Émanciper
Belgrade : la solidarité est un sport collectif

Le partenaire serbe du Secours populaire, CYI (Center for Youth Integration – Centre pour l’intégration des jeunes), a organisé, du 6 au 11 juillet à Belgrade, un Camp sportif et solidaire pour une centaine d’enfants. Originaires de Serbie, Bosnie, Monténégro et France, ils ont pu, à travers le sport, se rencontrer, éprouver la richesse des différences et les vertus de la solidarité.
La fraîcheur qui règne à l’intérieur du gymnase tranche avec les températures caniculaires de Belgrade – même les grands arbres échouent à adoucir le climat. Après deux journées passées au sein de la forteresse de Kalemagdan et ici, dans le parc et la forêt de Kosutnjak, la centaine d’enfants participant au Camp sportif et solidaire se réunissent, ce mardi 8 juillet, sous le toit ajouré de l’immense bâtiment. Au programme, comme chaque jour de cette semaine exceptionnelle organisée par le CYI, partenaire serbe du Secours populaire : des activités sportives. Dans l’enceinte de la salle de sport résonnent les musiques mêlées de langues du monde entier. CYI a d’abord invité les enfants et les jeunes que ses professionnels et bénévoles accompagnent tout au long de l’année, dans le cadre de programmes d’insertion sociale. Courent et rient dans le gymnase des enfants roms, vivant dans des bidonvilles à la périphérie de la capitale, ainsi que des enfants réfugiés habitant le camp de Krnjaca – afghans, ukrainiens, burundais, syriens… A ceux-ci, comme à des centaines d’autres, les équipes de CYI prodiguent attention et amour ; opiniâtrement, ils luttent pour que soient respectés leurs droits – à l’éducation, la santé, les loisirs, à être protégé. Leur droit au bonheur. Les enfants bosniaques et monténégrins conviés sont eux aussi des enfants marginalisés et en situation de grande pauvreté dans leurs pays. Les enfants français invités sont, quant à eux, des enfants « Copain du Monde », c’est-à-dire de jeunes bénévoles du Secours populaire du Val-de-Marne, ainsi que des enfants de l’association perpignanaise sportive USEPMM, autre partenaire français de CYI.
« Je crois que tout le monde est heureux »
Olivier, le responsable de l’USEPMM, aidé de Sidi, l’un des interprètes de CYI, explique aux jeunes, par petits groupes, les règles du sport qu’ils pratiqueront cette matinée : le rugby. Dans son enthousiasme, il recourt parfois à un langage des signes improvisé qui fait rire l’assistance. Pour gagner des points, il faudra, plus que marquer des essais, faire preuve de fair-play, insiste-t-il. « Votre principal objectif, ce sera d’aider ceux qui jouent moins bien que vous. » Constitués en équipes de huit, les jeunes se répartissent dans les différents terrains délimités par des plots colorés. Rares sont les enfants qui connaissaient le rugby : quelle étrange chose que de faire des passes derrière soi ! Les jeunes Français leur montrent comment faire, avec patience et pédagogie. Les gestes sont d’abord hésitants mais s’affirment bientôt, les mécanismes collectifs se mettent en place, le plaisir de jouer éclate. Alice, animatrice bénévole du Secours populaire, encourage son équipe. Celle-ci est à l’image de la diversité à l’œuvre, comptant, outre Astrid et Wendy, deux enfants Copain du Monde qu’elle connaît bien, deux enfants bosniaques, deux jeunes serbes ainsi qu’Helena, une petite fille réfugiée du Burundi. Malgré leurs différences, la cohésion et l’entraide impressionnent. « Grâce au sport collectif, une autre communication peut s’installer entre nous » analyse Wendy.

Entre chaque partie, la jeune fille de 15 ans, engagée au sein du club « Copain du Monde » de Vitry-sur-Seine, retrouve son amie Sanja. Elles se sont rencontrées l’année passée, quand de jeunes Serbes accompagnés par CYI sont venus en France. « J’ai rencontré mes amis serbes lors d’un Village Copain du Monde, témoigne Wendy. Par exemple, nous avons rendu visite à des personnes âgées dans un EHPAD. Ca me fait tellement plaisir de les revoir ; je me rends compte qu’ils m’ont manqué ». Les premiers jours, Sanja semblait distante. Il a fallu un peu de temps pour retrouver leur complicité passée. Qui sait ce que Sanja a traversé, et traverse encore aujourd’hui ? Elle a grandi, comme tous les enfants roms accompagnés par CYI, « dans une extrême pauvreté, dans un campement sans électricité, sans eau courante, luttant pour survivre, étant contraints à travailler dès le plus jeune âge », rappelle Dragana, coordinatrice du service d’accueil de jour de CYI. La rencontre avec les éducateurs et les travailleurs sociaux de l’accueil de jour de CYI ont permis à Sanja d’aller à l’école, d’être aidée dans ses besoins élémentaires tels se nourrir et se vêtir, d’être soutenue dans son éducation puis sa formation professionnelle. Elle a aujourd’hui 18 ans et la vie devant elle. Sur le terrain à côté court Elmedin, 11 ans. Les efforts fournis ne parviennent pas à estomper le sourire immense qui fend son visage. « Il y a une bonne ambiance et je crois que tout le monde est heureux, s’exclame le jeune Rom. Cette semaine au camp sportif, je rencontre des enfants d’autres pays : j’aime qu’on soit mélangés. Et je découvre de nouveaux sports ! » Elmedin rit aux éclats et repart comme une flèche : c’est à présent l’heure de jouer au basket-ball.
« Les amitiés qu’on lie dans le monde du sport durent toujours »
Venant de l’autre bout du gymnase, une haute silhouette s’approche, vive. Elle passe devant Kosta, jeune Russe réfugié qui fait tournoyer un ballon de basket-ball au bout de son doigt et multiplie les figures virtuoses, puis devant Hanna, petite Serbe de 6 ans, qui dort profondément sur un banc tandis qu’autour rebondissent ballons, rires et cris. Son tee-shirt se soulève doucement au rythme de sa respiration : sur son dos est inscrit au marqueur « Ronaldo 7 ». La haute silhouette, est celle de Marko, le fondateur et directeur de CYI, « fatigué mais heureux ». « L’objectif de ce camp sportif et solidaire est de faire se rencontrer des enfants issus de de cultures, de nationalités, de milieux sociaux différents et de les faire jouer ensemble, dans un esprit d’entraide, avance Marko. Il est possible de construire un monde meilleur en s’enrichissant mutuellement de nos différences. La solidarité signifie beaucoup pour nous parce que nous travaillons avec des enfants qui traversent des difficultés et vivent des traumatismes. Nous œuvrons pour qu’ils soient reconnus comme égaux, nous leur montrons de l’amour, nous luttons contre la discrimination. » Marko et son équipe ont travaillé une année durant à l’élaboration de cette semaine exceptionnelle, rendue possible grâce au soutien de nombreux partenaires qui leur ont « offert leur confiance » : des entreprises serbes, des associations internationales comme le Secours populaire. Tous les invités sont hébergés à l’hôtel Trim, sis en pleine nature, dans le complexe sportif de Kosutnjak. Outre la pratique de sports collectifs, le programme ménage des temps de découverte culturelle : balade en bateau sur le Danube, découverte touristique de Belgrade ou séance de cinéma en plein air.

Le lendemain, mercredi. Dans le petit jardin ombragé du Comité olympique, des chaises ont été soigneusement disposées pour accueillir les jeunes et leurs accompagnateurs. La basketteuse Sonja Vasic fait face à eux ; médaille de bronze aux JO de Rio 2016, médaille d’or à l’Eurobasket 2021, elle est l’une des plus grandes athlètes serbes. Elle confie ses souvenirs olympiques, partage ses réflexions sur les vertus du sport. « Être athlète cela permet de mieux se connaître, se lier aux autres, évacuer les mauvaises énergies, cultiver une bonne santé. » Puis répond aux nombreuses questions que lui posent les jeunes. « Un vie d’athlète ne dure qu’un temps mais les amitiés qu’on lie dans le monde du sport durent toujours », conclut-elle. Dans l’assemblée, ses mots résonnent. Les jeunes ont conscience que des amitiés sont en train de se nouer – et qui se renforcent encore le lendemain jeudi, dernière journée, passée sur l’île fluviale d’Ada, un endroit prisé des belgradois, écrin de verdure bordé de plages et accueillant un vaste lac. Là, les animateurs de l’USEPMM et de CYI ont imaginé une course d’orientation. « L’objectif, c’est de leur faire découvrir un des plus beaux endroits de Serbie, avec une nature fourmillante. Mais c’est aussi de les faire coopérer, s’entraider », résume Olivier. Avant que chacun des cinq groupes – autant que d’anneaux sur le drapeau olympique – ne se dispersent carte en main, les jeunes Serbes offrent à la ronde la spécialité que tout le monde adore, de petits croissants au jambon et à la feta obéissant au nom de kiflice. « Eux aussi, ils m’avaient manqué ! », s’amuse Wendy.
« C’est la solidarité qui a conduit votre effort »
Elmedin tire la flèche de toutes ses forces et la corde de son arc se tend, prête à rompre. Le garçon, concentré, vise. Quand la pointe se fiche au cœur de la cible, il est d’abord incrédule puis exulte. Au point d’arrivée de la course ont été disposées une dizaine de cibles, afin que les jeunes puissent expérimenter le tir à l’arc – engouement général. Quelques kiflice pour se rassasier et c’est la remise des médailles. Marko les tire d’un carton immense. A ses côtés, Filip Filipovic regarde les enfants assemblés. Marko et lui se sont rencontrés un jour que Filip est venu faire un don de vêtements à l’accueil de jour de CYI. Le champion, 1,96 mètres, 100 kg de muscles, double champion olympique et double champion du monde de water-polo, élu meilleur joueur du monde à trois reprises (2011, 2014 et 2021), semble intimidé. Avant de passer une médaille autour du cou de chacune et chacun des jeunes, il s’exprime. « J’ai gagné beaucoup de médailles mais, croyez-moi, elles ne valent pas celle que vous avez emportée aujourd’hui, car c’est la solidarité qui a conduit votre effort. Vous vivrez certainement quelques moments difficiles dans votre vie d’adulte. Je suis sûr que le souvenir de cette semaine vous aidera à puiser de la confiance et du courage pour les surmonter. » Ce jeudi est la journée la plus chaude de la semaine, aussi l’appel du lac est irrésistible, certains allant même jusqu’à s’y jeter tout habillés. A l’ombre d’un arbre, le petit groupe d’Alice réalise tout à coup : « Dans 24 heures, on a les résultats du brevet ! » Mais avant le retour à la réalité, il reste encore quelques heures de bonheur à grapiller avec les amis serbes, monténégrins, bosniaques et perpignanais. Pour la fête d’adieu qui doit se dérouler en fin de journée, chacun a prévu de se mettre sur son 31 et se donner à fond pour la dernière des épreuves sportives : la danse.

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