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Chili : il y a 50 ans, la solidarité

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Léon Dujardin, secrétaire du Secours populaire en 1978, se rend dans une cantine populaire au Chili. ©Tous droits réservés

Le 11 septembre 1973, le gouvernement démocratiquement élu de Salvador Allende est renversé par un putsch militaire. La junte qui s’installe au pouvoir fait alors régner la terreur, piétinant les droits de l’homme. L’indignation et la mobilisation sont internationales ; le Secours populaire est l’une des principales organisations de la solidarité française au Chili. Celle-ci se déploiera sur une décennie, marquée par trois opérations emblématiques au fort retentissement, apportant aide matérielle et morale aux victimes politiques et leurs familles. Léon Dujardin, ancien prêtre et secrétaire du Secours populaire alors, livre ses souvenirs.

Le bateau pour le Chili

L´idée, lancée en septembre 1975, se concrétisera en février 1976. Léon Dujardin coordonna l’opération : voici des extraits du témoignage qu’il livrait en 2013.

« J’assurais les permanences en été et un représentant des syndicats chiliens est venu nous voir. Ces syndicats avaient proposé une solidarité avec les familles restées au Chili, entre autres avec les enfants et les femmes des syndiqués expulsés. Un certain nombre de syndicats dans différents pays d’Europe avaient accepté d’y participer. Ils nous ont demandé d’être les organisateurs de la collecte des dons. De sorte que ce n’est pas nous qui avons collecté ; certes on a colleté, mais… Si ma mémoire est bonne il s’agissait de dix-sept pays. C’est énorme. On a hésité un petit peu, car organiser un bateau pour le Chili n’était pas évident. Ce sont, en fait, les Chiliens les vrais organisateurs ; les Chiliens qui étaient dans les syndicats et les partis. Nous, nous ne passions que par les Chiliens (…). Eux avaient des relations avec différents syndicats (…). Julien Lauprêtre m’avait dit : tu devrais demander si l’Église peut trouver une autre solution ; va voir le cardinal Marty (la Junte chilienne avait interdit tout envoi du Secours populaire -NDLR-). Le cardinal Marty a accepté de me recevoir (…). Sans me dire : vous pouvez aller de ma part à Rome, il est venu dans la conversation que le mieux serait de voir le responsable de Caritas à Rome (…). Cela tombait bien, le responsable de l’époque était un latino-américain, très ouvert à cette période-là à l’évolution de l’Église, au Concile et, donc, à ce qu’était une organisation populaire. Il me signale que le correspondant habituel de la Caritas au Chili est la Caritas allemande. J’ai pris le train de nuit (…). Arrivé là, je raconte à nouveau mon histoire et j’ajoute : vous vous rendez compte, tous ces gens qui ont collecté. Que pourrait-on faire. Il répond : ce n’est pas évident, nous avons d’autres activités. Sauf, si vous acceptiez d’être délégué de la Caritas allemande et de prendre en charge tous les frais d’organisation. Je dis : on avait prévu de les prendre en charge et précise : ‘je vais demander à mon président s’il accepte que je devienne délégué de la Caritas Allemande’. Et deuxième condition : on met, sur les étiquettes du SPF, celles de la Caritas allemande (le produit de la solidarité est finalement remis à la Caritas chilienne via la Caritas allemande qui les répartit -NDLR-). L’évêque m’a assuré, et avec lui les prêtres et les religieuses, : ‘ça a bien été remis, en totalité’. On m’a même remis quelques photos montrant comment cela avait été distribué. Les gens apprenaient par les religieuses, par les paroisses, que cela venait du Secours populaire, de leurs maris… Après, le circuit, peu importe. »

Chili : il y a 50 ans, la solidarité
L’Anjou appareille du Havre, le 18 décembre 1975, pour Valparaiso. (Tous droits réservés)

Le message des arpilleras

Les femmes des prisonniers chiliens, tissaient, à la main, des tapisseries, véritables témoignages de douleur et d´espoir. Léon Dujardin s’en souvenait en 2013.

« J’avais repéré que les femmes des cantines populaires fabriquaient de belles arpilleras (sortes de tapisseries en patchwork qui parfois recélaient des messages), que les prisonniers faisaient des colliers avec du papier mâché, et d’autres choses (…). Des gens du vicariat m’en faisaient des colis, des valises qu’ils remettaient à des aviateurs qui venaient les voir de notre part et les ramenaient dans leurs bagages. Cela nous a permis de faire de la solidarité : vente du disque, des arpilleras, des colliers, d’autres petits produits (…). C’était extraordinaire. Parce que les propositions étaient concrètes, les gens se faisaient plaisir en faisant de la solidarité. Les arpilleras, c’est très, très joli (…). S’ajoutaient le disque avec de grands chanteurs, les colliers, tous les gadgets qui arrivaient régulièrement (…). Pour le Secours populaire c’était une découverte : après, on a fait cela avec les Africains (…). Avec le prix que je payais au Chili, ce n’était pas négligeable (ça les aidait réellement à vivre) et les prix qu’on pouvait appliquer en France, qui n’étaient pas excessifs compte tenu des produits vendus, cela permettait au Secours populaire de trouver des finances pour lui-même. »

Chili : il y a 50 ans, la solidarité
Francesca Soleville présente une arpillera devant Jean Ferrat et Léon Dujardin. (Tous droits réservés)

Le disque pour les enfants du Chili

En 1977, des artistes engagés ont proposé au Secours populaire de graver un disque pour financer les cantines populaires. Léon Dujardin revenait, en 2013, sur cet épisode marquant.

« Les chanteurs – il y avait des chanteurs parmi les Chiliens – ont imaginé une autre forme de solidarité, un disque[1]pour le Chili (…). Ils étaient venus nous trouver, au Secours populaire, pour nous demander de prendre en charge la fabrication, tout. C’était Michel Piccoli et sa secrétaire qui s’occupaient de demander à chaque auteur/acteur de renoncer à leurs droits. Je suis allé voir l’agence qui protège les auteurs, acteurs et interprètes pour qu’eux aussi renoncent à leurs droits. Ce qu’ils ont accepté. C’est Barclay qui l’a fabriqué et nous a pris le minimum : le disque nous revenait à 4 francs et était vendu 40. Ça faisait beaucoup. Cela permettait d’envoyer de l’argent pour les cantines du Chili. Ce qui les a fait vivre, je crois, pendant plus d’un an (…)[2]. Au point que Maxime Le Forestier, qui démarrait à l’époque, avait été très surpris du nombre de disques qu’on avait vendus. Il m’a dit : jamais je n’en ai vendu autant ! »

Afin que la mémoire de cette solidarité active ne s’efface pas, le Secours populaire fera don au Musée de la mémoire et des droits humains de Santiago, d’archives relatives à son activité durant la dictature sous forme d’originaux surnuméraires.  http://www.museodelamemoria.cl

Chili : il y a 50 ans, la solidarité
Maxime Le Forestier signe le disque « Chant pour les enfants du Chili » en 1977. (Tous droits réservés)

[1] Disque sorti fin 1977 avec les chansons de Georges Brassens, Julien Clerc, Jean Ferrat, Juliette Gréco, Maxime Le Forestier, Colette Magny, Yves Montand, Mouloudji, Georges Moustaki, Serge Reggiani, Francesca Soleville, Anne Sylvestre.

[2] fin 1978, un million de repas ont été offerts. En mai, le comité EDF-GDF du Secours populaire a, à lui seul, vendu de quoi en financer 24 000.


Sources : 

Les archives patrimoniales du SPF, 9/11, rue Froissart 75003 – documentation@secourspopulaire.fr

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