Afghanistan : dans la nuit, des lueurs d’espoir

Mis à jour le par Pierre Lemarchand
L'école maternelle d'Ali Shams à Kaboul, à l'heure de la sieste - 2013

L’association EPA (Ensemble Pour l’Afghanistan), à travers son antenne afghane "Lueur d’Espoir", œuvre pour l’éducation des filles et l’émancipation des femmes. « Chaque jour où une femme vient suivre un cours, une petite fille va à l’école, est un jour gagné contre l’obscurantisme. Le soutien du SPF est plus important que jamais », témoigne Wahid Nawabi, président d’EPA. Dans un pays conservateur, où les talibans sèment la terreur et gagnent à nouveau du terrain, l’action d’EPA, soutenue par le Secours populaire de l’Isère, est un acte de résistance. Une lueur d’espoir.

L’Afghanistan fait face à une recrudescence des actes terroristes perpétrés par les talibans dont la violence frappe les forces de sécurité du pays, ses représentants gouvernementaux mais aussi sa population civile. Ces six derniers mois, plus de 50 attaques suicides et 1250 attentats ont causé la mort d’au moins 1200 personnes. Le 24 octobre, 30 adolescents trouvaient la mort dans un centre éducatif de Kaboul suite à l’explosion d’un kamikaze et le 2 novembre, l’université de la capitale voyait 35 étudiants tomber sous les balles d’un commando. Dans ce contexte dramatique, où l’éducation semble être la cible privilégiée du terrorisme, l’action de l’ONG Ensemble Pour l’Afghanistan (EPA), dont la fédération de l’Isère du Secours populaire est l’un des soutiens, apparaît dans toute sa pertinence, son importance, sa résistance.

« Le projet d’EPA, et de son antenne en Afghanistan Lueur d’espoir, c’est d’agir sur l’ensemble de la chaîne éducative et d’en consolider la colonne vertébrale », avance Wahid Nawabi, président de l’association. Et aux prémices de la chaîne, il y a la petite enfance. C’est donc ici que commence l’aventure d’EPA : par la création de deux écoles maternelles à Kaboul, en 2003 – l’année consécutive à la chute du régime taliban. « Nous avons tout mis en œuvre pour faire de ces écoles des établissements de référence. Nous en avons également fait le lieu des formations des instituteurs du pays, celles-ci ayant disparu avec la guerre… », continue Wahid. 

Le choix de se tenir aux côtés des filles

En 2015, EPA s’investit dans la création d’une troisième école, en zone rurale cette fois-ci, où aucune école n’existe : dans le village d’Alice Ghan, à 60 km au nord de la capitale. « Comme pour les écoles de Kaboul, celle-ci fournit le matériel pédagogique ainsi que la collation et les repas chauds du midi. Et là, pour la première fois, nous prenons en charge les salaires des enseignants », éclaire Wahid. C’est sur ce projet que la rencontre avec le SPF de l’Isère s’opère et, grâce au soutien de ce dernier, une troisième classe est bientôt ouverte dans l’école d’Alice Ghan. En bientôt vingt ans, ce sont plus de 2000 élèves qui auront été éduqués dans ces trois écoles, ainsi que 150 institutrices formées. 

« Après l’ouverture des deux écoles de Kaboul, nous avons décidé de nous intéresser aux enfants après la maternelle. Nous avons étendu notre soutien à cinq lycées de filles en y organisant la formation d’environ 700 enseignantes ainsi qu’un soutien scolaire.» Durant les huit semaines d’hiver que durent les grandes vacances afghanes, les filles des établissements scolaires du 7ème district de la capitale ont ainsi pu être accompagnées dans leurs apprentissages. Se tenir aux côtés des filles, c’est un choix fort dans un Afghanistan conservateur, où seules 30% des filles ont accès à l’école.

De l’espoir, de l’école maternelle à l’Université

En 2007, l’équipe d’EPA consolide un peu plus la « colonne vertébrale » de l’éducation des filles, en mettant en place un système de bourses pour que les bachelières les plus modestes puissent suivre des études supérieures. « L’université est gratuite mais des frais demeurent une charge pour les familles : les photocopies, les transports et un repas chaud le midi. Rien que cela, pour une famille modeste, ça peut représenter 30 à 40% du budget familial », commente Wahid. Elaha, jeune étudiante en médecine de 18 ans, confirme : « Nous sommes une famille nombreuse avec des parents éclairés qui nous ont toujours encouragés à poursuivre nos études. La bourse d’étude d’EPA aura été décisive pour soulager mes parents et m’aider à devenir médecin, je l’espère ». Le Secours populaire de l’Isère soutient ce programme depuis 2018 et a contribué à ce qu’une quarantaine de jeunes femmes aient obtenu leur diplôme, dans des domaines aussi divers que la médecine, l’anglais, les beaux-arts, le droit, la biologie, la chimie… Actuellement, une cinquantaine d’étudiantes bénéficient de ces bourses dispensées par EPA.

Afghanistan : dans la nuit, des lueurs d'espoir

Des étudiantes diplômées, aidées par EPA dans le cadre de son programme de bourses d’études, en 2013.

Après les enfants, les adolescentes et les jeunes filles, c’est naturellement qu’EPA impulse des activités pour les femmes. Le déclic se produit en 2010, avec l’ouverture de la maison de quartier de Tchelsetoun. L’objectif premier est d’offrir, dans un pays où 90% des femmes sont illettrées, des cours pour apprendre les savoirs élémentaires : lire, écrire et compter. Wahid éclaire : « La maison est implantée dans un quartier conservateur, dans un pays conservateur. Nous avons donc mis en place des cours de couture, qui sont un peu le cheval de Troie pour accéder à d’autres connaissances. Et puis, la couture nécessite de prendre des mesures ! » 

Développer le goût de l’apprentissage et changer les regards

Dans la maison de quartier, les salles de cours se mêlent bientôt à une salle de consultation médicale : un dispensaire de suivi de grossesse voit le jour. « En Afghanistan, nous avons un taux de mortalité maternelle et infantile parmi les plus élevés du monde (1,7%, ndlr). Très peu de femmes accouchent avec l’aide d’un soignant », explique Wahid. A travers ces trois volets d’activité, la maison de quartier est devenue dans le quartier de Tchelsetoun un centre de ressources reconnu et fréquenté au total par une centaine de femmes chaque jour, entre 15 et 45 ans. « Ce qui nous réjouit beaucoup, c’est que s’est développé un goût pour l’apprentissage. Il y a des écolières qui viennent pour se perfectionner. Il y a des femmes qui sont entrées avec le premier niveau d’alphabétisation et qui s’inscrivent aux niveaux supérieurs », s’enthousiasme Wahid.

« J’ai terminé le niveau 3 d’alphabétisation et je poursuis en niveau 4. Depuis que j’assiste à ces cours, ma vie a complètement changé, témoigne Hassina, 22 ans. J’écris avec aisance. Je lis des livres. Je suis en mesure d’aider mes frères et sœurs dans leurs devoirs d’école. Avant, j’étais cloîtrée à la maison, je n’avais pas le courage de parler avec des gens alors que maintenant je communique aisément avec tout le monde. » Zarmina, 28 ans et mère de 2 enfants, confie quant à elle : « Mon mari est illettré et refusait que je vienne à ces cours. C’est grâce à ma belle-mère que je suis ici car elle lui a fait comprendre qu’il fallait au moins une personne dans le foyer capable de lire et écrire pour les besoins du quotidien. Le regard porté sur moi par ma belle-famille a radicalement changé ! »

Sur un chemin enténébré, mille lumières

A la scolarité et à l’éducation populaire s’ajoute un troisième volet, qui structure l’action d’EPA : le micro-crédit. Au départ imaginé en 2007 pour les paysans maraîchers, il consiste en l’octroi d’un crédit de 1200 € à 0%, remboursable en 5 ans, et permettant d’acheter une vache, des semences et un terrain. « Les résultats de ce programme ont dépassé nos attentes, témoigne Wahid. Au bout de 5 ans, les crédits étaient entièrement remboursés, les familles avaient triplé leur niveau de vie et étaient autosuffisantes. Auparavant, c’étaient des travailleurs journaliers précaires, sans visibilité. A présent, ils sont maîtres de leur production et de leurs revenus. » L’un des critères pour obtenir ce crédit est la scolarisation des enfants, EPA créant ainsi des synergies entre les différents volets de son activité. « Les actions éducatives d’EPA se déroulent toutes dans le district 7 de Kaboul ou dans le petit village d’Alice Ghan. Nous agissons sur le long terme et de manière locale, de manière à couvrir différents domaines de cette vie locale », détaille Wahid.

Afghanistan : dans la nuit, des lueurs d'espoir

L’école maternelle du village d’Alice Ghan, en 2018

L’émancipation : tel semble être la lumière qui guide les volontaires d’EPA sur le chemin, aujourd’hui enténébré, de ses actions en Afghanistan. Depuis le début de l’année 2020, les activités à Alice Ghan ont dû être momentanément suspendues, la présence nombreuse des talibans rendant l’ouverture de l’école et du dispensaire de santé trop dangereuse. Les actions d’EPA se concentrent dorénavant sur le 7ème district de Kaboul ; ainsi en va-t-il également du soutien du Secours populaire. L’action d’EPA doit se poursuivre coûte que coûte, avance Wahid : « Certes la situation est chaotique, l’insécurité grandit, l’intégrisme prend de l’ampleur. Dans ce contexte très difficile, chaque jour où une femme vient suivre un cours, une petite fille va à l’école, est un jour gagné contre l’obscurantisme. Le soutien du SPF est plus important que jamais. Si les organisations telles EPA se désengagent, alors il n’y aura plus d’espoir… »

Le nom de l’antenne locale d’EPA prend alors tout son sens : « Lueur d’espoir ». C’est bien de cela qu’il s’agit : faire naître, quand la nuit tombe et menace de tout recouvrir, des sources de lumière. Allumer de tenaces bougies. Nourrir des lueurs d’espoir.