennes, les enfants se construisent en étant confrontés à l’altérité. « Beaucoup nous ont dit qu’ils avaient acquis une meilleure confiance en eux car leur parole avait été prise en considération. » Une dynamique qui ne s’arrête pas au village « Copain du Monde », puisque « 80 % des enfants ont participé à au moins une action de solidarité dans l’année qui a suivi le village ».