Émanciper
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Engagement solidaire
« C’est notre Congrès à tous ! »
Le 40e Congrès du Secours populaire, intitulé « Pour que le monde tourne autrement, faisons grandir la solidarité », s’est tenu du 28 au 30 novembre à Lille. Les 1200 délégués ont, trois jours durant, imaginé les solidarités de demain et élu les nouvelles directions de l'association. Reportage
Sous le regard des deux Géants du Nord qui dominent le hall du Palais des Congrès de Lille, les délégués du 40ème Congrès du Secours populaire arrivent en masse. Il est à peine 9 heures ce vendredi matin et les 1200 participants sont réunis – délégués pour la plupart mais aussi partenaires ultramarins et étrangers. La vision fugace de Mohamed Akser, responsable de l’association nigérienne touareg HED-Tamat, tête ceinte d’un chèche blanc, émergeant d’un boubou bleu du Sahara, au pied de Raoul et Rony, 10 mètres de hauteur cumulée, révèle la force rassembleuse d’une solidarité populaire et sans frontières. L’auditorium est empli quand Fabrice Belin, secrétaire général de la fédération du Nord, ouvre ces trois jours de travail et de convivialité par un discours vibrant. Il souhaite la bienvenue au nom d’« une région qui, depuis toujours, se bat pour la dignité, la justice sociale et la solidarité », d’« un peuple de courage et de combat ». Les luttes des résistants, des mineurs et des fileuses sont sœurs du combat contre la pauvreté et l’injustice qui anime les congressistes.
Mosaïque humaine
A la tribune montent trois jeunes femmes bénévoles de la région – trois figures d’engagement, héritières de ces luttes. Océane, de ses mots élémentaires et puissants, fait chavirer l’assemblée. Étudiante, elle connut la pauvreté, et c’est ainsi qu’elle rencontra le Secours populaire. Elle raconte la porte si difficile à pousser, la chaleur de l’accueil qui chasse la honte, la confiance qui revient. « Si c’est important d’être diplômée, c’est tout aussi important de manger à sa faim », conclut-elle. Hedil, lycéenne, appelle à l’engagement ; Neïla, du comité de Roubaix, célèbre la diversité des bénévoles qui constituent une « mosaïque humaine ». Telle mosaïque est sur scène : les 130 partenaires sont là, représentant 57 pays et une centaine d’associations qui « soulagent la souffrance de leur peuple », souligne Corinne Makowski, secrétaire nationale. Et de rappeler que « certains agissent au péril de leur vie ». En haut des gradins, au sein de sa délégation de la Creuse, Lucille Périot, secrétaire générale de la fédération, confie : « Je suis impressionnée par le nombre et la diversité de nos partenaires. La Palestine et l’Ukraine sont parmi les plus gros conflits mondiaux, c’est bouleversant de les avoir à nos côtés ». Côte à côte : c’est ainsi que le Secours populaire et ses partenaires cheminent, construisant un monde respectueux des droits humains.

C’est l’heure de revenir sur les deux années passées ; avant de peindre les perspectives de l’association, il convient de poser un regard sur le travail accompli. Partout, en France comme dans le monde, la solidarité s’est éployée ; sous les coups de boutoir des bénévoles, la misère a reculé, l’espérance s’est invitée. C’est ce que détaille d’abord Henriette Steinberg, secrétaire générale nationale, à l’occasion de son rapport moral et d’orientation. Celle-ci invoque les bégaiements de l’histoire : « Nous connaissons des temps troublés, les mêmes qui ont vu la création du Secours populaire ». Thierry Robert, secrétaire national, évoque lui aussi dans son rapport d’activité une planète entre ombre et lumière, un monde blessé mais animé d’une aspiration à la paix. « Dans ce monde fracturé, nous avons fait le choix de la solidarité, de la coopération et de l’espoir », détaille-t-il, avant de revenir sur l’action tous azimuts du Secours populaire, ses bénévoles, ses partenaires, s’attachant à la Journée des oubliés des vacances qui, invitant plus de 40 000 enfants à Paris, offrit à l’association le plus beau des anniversaires – 80 ans fêtés avec le rire des enfants.
Musique nouvelle et message éternel
Enfin, Mario Papi et Françoise Vis, trésoriers nationaux, livrent leurs rapports de politique et d’orientation financières, tissant des fils entre les chiffres et les actes quotidiens des bénévoles. Ils appellent à rester vigilants contre la dérive marchande de la vie associative, indépendants en diversifiant les ressources tout en repensant leur utilisation pour coller aux enjeux d’un monde en mutation. C’est Léonore, 14 ans, plus jeune membre du Comité national et bénévole dans le Rhône, qui offre à cette matinée ses derniers mots ; dans sa bouche, le slogan du Secours populaire « Tout ce qui est humain est nôtre », imaginé dès 1938, offre une musique nouvelle à son message éternel.
Peuvent alors commencer les travaux des délégués. L’après-midi du vendredi est consacré aux « ruches », tablées de 10 personnes qui réfléchissent sur le thème du Congrès, « Pour que le monde tourne autrement, faisons grandir la solidarité ». Comment mobiliser le plus grand nombre ? En quoi la solidarité permet de transformer le futur ? Les délégués, répartis sur une centaine de tables, travaillent ensemble à offrir à l’association sa feuille de route pour les deux années à venir. Le dispositif permet à chacun de s’exprimer. « Les ruches sont devenues un rendez-vous très attendu », souligne Stéphane Lepage, directeur de l’Institut de formation du Secours populaire. « Les 150 animateurs sont des bénévoles issus de tout le mouvement – les comités locaux, les fédérations. C’est notre Congrès à tous ! ».
Tendresse et respect
Chaque table octogonale – telle la cellule d’une ruche abeillère – semble une représentation miniature du Secours populaire dans sa diversité. Dirigeants aguerris et nouveaux bénévoles s’y côtoient ; des enfants, des jeunes, des partenaires internationaux y siègent. La solidarité est l’espéranto qui permet de dialoguer par-delà les générations et les cultures pour construire un monde commun – le monde plus juste, plus solidaire de demain. Une des tables est animée par Lellya et Élisa, bénévoles à Ajaccio. La seconde, 12 ans, prend note pour le rapport final ; la première, 15 ans, anime les débats. La plupart des présents à la table ont quatre, cinq fois leur âge mais cela n’a aucune incidence. Un immense respect règne – et beaucoup de tendresse, assurément. « Je suis fière de la place qu’ont pris les enfants bénévoles “Copain du Monde”. C’est la première fois que les enfants sont des délégués à part entière : pour cela, ce Congrès fera date ! », se réjouit Alice Meunier, membre du Comité départemental du Val-de-Marne et du Comité national.

Les ateliers qui occupent le samedi permettent aux délégués de réfléchir sur des sujets chers au Secours populaire, tels l’émancipation des personnes accompagnées ou la transmission et le partage des savoirs. « Ce Congrès, en lui-même, est un temps de formation et de transmission de nos valeurs, de notre histoire », réalise Emmanuelle Saillard, secrétaire générale de la fédération de la Manche. En ces ateliers, les bénévoles, ainsi que les partenaires étrangers, partagent leurs expériences et leurs pratiques, révélant l’inventivité et l’expertise de terrain d’un réseau solidaire qui s’adapte aux besoins, aspirant à redonner aux personnes leur pouvoir d’agir. Lilit Amarian, de l’association arménienne Winnet, déborde d’enthousiasme quand elle évoque l’aide apportée aux familles déplacées du Haut-Karabagh. « Ce que nous désirons, c’est accompagner les personnes et puis les pousser pour qu’elles avancent toutes seules ! »
Osons !
« Une envie débordante d’échanger ! » Julien Villain, membre du Bureau national, est l’un de ceux qui a la charge, en ce dimanche matin, de restituer la quintessence de ces temps de travaux collectifs. Grâce aux 108 ruches et aux 15 ateliers, chacun des 1200 délégués a pu s’exprimer sur son engagement, confier ses doutes et ses espoirs, mûrir des idées nouvelles. Nicolas Jaffré, autre membre du Bureau, brandit une liasse de plus de 2000 pages devant les yeux médusés de l’assemblée. « Résumer toute cette richesse, c’était presque mission impossible ! » Les rapporteurs montent sur scène et y réussissent cependant. Soutenue par les dessins de « facilitation graphique » de la talentueuse illustratrice Amélie, déclamée en vers ou incarnée en jeux de rôle, la restitution est à l’instar des travaux : inventive, construite sur le dialogue, emplie de joie, irriguée par un travail soutenu. « Ce n’est pas grave si l’on ne fait pas comme d’habitude, sourit Enora Danigo, 16 ans, membre du Comité départemental dans le Val-de-Marne. Osons porter un regard neuf ! ». « Prendre le temps, c’est déjà agir », poursuit-elle, en un éloge de la prise de recul.

« L’émancipation et l’éducation populaire ne sont pas des slogans, ce sont des pratiques, poursuit Émilie Schaff, membre du Comité national et déléguée du Calvados. C’est écouter avant d’agir. C’est accompagner sans remplacer. C’est reconstruire en redonnant confiance. (…) Continuons à agir vite, agir juste, agir dignement. » S’ensuit le vote des délégués pour les instances de direction nationale, celles-là mêmes qui auront pour tâche de veiller à la bonne application de la feuille de route écrite ensemble ce week-end, respecter l’esprit et l’engagement des délégués de ce 40ème Congrès national du Secours populaire, cette jeune association qui fête ses 80 ans.
Une même humanité
Le Congrès touche à sa fin quand une silhouette gracile de ballerine s’avance, à peine vacillante, vêtue de noir et rouge – et le casque d’or des cheveux. C’est la chanteuse Isabelle Aubret, une artiste qui a soutenu le Secours populaire dès la fin des années 50. Une enfant du pays. « Vous êtes entrés dans ma vie lorsque j’avais 7 ans. Papa était ouvrier, nous n’avions pas beaucoup d’argent et vous étiez déjà là. » Ce sont des mots simples dont l’universalité font couler les larmes sur les joues de Letti Hailu, de l’association éthiopienne FSA. Océane vendredi matin, comme Isabelle ce dimanche midi rappellent, en des mots décochés telles flèches en plein cœur, que la solidarité est irremplaçable pour celles et ceux qui la reçoivent. Que ceux qui aident et ceux qui sont aidés forment une même humanité. Durant trois jours d’automne, 1200 délégués du Secours populaire se sont réunis pour le rappeler.

Je m’engage : je deviens bénévole !
Au Secours populaire, toutes les bonnes volontés sont les bienvenues. Chacun apporte son soutien à sa mesure. C’est grâce à la convergence d’énergies généreuses que nous agissons ensemble, pour un monde plus juste et plus solidaire.