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Dans le Nord, lire est une fête !

Mis à jour le par Pierre Lemarchand
A Lille, la bibliothèque solidaire du SPF regorge de livres pour tous les âges et tous les goûts. Dounia, 8 ans, déguste "Ah ! les bonnes soupes". ©JM Rayapen/SPF

La fédération du Secours populaire du Nord s’est dotée, dans ses locaux à Lille, d’une bibliothèque de prêt ainsi que d’un bibliobus qui sillonne le département à la rencontre des personnes aidées dans les permanences d’accueil de l’association. Rencontre avec Clémence, bibliothécaire au Secours populaire et passeuse passionnée de livres, à l’occasion d’une journée de lectures placée sous le signe de la fête d’Halloween.

On entre par un portail de fer, le même qui s’ouvrait sur les centaines d’ouvrières qui venaient travailler dans l’usine textile Desombre, dans le quartier de Fives à Lille, jusqu’à ce que celle-ci ferme au début des années 80. Aujourd’hui, ce ne sont plus des chemises que l’on y tisse, mais des liens humains. Le travail qui y est infatigablement à l’œuvre, depuis que la fédération du Secours populaire du Nord y a installé ses locaux en 2000, est celui de la solidarité. La porte franchie, un couloir mène à une vaste pièce qui de la journée ne désemplira pas. Des tables la parsèment, derrière lesquelles les bénévoles proposent produits alimentaires et d’hygiène : au fil du circuit qu’elles dessinent, les caddies se remplissent et les sourires s’épanouissent. Ainsi va le libre-service de la solidarité.

Il y en a pour tous les goûts

Non loin, de la lumière filtre d’une pièce bien plus petite : c’est la bibliothèque du Secours populaire. Les lieux semblent un cocon aux murs colorés de centaines de tranches de livres soigneusement classés sur les rayonnages. « Romans adultes », « poésie », « romans ados », « albums jeunesse », « bandes-dessinées », mais aussi des documentaires (psychologie, cuisine ou jardinage) : il y en a pour tous les goûts. Une armoire vitrée, surmontée d’un panneau « Facile à lire », propose une sélection destinée aux personnes qui ont des difficultés de lecture. Dans un coin de la pièce, un ordinateur doté d’une connexion internet permet à quiconque d’effectuer ses démarches administratives. Au centre de la pièce se tient Clémence, bibliothécaire et maîtresse des lieux.

Aujourd’hui c’est mercredi et, comme presque toujours les mercredis matin, Clémence propose des lectures d’histoires aux enfants, un rituel qu’elle a intitulé « Les p’tits lus ». Une dizaine d’enfants sont présents et tous déguisés : le Secours populaire fête Halloween. Les petits fantômes, sorcières et monstres semblent inoffensifs, sagement installés sur les chaises disposées en cercle au fond de la bibliothèque, essaimée d’immenses toiles d’araignée. « Ce type d’animations thématiques permet de faire connaître la bibliothèque aux personnes accompagnées par le SPF », éclaire Clémence, la tête surmontée d’un chapeau de sorcière.

Passeurs

« Avec le confinement, les familles se sont un peu plus encore repliées sur elles-mêmes mais aujourd’hui, il y a une belle assistance ! », confie Laurent. Bénévole au SPF et comédien amateur, il accompagne Clémence pour conter des histoires. Cet ancien bègue et grand timide, qui s’est ouvert aux autres grâce au théâtre et l’art du sketch que lui ont transmis quelques professeurs de son enfance, tient à jouer à son tour ce rôle de passeur. « Tous les mercredis, je viens prêter ma voix de retraité heureux », souligne-t-il, avant de rejoindre Clémence, installée devant les enfants, à côté d’une table où reposent une sélection de livres qui ne demandent qu’à s’ouvrir, être lus et faire frémir.

Laurent explique tout d’abord aux enfants l’histoire d’Halloween, qu’il est allé puiser « dans le grimoire du grand sorcier Wikipedia. C’est une fête familiale avant de devenir une fête commerciale. C’est important les fêtes, les enfants, car elles rassemblent les gens », augure-t-il. En conteur aguerri, il fait remonter l’histoire au temps des Druides et aux pays celtes. « Comme la fête des fantômes chinoise, c’est l’occasion de nous souvenir de nos disparus, retrouver par la pensée les êtres qui nous manquent. Mais c’est aussi et surtout l’occasion de s’amuser ! », conclut-il. Puis, défilent au gré des lectures, effectuées à tour de rôle par Clémence et Laurent, entrecoupées d’apartés drolatiques et confessions tendres de jeunesse, une galerie de personnages étonnants, qui échouent à faire peur et déclenchent les rires : Tata Gligli la vieille fantôme punkette, Cornebidouille la repoussante sorcière ou encore Bouh l’apprenti fantôme.

Munis d’un sachet de bonbons et d’un livre (« Ah quelle soupe les amis ! », d’Alain Serres et Judith Gueyfier, célébration joyeuse de l’entraide) offerts pour l’occasion, les enfants piochent ensuite, au gré de leurs envies, quelques livres à emprunter, sur les tables ou les rayonnages. Clémence organise une séance improvisée de lecture pour de petits visiteurs impromptus, telle Leyna, dont la maman est au libre-service : « « Maman est partie faire les courses, alors moi j’en profite pour venir à la bibliothèque ! », lance la petite fille, bottines vernies, robe écarlate, manteau rose et balai pailleté du plus bel effet.

Dans le Nord lire est une fête
Clémence, la bibliothécaire du SPF du Nord, lit des contes aux enfants chaque mercredi matin, en imaginant régulièrement des animations thématiques. Ce 27 octobre 2021, c’est Halloween. ©Jean-Marie Rayapen/SPF

Hors les murs

Clémence traverse la pièce et se place derrière son petit bureau, à l’entrée. Il lui faut à présent enregistrer les emprunts des enfants. Dounia, 8 ans, a choisi un petit roman illustré, un manga et un album en espagnol. « Vous pouvez aussi emprunter un livre pour le petit », propose Clémence à sa maman, qui tient la main du jeune frère de Dounia. Safouane 9 ans et Yassir 10 ans empruntent quant à eux chacun un manga. Clémence enregistre le prêt sur son ordinateur et glisse dans chaque livre une affichette avec la dates des prochaines lectures ainsi qu’un marque-page avec la date de retour du livre – 3 semaines plus tard. « Et si on a fini avant ? » demande Yassir, un grand sourire aux lèvres. « Oh, il aura fini avant, c’est sûr ! », se réjouit la maman des deux garçons.

Les enfants et leurs mamans partis, Clémence se retrouve seule dans cette petite bibliothèque qu’elle ouvrit en juillet 2019. Transmettre son amour des livres a toujours animé cette jeune femme détentrice d’un diplôme universitaire en métiers des bibliothèques et de la documentation. « Ce qui m’importe, c’est de faire se rencontrer une personne et un livre, trouver le livre qui va l’attirer, la faire entrer ou rester dans la lecture », confie-t-elle, tandis qu’elle réaménage les lieux, entretenant cette atmosphère de quiétude et de chaleur qui caractérise cette îlot dédié à la lecture publique, immergé dans le grand bain quotidien de la solidarité populaire.

C’est le tout début d’après-midi et Clémence tourne la clef de contact du bibliobus. Bien avant l’ouverture de la bibliothèque, elle en initiait début 2016 les premières tournées [1]. Depuis, le bibliobus du SPF du Nord sillonne tout au long de l’année le département et vient proposer, au plus près des habitants, des lectures à voix hautes, ateliers créatifs et prêts de livres. Il visite certains des 71 comités et antennes locaux du Secours populaire, tels Loos ou Valenciennes, mais aussi les centres sociaux, aires d’accueil pour les gens du voyage ou instituts pour l’enfance. Aujourd’hui, la destination est le comité du SPF de Seclin.

Lire est une fête

Tandis que le véhicule traverse les villages de Faches-Thumesnil et Wattigines, les nuages lourds se dissipent et laissent percer le soleil qui, lorsque le bibliobus se gare devant le comité de Seclin, brille franchement, dorant les briques rouges des murs de l’ancienne filature plantée au cœur du Parc de la Ramie, se reflétant sur les rails qui la longent et soulignant les lignes imposantes de la haute cheminée. « A Seclin, ce sont des fidèles ! Il y a des enfants que j’ai vus grandir, confie Clémence en coupant le moteur. Je pense à deux petites jumelles, elles marchaient tout juste les premières fois que je leur ai lu des histoires… » Les voici justement qui s’approchent – Alaa et Baraa ont bien grandi et, sous leur maquillage sombre percent deux sourires éclatants. « Mes filles aiment le bibliobus. Elles attendent toujours sa venue avec impatience. A chaque fois, Clémence vient raconter des histoires sur un thème différent, ça peut être aussi sur Noël ou le Printemps. Il y a toujours des animations. C’est l’occasion pour tout le monde de s’amuser ! », confie leur maman, Wassila.

« La venue du bibliobus, à chaque période de vacances scolaires, est pour nous synonyme de fête. Il y a de plus en plus de familles qui viennent, explique Rachida Bentif, la responsable du comité, dont les lieux ont été transformés en caverne et déguisée, comme petits et grands, en créature du royaume des Morts. Pendant que Clémence lit des histoires et prête des livres aux enfants, il y a un goûter et des jeux ; pendant ce temps, les parents discutent autour d’un café. » De très nombreuses familles accompagnées par le comité se sont donné rendez-vous par ce bel après-midi d’automne. Si le Secours les soutient dans les moments difficiles et les empêche de sombrer dans la grande pauvreté, il est aussi l’artisan d’un mieux-être, incarné par la solidarité apportée au moment des vacances ou de Noël, comme par ce travail de fond pour l’accès de toutes et tous aux loisirs et à la culture.

Peggy, qui élève seule ses trois enfants, est assise au soleil et discute avec d’autres mamans en dégustant un café. « Le Secours c’est ma deuxième famille. Jamais je ne me sens jugée. J’ai de grosses difficultés pour lire et écrire, alors les livres, j’y attache beaucoup d’importance pour mes petits. » Ils sont tous trois dans le bibliobus, avec trois autres enfants, à écouter Clémence leur conter les destins du « Monstre amoureux » ou de « Mon ami le zombie ». En tout, la bibliothécaire accueillera dans l’après-midi une trentaine d’enfants, se succédant par groupes de 6 ou 7 dans l’habitacle exigu et coloré. « Quand je retrouverai du travail, que je m’en sortirai, je donnerai à mon tour. Et je continuerai de venir, pour continuer de vivre ces moments chaleureux », prolonge Peggy. Ses propos sont alors couverts par les rires des enfants, qui courent et zigzaguent, des livres serrés dans leurs poings.


[1] Le bibliobus de la fédération du Nord fut financé par un don de la société nippone Rakuten, en remerciement de la solidarité apportée au Japon par la fédération nordiste du SPF – la construction d’un dispensaire à Ishinomaki – au lendemain du séisme qui avait dévasté en 2011 la côte Pacifique du Tōhoku. Avec le véhicule, 2000 livres furent offerts, qui constituèrent le socle du stock de la bibliothèque.

Dans le Nord lire est une fête
Les enfants du SPF de Seclin, par petits groupes de 5, écoutent des histoires et choisissent des livres dans l’intimité du bibliobus. ©JM Rayapen/SPF

Quelques livres dans l’humeur d’Halloween – la sélection de Clémence