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Les jeunes prêtent main forte

Mis à jour le par Olivier Vilain
Que faire contre la crise ? De très nombreux jeunes sont devenus bénévoles depuis le début du confinement pour soutenir les plus précaires.

Quels sont les points communs entre Liza, Ismaïl, Manuel et Léa ? Ils sont jeunes et solidaires. Depuis le début de la crise provoquée par le coronavirus, ces étudiants et ces jeunes travailleurs sont devenus bénévoles au Secours populaire pour « occuper ce temps » libéré par le confinement et, surtout, se « sentir utiles ».

Leur apport est décisif dans un moment où les bénévoles doivent être sur le terrain comme jamais pour répondre à l’urgence sociale : beaucoup de gens voient leurs revenus baisser, à cause de la mise en chômage partiel ou de la fin d’un contrat à durée déterminée ou d’une mission d’intérim ; dans le même temps, ils doivent dépenser plus que d’habitude pour faire manger leur famille.

Le 2 avril le Secours Populaire de Nanterre a organisé une distribution alimentaire. Et les jeunes étaient une nouvelle fois nombreux à se porter volontaires.

Le 2 avril le Secours Populaire de Nanterre a organisé une distribution alimentaire. Et les jeunes étaient une nouvelle fois nombreux à se porter volontaires.

À l’annonce du confinement, il y a un mois, le restaurant ou travaillait Liza a fermé.  « J’y gagnais de l’argent en attendant de reprendre mes études en septembre, afin d’achever mon cursus de psychologie. J’avais du temps pour utiliser mes compétences dans l’humanitaire. » L’arrêt de l’activité économique a agi comme un signal d’alarme pour Ismaël, qui habite dans un quartier populaire de Dôle, dans le Jura : « J’ai tout de suite pensé à mes voisins qui galèrent déjà en temps normal, les salariés précaires, les indépendants… J’étais sûr qu’ils allaient à la catastrophe si personne ne les aidait. » Lui aussi a du temps, avec ses cours allégés et son stage dans une entreprise de micromécanique à Besançon qui a été mis entre parenthèse.

Dans le Jura, l’élève ingénieur ne s’est pas trompé : depuis cette date, le Secours populaire de sa ville fait face à un tsunami. « Nous avons reçu 1300 personnes les trois premières semaines du confinement, rien que pour de l’aide alimentaire, contre d’habitude 800 par mois au maximum », calcule Michael Nasom, le secrétaire général de la fédération du Jura : « On revoit des gens dont la situation s’était stabilisée après être venus quelques temps à nos permanences. C’est alarmant. »

Le bénévolat, c'est aussi partager des moments joyeux avec des hommes et des femmes de tous âges.

Le bénévolat, c’est aussi partager des moments joyeux avec des hommes et des femmes de tous âges.

Cet afflux de détresses s’explique par l’arrêt des contrats intérimaires, la chute des revenus provoquée par le chômage partiel et la disparition des petits boulots informels qui permettent à certaines familles de garder la tête hors de l’eau : les ménages habituellement sur le fil du rasoir ne s’en sortent plus du tout. « Le problème c’est aussi, souvent, l’arrêt des primes sur lesquelles comptes les gens pour faire face aux dépenses de la vie courante », indique Nacera, une bénévole expérimentée de Gardanne, à deux pas de Marseille. « Quand les factures vont tomber, d’ici la fin de  l’été, on risque de voir une nouvelle vague arriver », estime celle qui encadre les nouveaux bénévoles dans la préparation de colis alimentaires et de produits d’hygiène pour 140 familles, au lieu de 70 en temps normal.

Les coûts ont déjà augmenté avec la fermeture des cantines scolaires et le retour des étudiants chez leurs parents. « Ça fait toujours une bouche de plus à nourrir, comme on dit », souligne Léa, qui est revenue à Gardanne, chez son père et sa mère, lorsque l’université d’Avignon a fermée.

Le comité de Gardanne publie très régulièrement sur les réseaux sociaux des appels à bénévolat. Beaucoup de jeunes y répondent.

Le comité de Gardanne publie très régulièrement sur les réseaux sociaux des appels à bénévolat. Beaucoup de jeunes y répondent.

Partout, le Secours populaire a dû augmenter ses distributions alimentaires, alors qu’une partie de ses bénévoles ne peuvent plus venir aux permanences, en raison de leur âge. « J’ai dès le début lancé des appels sur les réseaux sociaux sur le thème ‘‘confinés mais solidaires’’. Les jeunes, en particulier, ont répondu présents très forts », signale Christelle Cavaleri, secrétaire générale du comité de Gardanne. Il y avait tout à réorganiser avec le transfert de l’activité dans une salle municipale plus grande que le local habituel : faire les courses pour les personnes fragiles, chercher les médicaments pour les plus de 65 ans, sortir les chiens… « En retour, certaines personnes confinées nous confectionnent des masques que nous collectons et redistribuons régulièrement. L’activité est intense et les jeunes nous apportent beaucoup », ajoute-t-elle.

Les jeunes bénévoles font preuve d’initiatives

À Cholet (Maine-et-Loire), la plupart des bénévoles ont dû être mis à l’abri. Des jeunes d’Angers, à 60 km de là, sont venus prêter main forte, chaque lundi et chaque jeudi, les premières semaines. « On a  préparé les colis alimentaires set reçus les gens, le temps que de jeunes choletais prennent le relais », explique Manuel, qui se destine à un métier dans le social. « Ils ont compris notre manière de fonctionner en quelques heures. Très rapidement, ils ont fait preuve d’initiatives. On est bluffé », rapporte Michael Nasom, à Dôle.

Dans cette période d’isolement, pouvoir communiquer par téléphone et par internet avec sa famille ou ses amis est très important. La mise en place de box de télécommunication n’est pas une compétence partagée par tout le monde, en particulier chez les personnes âgées. Ismaël s’est proposé pour les mettre en marche chez plusieurs personnes : « Elles sont très contentes. Ce n’est pas grand-chose à faire, pour moi cela demande juste du temps. On ne peut pas laisser les gens sans contact pendant plusieurs semaines. » Le moral ne suivrait pas.

Les jeunes des quartiers populaires de Dôle se mobilisent auprès des personnes en difficultés aidées par le Secours populaire du Jura. Un engagement précieux.

Les jeunes des quartiers populaires de Dôle se mobilisent auprès des personnes en difficultés aidées par le Secours populaire du Jura. Un engagement précieux.

Autre initiative, celle de Liza : « J’étais à l’accueil téléphonique et je sentais qu’une partie des gens avait besoin de parler parce que le confinement bouleverse leur vie. » L’étudiante en psychologie a monté une cellule d’écoute, avec trois amies fraîchement diplômées, qui se sont laissées convaincre facilement. Elles ont appelé toutes les personnes aidées et une trentaine a demandé à ce que l’équipe les contacte régulièrement. « Confinées, elles sont confrontées à leur histoire, leur échec. Tout cela remonte et rend cette période très difficile à vivre. On est là, on les écouté, on les aide. » La cellule occupe les journées de l’équipe. « Le soir, après les appels, nous faisons le bilan entre nous, pour échanger sur notre ressenti et voir comment être les plus efficaces. » L’implication de cette équipe de professionnelles est impressionnante.

Un temps d’échanges entre générations

Étudiants ou jeunes travailleurs apportent leur énergie, leurs compétences et leurs idées. Tous disent être très contents de partager leurs journées avec les bénévoles plus anciens. « Pendant les pauses, c’est très agréable. On discute beaucoup. Du coup, j’apprends plein de choses sur le Secours, sur ma ville. J’apprécie vraiment », note Ismaël. La réciproque est vraie. « Tout se passe très bien. On découvre qu’on partage les mêmes valeurs. On va organiser une fête à la fin du confinement pour réunir tous les bénévoles, récents ou expérimentés, afin de garder cette dynamique », souligne Stéphane Lepage secrétaire général  de la fédération du Maine-et-Loire.

Pour éviter que les personnes fragiles s'exposent, les bénévoles d'Echirolles livrent les denrées à domicile. Après la pause, ils remettront leur masque.

Pour éviter que les personnes fragiles s’exposent, les bénévoles d’Echirolles livrent les denrées à domicile. Après la pause, ils remettront leur masque.

Pour certains, le moteur de leur engagement est la conscience des inégalités qu’ils rencontrent dans leur quartier ou à l’université. Pour d’autres, il découle de leurs choix professionnels, comme pour Liza ou Manuel. Pour Léa, la solidarité est un repère dans sa famille : « Mes grands-parents ont été mineurs, une profession dure avec une forte culture ouvrière. Dans la famille, l’entraide a toujours été valorisée, donc il y a une logique. »

Avec ce bagage, elle s’était engagée dans sa fac dans des distributions alimentaires avec une association universitaire. « La précarité de certains étudiants est affolante », signale cette jeune femme aux yeux grands ouverts. Tous connaissaient le Secours populaire avant de franchir sa porte, mais Ismaël avait en plus une histoire personnelle : « Plus jeune, l’association de quartier qui s’occupe des adolescents nous avait fait rencontrer des bénévoles. J’en ai gardé une envie de m’y investir. »

Le Secours populaire peut s'appuyer sur ses partenaires. Dans le Nord, il a reçu le renfort des jeunes du Samu Social.

Le Secours populaire peut s’appuyer sur ses partenaires. Dans le Nord, il a reçu le renfort des jeunes du Samu Social.

Que feront-ils lorsque les universités et les entreprises rouvriront leurs portes ? Léa compte bien continuer à être bénévole « à la fac d’Avignon cette fois mais à un autre rythme bien sûr ». A Dôle, Liza réfléchit : comment faire perdurer ce qu’elle a mis en place ? « Ce qui est sûr c’est que je serais bien occupé mais je ne vais pas arrêter brutalement ce que nous avons mis sur pied. Nous pourrions orienter vers les centres médico-psychologiques qui prendraient le relais. En tous cas, je ne serai jamais loin. »

Pour Manuel, à Angers, « c’est sûr on aura moins de temps mais le Secours populaire pourra toujours compter sur moi ». « Dans ces temps difficiles, de les voir impliqués, généreux, ça fait vraiment plaisir », reconnait Nacera, entre deux distributions alimentaires. « Moi aussi j’ai été une jeune bénévole, se rappelle sa copine Christelle. Trente ans plus tard, je suis toujours sur le terrain. »

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