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Cet été, le Secours populaire s’est offert un bain de culture

Mis à jour le par Pierre Lemarchand
Une famille accompagnée par le Secours populaire de Côte d’Or découvre le château de Versailles, lors d’une journée bonheur le 10 août 2022. ©J-M Rayapen/SPF

Après deux années durant lesquelles elles furent entravées en raison de la crise sanitaire, le Secours populaire a pu renouer pleinement avec ses actions d’accès à l’art et à la culture, qui ont notamment rythmé un été 2022 mené tambour battant. Chevillée depuis toujours au corps (et au cœur) de l’association, la culture permet à la fois de s’évader et de se recentrer, d’oublier les soucis du quotidien et de trouver sa place dans le monde. De ce bain de culture estival, voici un aperçu.

La vérité́ c’est qu’il y a des moments […] où tout ce qui empêche l’homme de désespérer, tout ce qui lui permet de croire et de continuer à vivre, a besoin d’une cachette, d’un refuge. Ce refuge, parfois, c’est seulement une chanson, un poème, une musique, un livre.

 Romain Gary, Éducation Européenne, 1945.

« Cela fait 5 ans que nous accompagnons des jeunes au Festival d’Avignon. Cette année, nous avons emmené des étudiants que nous aidons tout au long de l’année sur le plan alimentaire, confie Michèle Gouazé, secrétaire générale de la fédération des Hautes-Pyrénées du Secours populaire. Ils sont dans une telle situation de pauvreté que nous avons renoncé à leur demander une participation financière, qui pourtant ne s’élève qu’à quelques euros… » Quand la pauvreté et la précarité croissent, que la crise sanitaire a empêché durant deux ans ceux qu’elles frappent durement de souffler, la culture n’a jamais semblé si essentielle. Entre le 16 et le 25 juillet, une cinquantaine de jeunes des Hautes-Pyrénées mais aussi du Rhône, de l’Isère, des Pyrénées-Orientales ou de la Seine-Saint-Denis ont donc fait le déplacement jusqu’au fameux festival, pour vivre une expérience de vacances et de découverte culturelle et artistique. Rencontres avec les artistes, spectacles, ateliers d’expression, temps d’initiation à la pratique artistique : leur séjour fut riche. « Les années précédentes, nous avions emmené les boursiers de l’option théâtre du lycée Marie Curie ou encore des enfants du lycée agricole de Vic en Bigorre, continue la secrétaire générale. Ce partenariat avec le festival et les CEMEA est formidable. Les spectacles du in sont pris en charge par la direction du festival, les CEMEA se chargent de l’animation et la médiation culturelle et, de notre côté, nous finançons les spectacles du off que nos jeunes invités choisissent ».

L’âme aspire elle aussi à ses nourritures

« Les jeunes découvrent un univers qu’ils ne connaissaient pas auparavant, voire qu’ils ne soupçonnaient pas », conclut Michèle Gouazé. C’est en effet l’un des effets cardinaux de l’accès à l’art et à la culture : l’ouverture. Annick Wemeaux, membre du Bureau national du Secours populaire en charge de la culture, considère que cette dernière « élargit notre horizon, nous incite à sortir de notre sphère, à déverrouiller notre regard sur le monde, à atténuer nos différences et à s’accrocher aux valeurs universelles ». La culture serait moins une des solidarités possibles à déployer que le socle même de l’action solidaire du Secours populaire, songe-t-elle : « Association agréée d’éducation populaire depuis 1983, le SPF fait de l’éducation populaire le fondement de ses actions et se mobilise au quotidien pour reconnecter les personnes accueillies avec le monde extérieur, en leur proposant des sorties culturelles mais aussi en les encourageant à participer à des ateliers de pratique artistique. » Vingt années après cet agrément, en 2003, le Congrès national de l’association qui se tenait à Agen enfonçait le clou : « La culture, ça change la vie », son mot d’ordre, recueillait tout le fruit de décennies d’efforts et reconnaissait définitivement l’accès à l’art et la culture comme constitutif de la solidarité mise en œuvre quotidiennement par ses bénévoles. A savoir : une solidarité qui envisage farouchement l’être humain dans sa globalité – un être dont l’âme aspire elle aussi à ses nourritures. « La prise en compte globale des personnes que nous accueillons suggère l’épanouissement de l’être humain, le développement de son esprit critique, la créativité, la pratique de la citoyenneté », précise Annick Wemeaux.

Cet été, le Secours populaire s’est offert un bain de culture
Les enfants du Secours populaire des Alpes-de-Haute-Provence visitent le musée du Quai Branly. Paris, le 21 juillet 2022. © Jean-Marie Rayapen / SPF

Il y eut cet été bien d’autres festivals auxquels se sont rendus les personnes accompagnées par le Secours populaire. Dans la Creuse par exemple, des places ont été offertes aux familles pour se rendre au festival des arts de la rue les Précaires qui se tient dans plusieurs villes la première quinzaine d’août, ainsi qu’à de nombreux jeunes pour vivre les concerts du festival rock Check In Party, les 19 et 20 août à Guéret. Les Francofolies quant à elles ont continué un partenariat noué de longue date en y apportant une innovation : la possibilité pour les festivaliers d’acheter des billets suspendus, qui seront offerts aux personnes accompagnées par le Secours populaire dès l’été prochain. Émilie Yakich, directrice du Chantier des Francofolies, initiatrice de cette belle idée, résume : « Il fallait déployer de nouveaux leviers, afin que tout le monde puisse se réunir en 2022. Un festival est l’occasion de sourire à des inconnus, de vivre des émotions avec des gens que l’on n’a pas l’habitude de côtoyer. » Ces émotions, elles peuvent aussi être vécues lors de séances de cinéma en plein air et nombreuses sont les fédérations du Secours populaire qui, cet été, y ont accompagné leurs publics. En Haute-Garonne, un partenariat noué avec la Cinémathèque de Toulouse, que douze adolescents avaient d’ailleurs visitée la semaine précédente, a permis à une cinquantaine de personnes de vivre une telle séance en plein air le 29 juillet.

S’émerveiller et comprendre, oublier le stress du quotidien

La culture de l’esprit comme du corps : ainsi la fédération de Paris a imaginé son programme de sorties culturelles pour cet été. Les 12 juillet et 2 août, des familles ont visité le 13ème arrondissement de la capitale tout en suivant une initiation au taekwondo tandis que d’autres, les 29 juillet et 18 août, ont découvert lors d’une visite guidée le quartier Sainte-Anne (surnommé le quartier japonais) ainsi que la pratique du judo et du karaté. Paris, la plus belle ville du monde, certains viennent de loin pour la découvrir : ce fut le cas de 30 enfants des Alpes-de Haute-Provence qui durant trois jours ont pu y séjourner. Au programme : visite du musée du quai Branly, bateau mouche, jardin d’acclimatation et visite de la Tour Eiffel. La culture, nous suggère le Petit Robert, est l’« ensemble des aspects intellectuels, artistiques d’une civilisation » : c’est bien dans cette acception large que le Secours populaire l’envisage. Grâce à son action, des familles parisiennes ont pu se frotter à l’architecture, participant à l’atelier « Architectures en boîte » ou visitant l’exposition « Machu Picchu » à la Cité de l’architecture et du patrimoine, ou aux sciences, lors de la visite de l’exposition du planétarium de la Cité des sciences. La Fédération des Hauts-de-Seine, elle aussi, a eu à cœur cet été de faire (re)découvrir le patrimoine aux personnes qu’elle accompagne tout au long de l’année, mêlant visites et ateliers, découverte et pratique. Par exemple, la visite du château de Vincennes et de la Conciergerie s’est enrichie d’un atelier de construction avec l’artiste Olivier Grossetête, célèbre pour les œuvres gigantesques et éphémères qu’il édifie dans le monde entier. Les découvertes de la ville de Provins, du château de Versailles et du Jardin des Plantes se sont doublées de jeux de pistes. Plus au sud, et en pleine nature assurément, la découverte émerveillée de l’étang de Langouarde occupa, le 13 juillet, 50 personnes accompagnées par le SPF de Gironde. Sa faune et sa flore, l’importance de son écosystème menacé les a pénétrées lors d’une balade naturaliste organisée sur ses rives. Au mois de juillet toujours, d’autres balades et d’autres découvertes se déroulèrent à la réserve ornithologique du Teich ou sur la belle plage du Grand Crohot du Cap Ferret. Là, ils furent une cinquantaine à participer à un atelier éco-océan et à s’initier au surf… Le corps et l’esprit, donc.

Cet été, le Secours populaire s’est offert un bain de culture
Les enfants du Secours populaire de Loire-Atlantique, lors d’un atelier de découverte de l’apiculture, extraient le miel des ruches. Nantes, le 29 juin 2022. © Lisa Miquet / SPF

La main du logo du Secours populaire, imaginée par l’atelier de création graphique Grapus dans les années 80, est dotée d’ailes. C’est une main tendue, une main ouverte, une main qui s’élève et élève. L’émancipation et l’épanouissement que permettent les rencontres et l’enrichissement suscité par la culture y sont présents : cette idée a-t-elle traversé l’esprit des jeunes participants aux ateliers de création sculpturale, mis en œuvre par le Centre Pompidou de Metz et le SPF de Moselle autour du logo de l’association ? Dans le département tout proche des Vosges, le 4 août, les enfants ont découvert le Théâtre du peuple, classé monument historique, aux bancs de bois ornés de coussins ainsi qu’une fabrique de bonbons vosgiens : les activités culturelles permettent alors de comprendre l’origine des traditions qui rythment nos vies. En ce sens, la gastronomie et la gourmandise, c’est aussi de la culture ! Le Secours populaire de la Charente-Maritime s’en est souvenu quand, le 22 juillet, il a convié 20 personnes à participer à une promenade à la découverte des fleurs sauvages et à un atelier qui leur permit d’en tirer tisanes et sirops… Non loin, à Nantes, les enfants ont découvert quant à eux le monde merveilleux et fragile des abeilles et les secrets de la fabrication du miel. Partout en France cet été, comme toute l’année durant, dans tous les départements sans exception, les bénévoles, tissant des liens avec les acteurs culturels de leur territoire, ont imaginé des activités culturelles pour voir et faire, s’émerveiller et comprendre – et oublier, le temps d’une parenthèse, les soucis et le stress du quotidien. Depuis quelques temps, ils lui ont même trouvé un nom : les « Journées bonheur ».

Les familles sont fières de fréquenter ces lieux et en redemandent

« Bien sûr, le bonheur ne s’arrête pas à la tombée de la nuit ! », souligne avec humour Nicole Higelin, secrétaire départementale en charge de la culture et de la communication de la fédération de l’Allier, quand elle expose le programme des « Soirées bonheur » qui se sont tenues tout l’été à Moulins. Grâce à un partenariat noué avec le CNCS (Centre national du costume de scène), les personnes aidées ont pu vivre pleinement le programme vespéral imaginé par l’équipe de l’établissement culturel. Pique-nique bio concocté par les jeunes agriculteurs de l’Allier et promenade dans les jardins du musée puis concert et spectacle. Le 12 juillet, 15 personnes ont ainsi été conviées, savourant outre les mets agricoles la musique du Jazz Club Moulinois puis un spectacle de danse inspiré de l’univers des fables de La Fontaine. Elles se sont même vu offrir une visite insolite et nocturne du Centre. Ceux qui vinrent le 9 août plongèrent dans l’univers de Molière, avec une fresque réalisée en live painting autour du dramaturge et une représentation en plein air du Bourgeois Gentilhomme. « Cela fait deux ans que nous y invitons des familles et toutes souhaitent revenir. Elles sont fières de fréquenter ces lieux alors qu’au départ, elles ne le souhaitaient pas, pensaient qu’elles n’y avaient pas leur place, que leurs enfants n’aimeraient pas », songe Nicole Higelin. Avant de conclure : « Une fois le pas franchi, elles en redemandent ! »