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Afghanistan : Fanoos, de Kaboul à Saint-Nazaire

Mis à jour le par Pierre Lemarchand
Fanoos Basir, dans le centre d'accueil du Razay, à Piriac-sur-Mer près de Saint-Nazaire, le 7 septembre 2021. ©Jean-Marie Rayapen/SPF

Suite à la prise de pouvoir des Talibans en Afghanistan, de nombreux citoyens afghans ont fui leur pays pour sauver leur vie. C’est le cas de Fanoos Basir, dont le mode de vie est réprouvé par le nouveau régime. Cette jeune sportive et ingénieure de 25 ans, depuis son arrivée dans un centre d’accueil en Loire-Atlantique le 25 août 2021, est soutenue par les bénévoles du Secours populaire. Reportage.

C’est une chaude après-midi de fin d’été, à Piriac-sur-Mer, petite station balnéaire de Loire-Atlantique, près de Saint-Nazaire. Sous les arbres, profitant de l’ombre qu’offrent leurs feuilles protectrices, des hommes et des femmes discutent par petites grappes, assis sur des chaises. Des rires et des cris d’enfants viennent parfois visiter le grand calme qui règne dans la cour du centre de vacances du Razay, situé face au camping du village. Habituellement, ce centre accueille des enfants lors de séjours de vacances mais ces jours-ci, ce sont d’autres pensionnaires qui en goûtent le gîte et le couvert. Arrivés le 25 août sur le territoire français, 88 réfugiés afghans parmi les milliers qui ont fui en catastrophe leur pays suite à l’arrivée au pouvoir des Talibans, ont été accueillis ici, sur ce bout de terre au bord de la mer, à 7000 km de Kaboul.

La tradition d’une solidarité internationale, universelle

Dans une des salles communes du centre, Denis Hubert, responsable du comité de Guérande du Secours populaire, tend un sac à Pauline, travailleuse sociale à France Horizon, association que les services de l’État ont missionnée pour gérer l’accueil des citoyens afghans exilés dans plusieurs régions de France, dont les Pays-de-la-Loire. Le sac contient des petits pots et un paquet de couches. « Ces produits sont destinés à un enfant de trois ans qui, d’après sa maman, et on s’en doute, est très fortement perturbé dans la situation actuelle. Voilà donc les petites choses que l’on peut faire pour rendre la vie plus facile pour cette jeune maman », témoignera ensuite Denis.

« Dès que nous avons su que la préfecture avait sollicité le SPF pour aider matériellement à l’accueil des réfugiés de Piriac-sur-Mer, nous nous sommes mobilisés, poursuit le bénévole. Le lendemain, nous arrivions au centre avec des vêtements, des produits d’hygiène… Depuis, nous sommes en contact quotidien avec France Horizon qui nous remonte les besoins de chacun », explique Denis. Danielle Alexandre, secrétaire générale de la fédération du SPF de Loire-Atlantique, souligne : « Je suis très fière de la réponse si rapide des bénévoles, en une période estivale qui n’est pas la plus facile. Leur engagement a été généreux et n’a jamais faibli. Ils ont ainsi fait honneur au très grand attachement de notre fédération à une solidarité internationale, universelle. »

Fanoos, ingénieure et footballeuse

Une petite pièce a été spécialement aménagée pour disposer des vêtements de tous âges et toutes tailles, que les bénévoles des trois comités du SPF mobilisés – Guérande, Saint-Nazaire et La Turballe – ont sélectionné afin que les 88 pensionnaires puissent se constituer une garde-robe, tous étant partis d’Afghanistan dans l’urgence et sans bagage. Une autre salle est dédiée aux enfants. Parcourant du regard les étagères garnies et débordant de couleurs, Denis confie : « Je ne parle malheureusement pas anglais, alors je n’ai pas pu échanger beaucoup avec les réfugiés. Mais quand j’ai apporté des jeux, des jouets et des ballons, là, avec les enfants, on s’est tout de suite compris et leur joie, ils ont su me l’exprimer très facilement ! »

Une jeune femme se détache d’un groupe et vient à notre rencontre. Un large sourire éclaire son visage quand elle nous salue. Fanoos Basir a vingt-cinq ans, elle est venue avec son frère et sa mère, qui est très malade. Son père n’a pas pu se résoudre à quitter son pays. Sa sœur est arrivée à Paris une semaine avant Fanoos : traductrice et assistante de grands reporters français à Kaboul, elle figurait sur les listes de personnes en danger de mort dressées par l’ambassade française suite à la prise de pouvoir des Talibans. Fanoos figurait également sur cette liste, qui rassemble par exemple des professeurs, des salariés de l’ONU ou des auxiliaires de l’armée française  : « J’ai été membre de l’équipe d’Afghanistan féminine de football de 2009 à 2016. J’ai ensuite suivi mes études pour devenir ingénieure en génie civil au Pakistan, à Islamabad. J’avais récemment trouvé du travail à l’Organisation internationale des migrations à Kaboul, où j’étais la seule femme dans mon équipe d’ingénieurs. J’étais aussi entraîneuse d’une équipe féminine de football… »

Afghanistan : Fanoos, de Kaboul à Saint-Nazaire
Fanoos en 2014, aux côtés de ses coéquipières de l’équipe nationale féminine de football d’Afghanistan. Elle est la deuxième sur la droite de la photo. (collection Fanoos Basir)

Vivre prisonnière dans son propre pays

Le visage ouvert et le discours clair de Fanoos sont contredits par l’agitation de ses mains où semble s’être réfugiée toute son angoisse. Le souvenir de son départ la hante encore, mais la jeune femme tient à témoigner du chaos mortifère dans lequel est plongé aujourd’hui son pays. « Quand l’ambassade française nous a appelés pour nous informer qu’elle avait mis nos noms sur les listes, elle nous a invités à venir à l’aéroport, se lance-t-elle. Je me suis couverte de la tête aux pieds du vêtement islamique, la burqa, que je déteste. J’ai tenté de parler aux Talibans, je leur ai montré l’invitation officielle de l’ambassade française mais ils m’ont repoussée, refusant de me parler car j’étais une femme. Ils tiraient des coups de feu dans la foule, sans pitié. Trois femmes sont mortes sous mes yeux. Hommes, femmes, enfants : ils frappaient indifféremment, avec des bâtons, lançaient des pierres. Je me suis protégée comme j’ai pu, j’ai enfoui ma tête dans mes bras. C’étaient un véritable cauchemar. »

C’est finalement dans un minibus affrété par l’ambassade que Fanoos et sa famille pourront pénétrer dans l’aéroport, après trois jours de terreur face à la violence des Talibans. « Quitter son pays est une immense gageure car alors, vous quittez tout : vos rêves, vos espoirs et votre foyer. Vous n’avez plus rien, continue la jeune femme. Mais si j’étais restée, j’aurais dû vivre comme une prisonnière dans mon propre pays. » Fanoos continue de remonter le fil du temps. « J’ai pris la décision de quitter mon pays après le 15 août, date à laquelle les Talibans ont pris le contrôle du pays. Sous leur régime, il n’y a aucune place pour des filles comme moi, qui veulent travailler, être indépendantes et libres. Ils ont beau dire au monde qu’ils ont changé, qu’ils permettront à présent aux femmes d’étudier et de travailler, mais tout cela est faux : ils n’ont pas changé et ne changeront jamais. »

Afghanistan : Fanoos, de Kaboul à Saint-Nazaire
Fanoos, en 2005, avec l’équipe de football de filles qu’elle a fondée dans le camp de réfugiés afghans où elle vivait au Pakistan, à Peshawar. Elle est à la gauche de l’entraîneur, en sweat-shirt rose. (collection Fanoos Basir)

Le langage de la solidarité

Fanoos et Denis ne peuvent pas se parler : elle ne connaît pas encore le français, lui ne parle pas anglais et encore moins afghan ! Ce qui les a fait se rencontrer et les lie indéfectiblement, c’est le langage universel de la solidarité. « Nous avons apporté la solidarité à ces réfugiés comme nous l’apportons à toute personne qui vient à frapper à notre porte, confie Denis. Nous les avons aidés comme nous aidons toutes les personnes qui se trouvent en très grande difficulté, quelle que soit leur nationalité, leur origine. Ce qui nous importe avant tout, c’est de répondre le plus vite possible aux besoins que nous décelons, de soulager leur détresse. » Fanoos, en écho aux propos de Denis qu’elle n’a cependant pas saisis, prolonge : « Nous n’avons rien pu apporter, nous avons tout laissé là-bas. Ici au centre, nous avons un lit pour dormir et trois repas par jour. Grâce au Secours populaire, nous avons aussi de quoi pourvoir à nos besoins premiers : des vêtements, des chaussures, des produits de toilette. Les bénévoles font tout pour que nous nous sentions chez nous ici ; ils nous font comprendre que la France est aussi notre pays maintenant, que nous y sommes bienvenus. »

Le Secours populaire aura, à sa mesure, apporté l’indispensable solidarité matérielle – ces « petites choses », comme les appelle Denis, pourtant si cruciales – ainsi que la chaleur humaine à ces 88 hommes, femmes et enfants, venus de l’autre bout du monde pour échapper à la mort et commencer une nouvelle vie. « Ce que j’espère pour l’avenir, c’est continuer mes études dans l’ingénierie civile afin d’exercer le métier auquel j’aspire, avance, décidée, l’Afghane. J’ai déjà tout perdu, mes rêves, mes espoirs, mon pays, aussi, si je perds mon métier, cela me brisera le cœur. J’aimerais aussi pouvoir rejouer au football. » Fanoos avait 6 ans quand elle a découvert ce sport et 9 ans quand elle a fondé sa première équipe avec d’autres filles d’un camp de réfugiés afghans au Pakistan. « Quand je jouais au foot, je ne couvrais pas ma tête, j’ai toujours refusé de le faire ! », précise-t-elle fièrement. Le football, comme ses études, sont essentiels pour cette jeune femme éprise de liberté. Une liberté que Denis et les autres bénévoles du Secours populaire auront concouru à préserver.

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