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A Tarbes, les jeunes reprennent pied

Mis à jour le par Olivier Vilain
Les parcours d’Ethan et de Morgane sont totalement différents mais ils se retrouvent au Secours populaire de Tarbes pour un nouveau départ, auprès de bénévoles qui leur font confiance.

Depuis 2019, seize adolescents et jeunes ayant arrêté leurs études sans diplôme sont accueillis en service civique par Éric et l’équipe de bénévoles pour reprendre confiance en eux. Ils repartent tous et toutes valorisés et en ayant déterminé, avec des partenaires de l’association, le métier vers lequel ils veulent se tourner.

C’est l’heure. La distribution alimentaire commence. Plusieurs femmes attendent dans les couloirs de la fédération du Secours populaire à Tarbes. Morgane, comme d’autres bénévoles, les accueille avec un grand sourire dans la salle où sont présentées, sous la lumière des néons, les denrées avec lesquelles elles rempliront leurs cabas et leurs sacs. « Je les accompagne dans leur circuit », dit la jeune femme, de la viande entreposée dans le congélateur aux pâtes et aux boîtes de sardines, de thon ou de raviolis, rangées sur les étagères, en passant par les produits laitiers placés dans le réfrigérateur. Morgane les aide à choisir et leur donne les quantités qui correspondent à la taille de leur famille. Pendant ces quelques minutes, il n’est pas rare qu’elles lui « racontent leurs difficultés ». « Souvent, elles me remercient pour mon écoute, ça me fait très plaisir. »

En face de l’entrée, une autre porte donne sur l’entrepôt dans lequel sont conservés les stocks alimentaires. Peu après le début de la distribution, Ethan s’y affaire. Mince, cheveux mi-longs attachés, le jeune homme déplace avec le chariot élévateur un nombre impressionnant de packs de lait. « Mon père est magasinier à Leclerc. Il m’a emmené plusieurs fois sur son lieu de travail », dit-il dans un sourire. Comme Morgane et Ethan, les bénévoles de Tarbes ne chôment pas car un quart des ménages vit sous le seuil de pauvreté. Un niveau plus élevé que toutes les communes de taille similaire de la région : c’est presque dix points de plus qu’Auch ou Rodez, qui sont proches de la moyenne nationale (14 %).

« Avec l’explosion du coût de la vie, beaucoup n’y arrivent plus. »

« Nous recevons 40 % de personnes aidées en plus depuis le début de la pandémie et le premier confinement, indique Michèle Gouaze, la dynamique secrétaire générale de la fédération. L’activité n’a pas repris comme avant. Les gens cherchent du travail dans le tourisme dans les stations des Pyrénées ou à Lourdes. » Ancienne commune industrielle résonnant au rythme du secteur de l’armement et du rail, Tarbes a vu ses grandes usines fermer les unes après les autres ces 30 dernières années. On ne peut plus voir, à l’heure de la fermeture des ateliers, les rues remplies de milliers d’ouvriers en bleus de travail rentrant sur leur vélo ou au volant de leur voiture. Les gens venant au Secours populaire ne perçoivent pas les aides auxquelles ils ont droit. « Ils peuvent ne pas avoir de mutuelle juste parce qu’ils ne savant pas utiliser un ordinateur, explique Michèle Gouaze. Ou alors, ils n’ont pas pu renouveler leur demande de RSA… La plupart du temps, nous devons les aider à régler ce genre de problèmes administratifs ou alors ceux qu’ils rencontrent avec les banques. Et avec l’explosion actuel du coût de la vie – entre l’essence, l’électricité, l’alimentation et les loyers –, beaucoup n’y arrivent plus. »

Eric s'est occupé depuis trois ans de 16 jeunes. Le principal, il insiste, est qu’ils repartent tous et toutes « en ayant repris confiance en eux » et « découvert des capacités qu’ils ne soupçonnaient même pas » !

Eric s’est occupé depuis trois ans de 16 jeunes. Le principal, il insiste, est qu’ils repartent tous et toutes « en ayant repris confiance en eux » et « découvert des capacités qu’ils ne soupçonnaient même pas » !


A 17 ans tous les deux, Morgane et Ethan ne sont pas tout à fait des bénévoles comme les autres. Ils effectuent un service civique après un accroc à leur scolarité au début de l’année scolaire 2021/2022. « Quand ils sont arrivés ici, tout le monde les a accueillis à bras ouverts. Ici, ils sont utiles et baignent dans la bonne humeur. Le but est de leur redonner confiance en eux », souligne Michèle Gouaze, qui ajoute qu’Éric les suit attentivement, facilitant ainsi leur découverte du monde associatif, côté coulisses. « Certains jeunes arrivent avec un passé douloureux, des problèmes familiaux ou à l’école, etc., explique Éric, salarié du Secours populaire qui est un peu le ‘‘maître de stage’’ des jeunes qui se succèdent depuis trois ans. Ici, ils repartent à zéro. On leur fait confiance, on leur confie des responsabilités, comme tenir une caisse, assurer des brocantes… Ils constatent en pratique qu’ils savent faire plein de choses et peuvent avoir leur propre regard sur le monde. »

Des parcours scolaires heurtés pour des enfants de catégories populaires

Les personnes aidées y gagnent, bien sûr. Mais le Secours populaire tire aussi parti des capacités des jeunes. « Ils sont efficaces, poursuit Michèle Gouaze. Ils ont des compétences, en particulier avec les ordinateurs, que nous n’avons pas forcément », s’amuse-t-elle. Arrivée depuis deux mois, Morgane confirme, durant une pause de quelques minutes tandis que les personnes aidées continuent d’arriver : « Tout le monde est sympa avec nous et le fait de parler toute la journée avec des gens que je ne connais pas m’a permis de dépasser ma timidité, qui était très forte. Je suis heureuse d’avoir beaucoup plus confiance en moi maintenant et si rapidement. » Ça lui donne encore plus envie de s’investir, dit-elle alors que son visage s’illumine et qu’elle retourne accueillir une nouvelle arrivée. Au lycée, cette jeune fille de taille moyenne, à la peau mate et au regard vif était si refermée qu’elle refusait de prendre la parole en classe par « peur du regard des gens », peur qu’ils la jugent.

Au mois de septembre précédent, elle était en terminale ‘‘Accompagnement, soins et services à la personne’’ (ASSP). La jeune fille voulait faire des stages auprès des enfants, comme en première, mais le parcours obligé prévoyait, à la place, une expérience à l’hôpital ou avec des personnes âgées. « En plus, le bac me paraissait compliqué, l’angoisse est montée et j’ai arrêté les cours au bout de 15 jours. » Morgane s’est très rapidement rendue au Centre d’information et d’orientation (CIO) qui l’a dirigée vers à la Mission de lutte contre le décrochage scolaire (MLDS), présente dans chaque académie. « Là-bas, on a cherché des stages, réfléchi à mes centres d’intérêts. J’ai essayé la cuisine. J’étais tentée par la sérigraphie. »

En plus, le bac me paraissait compliqué, l’angoisse est montée et j’ai arrêté les cours au bout de 15 jours

Morgane, jeune en service civique auprès d’Eric, à Tarbes

Son service civique, qui inclut 8 mois au Secours populaire, résulte d’un partenariat entre la MLDS, l’association des Pupilles de l’Éducation nationale et le Secours populaire. Les trois institutions se coordonnent pour la suivre et l’épauler. Dans ce cadre, Morgane et les autres jeunes ont le temps d’expérimenter et de réfléchir au métier qu’ils veulent faire. « Pour le moment, c’est encore flou, mais j’ai le temps », dit-elle. « Morgane n’a jamais baissé les bras, relate durant un appel téléphonique Marie-Hélène Aceituno, coordinatrice à la MLDS. Son intérêt professionnel s’est évanoui, malgré un bon cursus scolaire. C’est assez fréquent. Mais elle n’a jamais baissé les bras. Nous allons encore explorer, avec elle, plusieurs voies comme celle d’un retour en bac pro. »

Carl est passé dire bonjour à Éric. Son service civique lui laisse un excellent souvenir et lui a « permis d’apprendre énormément sur les relations humaines », « exactement » ce qu’il était « venu chercher ».

Carl est passé dire bonjour à Éric. Son service civique lui laisse un excellent souvenir et lui a « permis d’apprendre énormément sur les relations humaines », « exactement » ce qu’il était « venu chercher ».


Faire retrouver le chemin de l’école, d’une formation, en passant par le bénévolat qui valorise des compétences différentes de l’école, représente une grande chance pour ces jeunes. « Notre étude la plus récente montre que 12 % des adolescents sortent encore du système scolaire sans diplôme à valoriser sur le marché du travail. C’est moins qu’en 2010, où ce taux était de 16 %, mais ils subissent toujours une concurrence extrême avec les diplômés », relève Alexie Robert, chargée d’étude au Centre d’études et de recherches sur les qualifications (CEREQ), dont les bureaux sont à Marseille. En effet, plus de la moitié des jeunes sortis sans diplôme se retrouvent au chômage ou n’ont pas repris d’études ou de formation 3 ans après leur sortie du système scolaire. A Tarbes, leur taux de chômage est de 40 %, contre 7 % pour les détenteurs d’un Bac+5 ou plus, comme le rapporte l’Insee dans un dossier complet sur le profil socio-économique de la ville.

Depuis qu’il est arrivé au Secours populaire, son visage s’est ouvert, il s’est réellement transformé en quelques mois

Marie-Hélène Aceituno, coordinatrice à la Mission de lutte contre le décrochage scolaire

Le parcours d’Ethan est totalement différent. C’est l’école qui lui a filé entre les doigts. Nourrissant le projet de devenir magasinier comme son père, il a débuté, en septembre, son alternance quand son maître d’apprentissage a quitté l’entreprise qui devait l’accueillir. Impossible, dans ces conditions, de continuer son CAP. « Le temps de retrouver une autre boîte, j’allais perdre 5 mois donc j’ai tenté de revenir au lycée, en première, mais il n’y avait plus de place pour moi », explique l’adolescent. « Désemparé », « déçu » et « un peu en colère », il s’est retrouvé en apesanteur pendant deux mois, avant de pousser la porte de la MLDS, sur les conseils de son lycée. Depuis, son service civique lui assure des cours tous les lundis, les autres jours c’est bénévolat. « Avec cette expérience, tu prends conscience que des gens sont privés des choses les plus nécessaires », analyse-t-il. L’adolescent rencontre régulièrement Marie-Hélène Aceituno pour préparer son retour en CAP et trouver l’entreprise où faire son apprentissage. « Depuis qu’il est arrivé au Secours populaire, son visage s’est ouvert, il s’est réellement transformé en quelques mois », raconte cette dernière.

Pour tous et toutes, le bilan est positif

Pour tous et toutes, le bilan est positif. Pendant le déroulement de la distribution alimentaire, Carl est passé dire bonjour à Éric sur les lieux où il a effectué un service civique, peu de temps auparavant, laissant un excellent souvenir. Cette expérience lui a « permis d’apprendre énormément sur les relations humaines », « exactement » ce qu’il était « venu chercher ». Ses 8 mois l’ont convaincu qu’il lui fallait arrêter ses études de physique appliquée pour travailler à l’hôpital, car « c’est ce qui me fait vibrer », dit avec émotion ce jeune homme de 24 ans qui a été capable d’apprendre le violon tout seul. Chaque jeune passe aussi son brevet d’animateur, le BAFA, « pour qu’il puisse travailler ensuite en colonies de vacances s’il le désire », note fièrement Éric. Mais le principal, insiste ce dernier, est qu’ils repartent tous et toutes « en ayant repris confiance en eux » et « découvert des capacités qu’ils ne soupçonnaient même pas » !

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