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A Aurillac, les jardiniers au grand cœur partagent fruits et légumes

Mis à jour le par Olivier Vilain
Jean Jeannette courges Aurillac
« C’est une année à courges ! » Jean et Jeanne ont donné au Secours populaire 100 kilos de courges et 60 kilos de courgettes de leur potager cultivé avec beaucoup d’amour ©L. Miquet/SPF

Dans le Cantal, les bénévoles ont réuni des commerçants, des centres sociaux et des particuliers passionnés de maraîchage pour collecter les fruit et légumes en surplus dans les très nombreux jardins d’Aurillac et de ses alentours. Grâce à cette dynamique, l’opération ‘‘Balance tes courges et ramène ta fraise’’ fournit des produits frais, bio et de saison aux personnes aidées par le Secours populaire, qui sont toujours plus nombreuses.

Treize heures, c’est l’heure du libre-service alimentaire au Secours populaire d’Aurillac, une petite ville de montagne connue pour sa gastronomie et son écrin de verdure. Yuliia et Serhii franchissent la porte d’entrée du local mis à disposition par la mairie. Sa façade est ornée d’une très belle fresque dont les tons vifs contrastent avec un fond gris bleu très intense. Réfugié en France depuis l’invasion de l’Ukraine, le couple est accueilli chaleureusement par l’équipe de bénévoles.

Chaque pavillon a son potager et des surplus

L’une d’entre elles, Merveille, leur propose – devant le stand de légumes – de beaux radis, des endives, des poivrons bien rouges, une botte de carottes. Serhii les range tour à tour dans le petit chariot qu’il pousse depuis l’entrée, interrogeant du regard sa femme de temps en temps. « Vous voulez aussi une courge ? », leur demande Merveille. L’homme hoche la tête, ose un petit sourire à la vue de la citrouille bien dodue d’un orange mat, tirant sur le marron. Potirons et potimarrons murissent en nombre cet automne, profitant de la pluie abondante qui fait pourrir sur pieds beaucoup d’autres espèces maraichères.

Le Secours populaire propose ces fruits et légumes grâce à une opération appelée avec malice ‘‘balance tes courges et ramène ta fraise’’. Celle-ci consiste à collecter les surplus des particuliers qui cultivent devant leur maison. Quand la météo est favorable, ces derniers voient arriver à maturité des kilos et des kilos de pommes, de courges ou de patates en même temps. « Ici, chaque pavillon a son potager et les jardiniers peuvent désormais nous apporter leurs surplus après avoir fait des conserves et partagé avec les voisins et la famille », souligne avec gourmandise Patrice Couineau, secrétaire général de l’association dans le Cantal. Plus rien ne doit finir au compost : 800 kilos de fruits et légumes locaux, bio et de saison ont été ainsi donnés par des maraîchers amateurs et solidaires, sur les neuf premiers mois de 2024.

Pour manger à leur faim, 2 700 personnes vont au Secours populaire. Avec la collecte permanente ‘‘Balance ta courge…’’ auprès des maraîchers amateurs, elles ont reçu 800 kilos de fruits et légumes savoureux, « locaux, bio et de saison » ©L. Miquet/SPF

Cette collecte permanente auprès des particuliers est partie des besoins locaux. « D’un côté, 2 700 personnes comptent sur nous pour manger à leur faim et leur nombre augmente, augmente, augmente… De l’autre, la nourriture collectée auprès des supermarchés chute », explique Patrice Couineau. Et encore, selon une enquête nationale du Credoc, une personne sur deux qui aurait besoin de recourir à l’aide alimentaire ne le fait pas. L’aide alimentaire proposée par les bénévoles vient du fonds européen de solidarité, pour les denrées comme les céréales, et des invendus des supermarchés pour les produits périssables (légumes, viandes, etc.).

« Avec cette belle courge, je vais faire un gratin, ça sera délicieux »

Sylvie, aide à domicile en invalidité

C’est ce que les bénévoles appellent « la ramasse ». Celle-ci représentait, en 2022, un apport de 750 000 euros en nature pour le Secours populaire. Depuis, « ce montant a diminué de 100 000 euros », alerte Patrice Couineau. Pour compenser, l’association complète ses rayonnages en achetant chaque mois pour 2000 euros de poisson, de fruits, etc. Dix fois plus qu’il y a deux ans !

La baisse du volume de ‘‘la ramasse’’ est surtout liée à la loi EGALIM, de 2018, relèvent les bénévoles d’Aurillac, tout comme Bénédicte Bonzi, doctorante en anthropologie à l’Ecole des hautes études en sciences sociales (‘‘La tête au carré’’, France inter, 10.09.24) : « Cette loi donne l’autorisation à la grande distribution de vendre ses invendus à perte (…). Elle ne paie plus leur destruction et peut même défiscaliser les dons en nature fait aux associations. »

Un adulte sur 3 ne fait pas 3 repas par jour

« Ce matin, c’est zéro. Pas de viande. Rien », lance Rémi. Le bénévole vient de terminer le tour des supermarchés de la préfecture du Cantal : « Heureusement qu’on a les courges ! » Au rayon des légumes, après Yuliia et Serhii, c’est au tour de Sylvie, aide à domicile, de placer soigneusement une citrouille dans son grand sac, à côté du chou-fleur et de courgettes qu’elle a déjà choisis : « Je vais faire un gratin, ça sera délicieux », glisse-t-elle avec gourmandise. Ces légumes « sont très importants pour moi », dit la cinquantenaire coquette pour qui, dans le commerce, tout est devenu trop cher depuis qu’une polyarthrite l’a obligée à être en invalidité, il y a 18 mois. Sur le plan national, un Français sur trois (32 %) est contraint « parfois ou régulièrement » de ne pas faire trois repas par jour du fait de la baisse de son pouvoir d’achat, selon le dernier baromètre Ipsos/Secours populaire.

Un centre social et une dizaine de commerces sont partenaires de ‘‘Balance ta courge…’’. Ils servent de points de collecte. Très impliquée, Biocoop fournit, en plus, des céréales et des légumineuses en vrac ©L. Miquet/SPF

C’est Rémi qui a émis l’idée de solliciter les maraîchers amateurs : « Il y a deux ans, j’ai entendu à la radio, dans Carnets de campagne, qu’une association de Bourg-en-Bresse faisait appel aux jardiniers locaux. » Rémi la contacte pour lui demander l’autorisation de reprendre le nom, « Balance ta courge ». « J’ai ajouté ‘‘ramène ta fraise’’ parce qu’il nous faut aussi des fruits », souligne avec malice le bénévole à la carrure de basketteur. Une fois l’idée adoptée, l’équipe du Secours populaire s’est démenée pour la faire connaitre, notamment en distribuant plus de 5 000 tracts dans les quartiers pavillonnaires.

« Les bénévoles sont venus chercher 100 kg de courges et aussi 60 kg de courgettes »

Jean, retraité passionné de jardinage et maraîcher solidaire

C’est en lisant son journal que Jean, 86 ans, en a entendu parler. C’est de son jardin que viennent les potirons et les potimarrons que Sylvie, Yuliia et Serhii vont déguster : « Les bénévoles sont venus en chercher 100 kilos et aussi 60 kilos de courgettes. On ne pouvait pas manger tout ça », confie le retraité au sourire communicatif : « C’est une année à courges ! »

« Quand on voit le prix des légumes, c’est exagéré », lâche Jeanne, sa femme, 78 ans, en dodelinant de la tête pour mieux marquer sa désapprobation devant les bénévoles du Secours populaire passés rendre visite qui dégustent un café et de délicieux petits beurres. Marié depuis dix ans, le couple vit dans une large maison de pierres basaltiques, entourée d’un verger et d’un potager où se reflète toute la palette des verts bien au-delà des carrés de salades et des rangées de poireaux.

Des fruits et des légumes toute l’année

Une source alimente en permanence les 400 mètres carrés de terrain. Dévalant les montagnes, l’eau apporte les nutriments projetés par les volcans, il y a des milliers d’années. Ainsi chouchoutés, les cucurbitacées s’épanouissent aux pieds des arbres fruitiers. « J’ai dû transporter des graines en paillant avec l’herbe de la tonte. Depuis, je les fais pousser de cette façon », rigole Jean, très fier de partager « avec des gens qui en ont besoin » le produit de sa passion.

Bénévole chargé du potager du Secours populaire, Malik (*) montre avec satisfaction à Rémi et Patrice, les deux initiateurs de ‘‘Balance ta courge…’’, les cucurbitacées prêtes à être récoltées. « C’est décidément l’année des courges » ©L. Miquet/SPF

Pour impliquer les particuliers comme Jean, l’équipe de bénévoles est aussi allée à la rencontre des associations de jardins ouvriers, comme celui de la Résinie. Guylaine y fait « pousser de tout sans aucun pesticide depuis 2011 », dit la maraîchère dynamique en faisant un grand geste du bras balayant les rangées de rubarbe, de haricots verts, de betteraves… ou de courges. A cause de la pluie, sa production a baissé d’un tiers, entre 2023 et 2024, mais elle prendra bientôt son vélo pour livrer directement au Secours populaire des blettes de son jardin.

Des commerces d’Aurillac jouent le jeu

S’ils ne veulent pas aller jusqu’au local, les jardiniers au grand cœur peuvent déposer leurs surplus dans un centre social et une dizaine de commerces partenaires. « Comme ça, on est présent à toutes les entrées de la ville », savoure Patrice, qui a noué autant de partenariats. Celui avec Biocoop est particulièrement fructueux : l’enseigne sert de point de collecte et fournit, en plus, des céréales et des légumineuses en vrac. Une moitié est vendue au Secours populaire à prix coûtant, l’autre moitié lui est cédée gratuitement. Le partenariat comprend aussi la mise à disposition d’une salariée, Valérie, qui s’implique beaucoup au libre-service alimentaire. Grâce à un autre partenariat, auprès des maraîchers qui viennent du Lot voisin au grand marché de la ville, les bénévoles ont récupéré plus d’une tonne d’invendus sur l’année.

S’ajoute à ce dispositif un partenariat avec le Centre permanent d’initiatives pour l’environnement du Cantal. Il réunit, cinq et sept fois par an, des équipes de glaneurs (jeunes en insertion, demandeurs d’asile, etc.) qui récoltent pommes de terre, châtaignes et autres denrées que des particuliers ne peuvent pas récolter eux-mêmes. Pour compléter le tout, le Secours populaire cultive un lopin de terre mis à disposition par un centre social en centre-ville. Celui-ci est placé sous la direction de Malik (*), un solide gaillard aidé par l’association qui a décidé de mettre ses compétences au service de la solidarité.

« Nous avons le même potentiel que pour les vêtements. J’aimerais que le dépôt des produits du jardin devienne le nouveau geste solidaire »

Patrice Couineau, responsable du Secours populaire dans le Cantal

« Avec toutes les initiatives que recoupe ‘‘Balance tes courges…’’, la santé des personnes accueillies y gagne par rapport aux produits très transformés collectés dans le circuit commercial classique », observe Patrice. Pour l’équipe d’Aurillac, la collecte auprès de son réseau solidaire peut hisser les volumes et la qualité au niveau des besoins, notamment en matière de diversité alimentaire qui joue directement sur la santé. « Je pense que nous avons le même potentiel que pour les vêtements ; ça n’arrête pas, on gère des volumes énormes. J’aimerais que le dépôt des produits du jardin devienne le nouveau geste solidaire », lance Patrice observant le lopin de terre dont s’occupe Malik. Le sourire qu’arbore en permanence ce dernier quand il s’affaire entre les pommiers et les rangs de choux, ne s’efface que lorsqu’il montre des pieds de tomates noircis à cause des premiers froids. Retour du sourire, quand il montre ensuite à Rémi et Patrice les cucurbitacées prêtes à être récoltées. « C’est décidément l’année des courges », s’amusent les trois hommes.

(*) le prénom a été changé

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« La Pop’ote du Secours » un manuel pour échanger les recettes

Malgré les explications des bénévoles durant les libres-services alimentaires, des personnes aidées refusent parfois de prendre des légumes parce qu’elles n’en ont jamais mangé et ne savent pas les préparer. « C’est pour cela que nous avons mis en place des ateliers cuisine une fois par mois », raconte Patrick, le responsable de la distribution alimentaire au Secours populaire d’Aurillac. Très vite, l’idée est venue de diffuser les recettes échangées durant les premiers ateliers dans un petit livre de recettes, « La Pop’ote du Secours ». Publié en juin dernier, tout le monde peut y retrouver le poulet au riz basmati d’Aïcha, le bortsch de Galina ou le ragoût de veau aux pommes de terre de Sophie. Bon appétit !