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Découvrez les merveilleuses “Cousettes solidaires”

Mis à jour le par Olivier Vilain
Autour de Laurence, 8 Cousettes solidaires, recyclent et retravaillent une partie des vêtements que le Secours populaire reçoit toutes les semaines. « Nous devons réduire notre impact sur l’environnement afin de freiner le réchauffement climatique. »

Depuis un an, un groupe de bénévoles d’Annecy – les Cousettes solidaires 74 – se réunit pour créer des sacs à cadeaux, des bavoirs, des lingettes, des sacs… à partir de tissus réutilisés. Les recettes contribuent à financer les activités du Secours populaire en Haute-Savoie.

« C’est magnifique ! » confie mezzo voce Coralie à sa mère devant le stand de Noël des Cousettes solidaires au marché artisanal de Faverges, près d’Annecy (Haute-Savoie), qui réunit 52 exposants présentant leur production artisanale locale (mosaïques, bijoux, gâteaux ou miel). Plus d’un millier de personnes étaient attendues. La jeune femme passe en revue les créations des bénévoles, sacs à vrac en tissus de récupération, tabliers, y compris pour enfants en jean camaïeux avec des étoiles, bavoirs, sacs cadeaux avec des motifs disposés sur le petit sapin qui accueille les visiteurs. Elle finit par réserver une boîte de lingettes blanches et bleues réutilisables en bambou, décorées par deux oreilles de chats. « C’est très mignon. J’ai craqué pour les couleurs mais aussi pour le prix et le côté écologique. »

Même réaction pour Margot : « Le recyclage, ça ajoute un petit plus, on a davantage envie dacheter quand on sait quil y a un aspect écologique derrière. » La jeune femme est venue de Bourgogne pour le week-end. Elle a pris beaucoup de temps pour faire son choix, examinant les articles que lui présentait Laurence les uns après les autres, avant de se décider pour des lingettes avec un petit sac beige zébré. « Ça faisait longtemps que je voulais en acheter, il y avait tellement de choix, tellement de coloris, mais jai trouvé pile ce que je cherchais. Quand je reste devant un stand, cest bon signe, cest que ça mintéresse, sinon je passe mon chemin. »

Petits sapins en velours, sac à cadeaux en tissu

Avant Coralie et Margot, Christiane, cheveux blancs, imperméable noir, était venue dès l’ouverture. Elle guettait l’arrivée des Cousettes dans sa ville. « Jai vu leur travail à Annecy il y a quelques semaines, jai trouvé toutes ces choses très jolies. » Mais presque tous les articles étaient déjà vendus. « Je me suis dit que cette fois-ci je viendrais tôt, sachant que tout serait susceptible de partir assez vite. » Christiane a jeté son dévolu sur des petits sapins en velours pour mettre sur sa porte d’entrée pendant la période des fêtes, ainsi que sur un sac à cadeaux pour le réveillon ; tout est sorti des mains des Cousettes. C’est Colette, bénévole et membre des Cousettes, qui lui a présenté les créations, y compris les beaux sacs qu’elle a confectionnés dans d’épais tissus provenant de coussins ou de rideaux.

Les sacs sont réversibles, la finition doit être parfaite. « Cest beaucoup de travail, 4 à 5 heures chacun, pour les poches, les attaches pour les fermer, les boucles pour accrocher les clés, les hanses, la réversibilité… Il faut tout vérifier, cela prend du temps », détaille Colette, qui a travaillé à la régie d’une collectivité territoriale. Elle ajoute, pour Christiane, en joignant le geste à la parole, « ces sacs peuvent se porter en bourse, en sac à courses, il y a plusieurs formules ».

“Recycler, retravailler…”

À l’autre bout du stand, Laurence s’adresse à des femmes qui passent par là : « Bonjour Mesdames, nhésitez pas à venir voir notre stand, à brasser nos lingettes démaquillantes et lavables; elles sont en éponge bambou. Regardez ce petit sac girafe, moi je le trouve adorable! Et ces tabliers pour enfants, cest choupinet ! » À 52 ans, Laurence est la fondatrice du groupe des Cousettes solidaires de Haute-Savoie. « Il y a un an, lidée de recycler, retravailler une partie des vêtements que le Secours populaire reçoit toutes les semaines, me trottait dans la tête. Nous devons réduire notre impact sur lenvironnement afin de freiner le réchauffement climatique. » Et puis, elle a été encouragée dans ses réflexions par le Congrès du Secours populaire, qui s’est tenu à Lyon en novembre 2021 sur le thème : « Construisons ensemble une solidarité populaire, durable et planétaire ».

Compte tenu de la pollution produite par l’industrie de l’habillement, assurer la valorisation des tissus usagés, en plus de vêtements de seconde main, a un sens. Entre 1990 et 2015, la production de vêtements dans le monde a quadruplé, provoquant chaque année l’émission d’au moins 1,2 milliard de tonnes de gaz à effet de serre, calcule le collectif d’ONG « Éthique sur étiquette ». L’industrie du textile en génère ainsi plus que l’ensemble des vols internationaux et le trafic maritime réunis. Production de matières premières, transformation (teinture, ennoblissements), transport, mais aussi les lavages réguliers entraînent une pollution des sols et des eaux, et une consommation d’eau et d’énergie dans d’énormes proportions, comme le souligne un rapport d’Oxfam. Rien que la fabrication d’un tee-shirt et d’un jean en coton nécessite autant d’eau qu’une personne seule n’en consomme en moyenne en 13 ans…

« On part d’un tissu qui au départ ne ressemble à rien ; il suffit d’un peu d’idées et on en fait quelque chose dont on est vraiment fière – voir le produit fini, c’est génial ! – et avec on finance le Secours populaire », raconte Laurence.

« On part d’un tissu qui au départ ne ressemble à rien ; il suffit d’un peu d’idées et on en fait quelque chose dont on est vraiment fière – voir le produit fini, c’est génial ! – et avec on finance le Secours populaire », raconte Laurence.


Le bilan social de cette industrie est lui aussi très mauvais. Un seul exemple, les « travailleuses invisibles » au Pakistan – l’Asie étant le continent où les trois quarts de la production est réalisée – sont exploitées à leur domicile, ne bénéficiant ainsi pas de la réglementation du droit du travail, selon un rapport de l’ONG Human Rights Watch.

Non loin du lac d’Annecy, sur le stand, Laurence n’arrête pas « car une confection cest une création, il y a tout un esprit quil faut sans cesse expliquer ». Elle montre à tous les badauds les sacs de Noël réutilisables pour y ranger des cadeaux sous le sapin. Ils sont rouges et verts, avec des motifs de houx et de pères Noël en houppelande rouge. « Cest une nappe au départ, que nous avons récupérée, brodée. Avec on a pu faire au moins une vingtaine de sacs de tailles différentes », leur explique-t-elle. À proximité, d’autres sacs sont disposés avec des imprimés « Joyeux Noël ». Là, le tissu provient de chemins de table. « Tous ces sacs ont été faits par différents bénévoles, membres des Cousettes solidaires. » Elle précise à chaque fois « on les vend pour la solidarité » ; « vous êtes au courant que la précarité est en augmentation et que le Secours populaire reçoit beaucoup plus de familles? » Annecy est une ville très chère à cause de la proximité de la Suisse où les salaires sont 3 fois plus élevés qu’en France.

“Des montagnes de vêtements à classer ”

Les tissus collectés à partir des vêtements donnés au Secours populaire donnent aussi beaucoup d’idées. Au siège, les arrivages sont quotidiens. « Ce sont des montagnes de vêtements à classer », décrit Colette, qui était membre des équipes de tri. Une partie sert à l’aide d’urgence pour des familles qui ont besoin de se vêtir, une autre est mise à disposition moyennant un prix très faible. Mais 70 à 80 % des pièces reçues sont confiées à un recycleur, car elles sont inutilisables. « Cest énorme, cest aussi pour cela que nous avons eu lidée de valoriser une partie de ces vêtements en fin de vie », rappelle Laurence.

Depuis un an, une dernière partie des articles est mise de côté pour les Cousettes : tissus de Noël, velours, dorés, fermetures, boucles, rubans, sacs… Cela nécessite beaucoup d’échanges entre les équipes de bénévoles et ça marche très bien. « En collectant toutes ces pièces, je me dis : “Jai envie de faire ça, je me demande quest-ce qui irait bien ensemble?” Et ça, cest un vrai plaisir. La couture cest une évasion, cest très valorisant parce que cest de la création, on sexprime beaucoup. On y met autant de cœur, de passion, parce quon se fait plaisir et on a envie de faire plaisir aux autres », s’enflamme Laurence.

Colette, membre des Cousettes (au milieu) vient de présenter les créations à Christiane (à gauche), y compris les beaux sacs qu’elle a confectionnés dans d’épais tissus provenant de coussins ou de rideaux.

Colette, membre des Cousettes (au milieu) vient de présenter les créations à Christiane (à gauche), y compris les beaux sacs qu’elle a confectionnés dans d’épais tissus provenant de coussins ou de rideaux.


Cette dernière a réuni autour d’elle 7 bénévoles qui se sont baptisées « les Cousettes solidaires 74 », un nom qui pourrait faire penser à ceux des nombreux corps de métiers du textile, les « Grisettes », les « Trottins » ou les « Premières Mains ». « Je voulais un nom à la fois lié à lunivers de la couture, quil soit mignon et éviter le ringard. » Seule à « être novice » en couture, Laurence a appris grâce à des tutoriels vidéos sur internet. « On sinspire toutes des tutos mode”. » Colette suit la mode, s’intéresse à ce qui se fait pour la saison, à ce qui est original. « La plage en Corse durant les vacances est un bon observatoire des tendances », s’amuse-t-elle.

Les Cousettes se réunissent en visioconférences, mais aussi autour d’un café. « On échange des idées, des patrons », raconte Colette. C’est la richesse d’un groupe avec des personnalités différentes, qui ont plus ou moins de l’expérience, qui ont des idées. C’est comme ça que Chantal a proposé de fabriquer d’élégantes pochettes pour protections périodiques. Sur les stands, elles font mouche. « On sest dit, bonne idée! Allez, en production ! » rigole Laurence. Aimant « particulièrement le contact » et ayant fait des études de publicité, elle s’occupe aussi de mettre en valeur leurs créations sur le compte Instagram* du collectif dans des mises en scène soignées. « Cest un gros travail. Il faut faire une mise en scène, de la déco, faire naître une ambiance; prendre des photos, créer un catalogue… »

La richesse d’un groupe

Toutes sont aussi inscrites sur le même groupe de la messagerie électronique Whatsapp pour se tenir au courant, partager les pièces déjà faites, donner envie aux autres Cousettes de partir sur d’autres produits. Laurence récapitule : « Cest aussi un espace de discussion où on sautofélicite, on sencourage, cest important ! » Les Cousettes n’en reviennent toujours pas : « On part dun tissu qui au départ ne ressemble à rien, on lassocie avec un autre, en fonction des couleurs, des imprimés; il suffit dun peu didée et on en fait quelque chose dont on est vraiment fière – voir le produit fini, cest génial ! – et, le nec plus ultra, on les vend pour financer les actions du Secours populaire », raconte la pionnière du groupe.

Une finalité supplémentaire qui a convaincu Christiane à l’ouverture : « Cest du recyclage, jy suis sensible, et cest un don, jy suis sensible aussi car je connais le Secours populaire depuis toujours. » Les Cousettes ont plein d’idées pour diffuser cette démarche de développement durable et de solidarité qui fait leur fierté. « On voudrait équiper les personnes qui viennent aux libres-services alimentaires avec des sacs en tissu », anticipe Laurence qui se félicite que le comité de Fresnes du Secours populaire, dans le Val-de-Marne, ait pris contact pour dupliquer leur initiative.

* les_cousettes_solidaires_spf74

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