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De Grandes Bouches au grand coeur

Mis à jour le par Pierre Lemarchand
Les musiciens des Grandes Bouches dans l'entrepôt du Secours populaire, à Montauban. De g. à dr. : Pierre Grellety (chant, batterie), Anne Laure Grellety-Madaule (chant, percussion), Tanja Krivokapic (chant, clavier) et Philippe Dutheil (chant, guitare).

L’histoire qui lie le SPF du Tarn-et-Garonne au groupe de musique Les Grandes Bouches a, depuis la crise sanitaire, pris une nouvelle ampleur. Devenus bénévoles de l’association durant le confinement, les musiciens ont écrit une chanson originale, « Pas de manières », publiée en CD en juin 2021 et dont toutes les recettes sont reversées à la fédération. Leur présence à la Fête des couleurs à Montauban, début juillet, enfonce le clou d’une relation fraternelle entre les artistes et l’association.

Le 2 juillet 2021, au Secours populaire de Montauban, une scène a été montée. De celle-ci, Philippe Dutheil, le guitariste et chanteur des Grandes Bouches, distingue les 270 spectateurs venus passer la soirée à l’occasion de la Fête des couleurs, rendez-vous rituel organisé par la fédération du SPF du Tarn-et-Garonne depuis 5 ans. « Ici se déroule un travail assez magique, exprime Philippe Dutheil, montrant les locaux du SPF qui se dessinent à sa droite. Les bénévoles du Secours populaire, ce sont les nouveaux alchimistes. Tout ce dont la société ne veut plus, tout ce qu’elle jette, les bénévoles le transforment – ils le transforment en espoir. » Quand il plaque le premier accord de guitare, et que les trois musiciens du groupe entrent immédiatement dans son sillage, il fait encore jour. Auparavant, la chansonnière et accordéoniste Mathilde Brudo a rythmé le repas qui s’est tenu là, en plein air, de ses chants populaires. Avec elle, petits et grands ont repris en chœur « Je ne regrette rien » de Piaf et d’autres classiques, de Fréhel à Renaud et Nougaro, tout en dégustant un repas aux fragrances d’ailleurs – un couscous ou un mafé par exemple.

Les nouveaux alchimistes 

« La fête des couleurs existe depuis 2016 et depuis le début, l’objectif est de collecter des fonds pour nos projets de solidarité internationale et d’associer les personnes que nous aidons en leur proposant de cuisiner des spécialités de leurs pays d’origine, explique Bernard Frauciel, responsable régional. Ce soir, il y a des spécialités culinaires de Tunisie, du Maroc, de Somalie, du Sénégal… », énumère-t-il rêveusement. Francette Noël, la secrétaire générale de la fédération du SPF du Tarn-et-Garonne, l’a précisé dans son mot de bienvenue : toutes les recettes générées lors de la soirée seront dédiées aux projets soutenus par la fédération. A savoir : soutien à une coopérative paysanne destinée à assumer l’autosuffisance alimentaire des femmes et des jeunes au Nicaragua, reconstruction, suite à l’ouragan Kya, d’écoles à Madagascar et participation au vaste plan d’aide alimentaire à destination de milliers de familles libanaises menacées par la famine.

« Cela fait du bien de se revoir au travers d’une action du Secours populaire, se réjouit Francette Noël. Depuis le mois de mars 2020, nous avons traversé une crise sanitaire et sociale sans précédent qui comme toutes les crises a frappé en premier lieu les personnes les plus vulnérables, les plus démunies. » En effet, au regard de la crise sanitaire qui a fragilisé une planète déjà meurtrie par de multiples conflits et poches de pauvreté, ce qui se déroule ce soir-là à Montauban semble une utopie à l’œuvre. Si les moyens semblent élémentaires et l’ambiance bon enfant, ils sont au service du plus ambitieux des programmes : « Le terme “fête des couleurs” signifie que nous voulons se faire rencontrer toutes les cultures et tous les pays au travers de leurs spécialités culinaires, et faire en sorte que les peuples, quelles que soient leurs origines, puissent vivre ensemble en faisant la paix plutôt que la guerre. Se respecter plutôt que se haïr. S’entraider plutôt que s’opposer », a lancé Francette Noël.

La vertu magique du chant

La nuit commence de tomber quand les Grandes Bouches appellent la chorale des enfants « Copain du Monde » à les rejoindre sur scène. Ils se connaissent bien : c’est Philippe et son groupe qui forment au chant ces enfants du quartier populaire d’Issanchou, rencontrés dans le cadre de l’accompagnement scolaire mis en place par les bénévoles du SPF, très présent sur ce quartier, où de nombreuses familles luttent contre la pauvreté. « Le travail de transmission du chant que nous réalisons avec les chorales est très important pour nous, explique Philippe Dutheil. Car chanter dans une chorale, c’est apprendre à se penser dans un groupe, c’est aller vers le beau ensemble, apporter sa part et aussi recevoir des autres. Le chant a une vertu magique : il permet de vivre ensemble. »

Le quatuor et la chorale jouent trois chansons ensemble, dans une onde de bonne humeur qui se propage irrésistiblement dans l’auditoire – quand ils entonnent « Pas de manières ! », c’est une véritable explosion de joie. Cette chanson, les Grandes Bouches l’ont écrite en hommage aux bénévoles et aux personnes aidées par le SPF. Le clip en a été tourné dans les locaux de l’association, ses bénévoles y figurent et toutes les ventes de cette chanson sont reversées au Secours populaire. « Nous avons offert ce que nous savons faire de mieux, éclaire Philippe Dutheil, c’est-à-dire fabriquer une chansonNous avons tout pris en charge, y compris la fabrication de 2000 CD. Nous avons mis le titre en ligne, avec la possibilité de l’acheter. Et toutes les recettes – absolument toutes, à 100% – reviennent au Secours pop ».

De Grandes Bouches au grand coeur
La chorale « Copain du Monde » d’Issanchou rejoint les Grandes Bouches sur scène lors de la Fête des Couleurs, au SPF de Montauban, le 2 juillet 2021. ©SPF

De la colère à l’engagement

L’histoire qui lie les Grandes Bouches et l’équipe du SPF du Tarn-et-Garonne remonte à l’année 2016, quand l’ouragan Matthew dévaste Haïti et plonge sa population dans la plus totale détresse. Face à l’urgence exprimée par son partenaire sur place, le SPF se mobilise. A la recherche d’un groupe pour organiser un concert solidaire afin de collecter des fonds, le SPF du Tarn-et-Garonne tombe vite sur les Grandes Bouches, incontournables dans la région par leur activisme tant musical que citoyen. « Les Grandes Bouches sont un des groupes fondateurs du collectif Motivés !, éclaire Philippe Dutheil. Nous avons une action citoyenne intense sur la région, je pense que c’est pour cela que le SPF a eu l’idée de faire appel à nous. »

En mars 2020, quand le confinement est décrété pour lutter contre la pandémie, les Grandes Bouches ne peuvent plus exercer leur métier : faire des concerts et mener des ateliers d’éducation artistique. Aussi, « quand le SPF, durant la pandémie, a lancé un grand appel à toutes les bonnes volontés, nous nous sommes portés volontaires pour aider. Nous avons poussé des caddies, trié des légumes, nous nous sommes engagés ! », se souvient Philippe Dutheil. C’est alors que l’idée de la chanson « Pas de manières ! » naît : « Je me souviens d’un matin, je triais des bananes avec Bernard (Frauciel, ndlr). On a vu des gens affluer pour demander de l’aide, des personnes qui n’étaient jamais venues au Secours populaire, des étudiants, des mamans seules avec leurs enfants… J’ai senti une colère sourde monter en moi… C’est alors que Bernard m’a proposé de faire une chanson sur le sujet. »

De Grandes Bouches au grand coeur
Francette Noël, secrétaire générale du SPF du Tarn-et-Garonne, brandit le CD des Grandes Bouches, « Pas de manières » dont l’intégralité des ventes sont reversées à la fédération. ©SPF

Une chanson qui entre dans le corps et la tête

Philippe s’attelle alors immédiatement à la tâche et se souvient d’un texte que Magyd Cherfi a adressé au groupe quelques années auparavant. « Magyd, c’est un des fondateurs de Motivés, c’est le chanteur du groupe Zebda, mais c’est aussi le parolier des Grandes Bouches, continue Philippe Dutheil. C’est avant tout un grand écrivain et un immense poète. » Ces paroles parlent de solidarité et du refus de la misère, des vertus éternelles de l’accueil et du partage. « Quand j’ai écrit le texte de cette chanson, j’étais guidé par l’idée d’écrire une chanson joyeuse, témoigne Magyd Cherfi. On vit dans un monde d’obstacles, de malheurs, de difficultés, de tragédies qui tous les matins nous tombent sur la figure. Je me suis dit : et si, malgré tout, on tentait d’être heureux, de se donner la main ? »

« Pas de manières », c’est une chanson qui parle de pauvreté et de solidarité mais sans misérabilisme. C’est une chanson populaire, une chanson qui ne laisse personne au bord du chemin.

Philippe Dutheil

« J’ai donc pris ce texte, qui trouvait là sa juste place, et j’ai composé une musique », explique Philippe Dutheil. Un rythme emmené par une guitare et une batterie en éclaireuses, une explosion de chœurs, de saxophone et de derboukas et une mélodie imparable : « Pas de manières » est une immense réussite, qui entre dans le corps en même temps que dans la tête. « C’est une chanson qui parle de pauvreté et de solidarité mais sans misérabilisme ! C’est une chanson populaire, au sens premier et noble du terme. Ce n’est pas facile de réaliser une chanson qui puisse être comprise de toutes et tous et c’est ce que j’ai voulu faire : une chanson qui ne laisse personne au bord du chemin, exactement comme ce qui est dit dans le texte ! », résume Philippe Dutheil.

Ombre et (surtout) lumière

Il n’y a, en effet, aucun misérabilisme dans cette chanson qui a l’élégance de venir caresser les zones d’ombre de nos existences de chauds rayons de soleil. « Et on oublie que l’enfance, c’est parfois comme un gâteau sec », y écrit, par exemple, Magyd Cherfi. Et celui-ci songe, en écho à ce vers : « Je suis fils d’immigrés algériens. Mes parents étaient pauvres, vivaient parmi des familles pauvres des quartiers nord de Toulouse. J’ai été aimé, protégé par une mère poule. Mais j’ai vu la souffrance de certains copains qui n’avaient pas la même chance que moi. J’ai vu cette souffrance de près et je m’en souviendrai toujours. J’ai eu de la chance, j’ai pu exaucer des vœux, porter des rêves, ceux de l’écriture. Je l’ai échappé belle ! Et je sais que ce n’est pas le cas pour plein d’enfants qui vivent mal et ne s’en remettront jamais tout à fait… Il y a cette note d’espoir en moi. Cette lumière, cette conviction que tout demeure possible, même si l’on vient d’en-bas. »

 J’ai vu cette souffrance de près et je m’en souviendrai toujours. Mais il y a cette note d’espoir en moi. Cette lumière, cette conviction que tout demeure possible, même si l’on vient d’en-bas.

Magyd Cherfi

Il est 23 heures ce vendredi 2 juillet et la fête des couleurs du SPF de Montauban se termine. Les quatre des Grandes Bouches dédicacent les derniers CD aux acheteurs qui, en même temps qu’ils accomplissent un geste solidaire, s’offrent 3 minutes et 55 secondes de bonheur garanti. Les recettes de la vente des disques, ainsi que celle des repas confectionnés par les familles aidées, permettront de soutenir les partenaires du SPF là où ils s’engagent dans leur combat pour un monde plus juste. La nuit est à présent tombée mais les couleurs que le Secours populaire a projeté dans le ciel le pareront longtemps de lueurs vives.


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