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« Les jeunes manifestent une réelle difficulté à se projeter dans l’avenir »

Avec désormais un jeune sur deux qui exprime un sentiment d’angoisse, la santé mentale des jeunes est l’un des enjeux mis en lumière par le 19e baromètre Ipsos / Secours populaire, publié en septembre. L’association Nightline France a pour but l’amélioration de la santé mentale des étudiants. Sa déléguée générale, Nathalie Roudaut, explique la méthode utilisée par ses bénévoles du « pair à pair » qui fournit un accompagnement et une écoute entre jeunes, tout en s’appuyant sur l’expertise de professionnels de santé, depuis 2017.

Pouvez-vous expliquer l’idée de la « santé communautaire » mise en place par Nightline auprès des étudiants ?
L’association s’inscrit dans une démarche globale d’amélioration de la santé mentale des jeunes, et plus spécifiquement des étudiants, en s’appuyant sur le principe du « pair à pair » : un accompagnement et une écoute entre jeunes, qui s’appuie sur l’expertise de professionnels de santé. Fondée en 2016 en France, Nightline France a débuté ses activités l’année suivante et s’est rapidement implantée dans sept régions, réunissant aujourd’hui 450 bénévoles et 35 professionnels.
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Notre but est d’impliquer la communauté étudiante, en lui fournissant des outils et des ressources pour renforcer sa capacité d’agir et de s’engager sur les questions de santé mentale. Cette approche communautaire vise à permettre aux jeunes de réfléchir collectivement, de prendre des décisions éclairées pour eux-mêmes et d’agir en faveur de leur entourage, créant ainsi un effet d’entraînement positif au sein de la population étudiante.
Quels sont les outils, les méthodes utilisées par Nightline pour améliorer la santé des étudiants ?
L’association propose un large éventail de formations, privilégiant autant que possible la transmission par les jeunes eux-mêmes, selon un modèle de diffusion en cascade : nous formons des jeunes qui vont ensuite aider d’autres jeunes, qui évoluent dans leur milieu, sur le plan de la santé mentale. Nous organisons également des ateliers participatifs, tels que la « fresque de la santé mentale », favorisant l’enrichissement mutuel à travers le dialogue et le partage d’expériences.
En parallèle, nous offrons un dispositif d’aide à distance via des lignes d’écoute nocturnes, où des bénévoles sont formés à accueillir la parole des appelants, à se protéger eux-mêmes émotionnellement et à orienter les jeunes vers les professionnels adaptés.
La ligne d’écoute fonctionne de 21 h à 2 h 30 du matin, animée par des étudiants pour des étudiants, avec une formation continue tout au long de l’année afin d’anticiper les évolutions de la vie étudiante (les déménagements, les changements de cursus, etc.). Sur l’année universitaire 2024-2025, Nightline a reçu plus de 23 000 appels, dont près de 10 500 ont pu être pris en charge. Au cours de l’année précédente, l’activité était de respectivement près de 18 500 et de près de 8 300.
L’un des points forts de ce dispositif réside dans la proximité : les jeunes se sentent davantage en confiance pour se confier auprès d’autres jeunes de leur âge qui partagent leur réalité. Cette relation d’égal à égal contribue à lever la défiance qui peut exister envers les professionnels traditionnels. Cette dynamique favorise la complémentarité entre l’expérience de terrain des bénévoles et l’expertise des professionnels, permettant une diffusion progressive de ces savoirs au sein de la communauté étudiante.
Quelles sont les évolutions chez les jeunes de la santé mentale ces dernières années ?
Nous intervenons également sur le terrain, rencontrant près de 25 000 jeunes lors d’événements festifs ou sur les campus. On observe une libération progressive de la parole autour de la santé mentale, mais ce mouvement met aussi en lumière le fossé générationnel ou social qui persiste et rend le dialogue difficile avec leur famille, alimentant parfois la souffrance des jeunes confrontés à l’incompréhension ou à des préjugés persistants envers la souffrance psychologique, encore trop souvent renvoyée à des idées reçues sur la faiblesse de caractère. Cette incompréhension nous est davantage exprimée par les élèves d’écoles d’ingénieurs, où les stigmates restent assez forts, que parmi les étudiants de fac de lettres.

L’augmentation du nombre d’appels ne traduit pas nécessairement une aggravation du mal-être étudiant, mais s’explique en partie par la notoriété croissante de l’association. Les problématiques évoquées lors des conversations téléphoniques demeurent constantes : difficultés relationnelles (sociales, familiales, amicales ou amoureuses) ; troubles psychiques (stress lié aux études, anxiété, idées suicidaires, automutilation) ; et, de manière de plus en plus marquée, un sentiment profond de solitude ; certains jeunes n’ayant eu aucune interaction sociale significative durant la semaine où ils appellent la ligne d’écoute.
On lit dans les études que l’année 2020 avec ses confinements a constitué une rupture. En percevez-vous encore les effets ?
L’année 2020, marquée par la crise sanitaire, a indéniablement constitué un tournant dont les effets se font encore sentir aujourd’hui. Les étudiants ont été privés d’une part essentielle de leur vie universitaire, et ce manque laisse une empreinte durable, tant sur le plan individuel que collectif. Des étudiants déjà fragiles ont été confrontés à un point de bascule et présentent des symptômes de type post-traumatique : le souvenir associé à cette période continue d’être douloureux.
Les étudiants qui étaient en fin de lycée à cette période n’ont pas non plus pu rattraper ce temps perdu, d’autant plus que la peur de l’autre s’est installée dans une phase de vie où la construction de soi passe par l’ouverture et l’entraide. Ce repli sur soi, devenu une habitude précoce, s’est ancré durablement. Par ailleurs, de nombreux jeunes avaient dû accepter des emplois alimentaires, plus ou moins compatibles avec leurs études. Durant la crise sanitaire, ils n’ont pas pu travailler, ce qui a généré une détresse psychique et physique importante, menant parfois à l’abandon des études. Depuis, la dépendance à l’aide alimentaire fournie par le monde associatif s’est accrue, nécessitant un travail d’acceptation et de lutte contre la honte associée.
Au niveau européen, la précarité étudiante semble plus marquée en France que dans d’autres pays, pour des raisons qui restent à élucider. Si le cumul emploi-études existe partout, l’organisation des emplois étudiants en France semble moins compatible avec la poursuite des études, et la question de l’accès à un logement à un prix abordable reste un enjeu majeur, comme le soulignent régulièrement les syndicats étudiants.
Les jeunes qui sollicitent Nightline ont-ils une vision pessimiste de leur avenir, tant sur le plan personnel que collectif ?
Les jeunes qui font appel à nous ne se déclarent pas systématiquement pessimistes, mais manifestent une réelle difficulté à se projeter dans l’avenir. Beaucoup expriment un sentiment d’impossibilité à envisager un futur stable, que ce soit en raison des incertitudes liées au dérèglement climatique, à l’évolution du marché du travail, ou au contexte politique et international.
Ils s’interrogent sur le sens de leurs études, doutant parfois de l’existence même de débouchés professionnels, et ressentent une tension entre la nécessité de créer des liens humains et la pression d’un système perçu comme hyper-compétitif.
Les jeunes qui font appel à nous ne se déclarent pas systématiquement pessimistes, mais manifestent une réelle difficulté à se projeter dans l’avenir.
Nathalie Roudaut, déléguée générale de Nightline France
Par ailleurs, ils dénoncent le décalage entre les discours institutionnels sur la jeunesse et la réalité de leur prise en compte : ils se sentent souvent «parlés» plutôt qu’écoutés, et peinent à trouver leur place ou à faire entendre leur voix dans la société. Cette difficulté à se projeter et à donner du sens à leur parcours se retrouve également dans leur rapport au monde du travail.